FABRIQUE DE MACHINES AGRICOLES DE M. PINET, À ABILLY (Indre-et-Loire)

Publié le par histoire-agriculture-touraine

Tarare débourreur ; machine à élever l'eau ; charrue ; manège/batteuse/tarare
Tarare débourreur ; machine à élever l'eau ; charrue ; manège/batteuse/tarare
Tarare débourreur ; machine à élever l'eau ; charrue ; manège/batteuse/tarare
Tarare débourreur ; machine à élever l'eau ; charrue ; manège/batteuse/tarare

Tarare débourreur ; machine à élever l'eau ; charrue ; manège/batteuse/tarare

1864

Concours régional de Tours

Annales de la Société d'agriculture, arts, sciences et belles-lettres d'Indre-et-Loire. 1864

p. 30

PINET fils, mécanicien à Abilly, grande médaille d'or pour l'ensemble de son exposition de machines et appareils agricoles ; rappel de médaille d'or pour son manège locomobile ; rappel de médaille d'or pour une machine à battre, ne vantant, ni ne criblant ; rappel de médaille d'or pour une égreneuse de plantes fourragères ; 1er prix, médaille d'argent, pour un hache paille exécuté par M. Radgliflec, en Angleterre ; 2e prix, médaille de bronze, pour un râteau à cheval, exécuté par M. Page, en Angleterre.

1865
 
Journal d'Agriculture Pratique. Premier semestre 1865
 
page 624

"Enfin, M. Pinet fils, d'Abilly (Indre-et-Loire), nous a remis la note suivante sur ses ventes :

1° De 1855 à 1864, on a livré à l'agriculture, en manèges, batteuses, tarares, moulins, coupe-racines, égrainoirs, pour plus 5 800 000 fr.

2° En 1863 seulement, on a livré 750 manèges, 750 batteuses, 101 tarares, 54 coupe-racines, 30 égrainoirs, moulins, etc.

3° Jusqu'à la fin de 1863, la production s'est toujours augmentée ; en 1864, il y avait une différence de 25 % en moins et ce qui a été vendu a été plus difficilement payé, à cause d=sans doute, du bas prix des produits agricoles.

4° Quoi qu'il en soit, l'usine compte le même nombre d'ouvriers, soit environ 150 agglomérés dans les ateliers, et au moins 100, occupés dans leurs petits ateliers personnels.

5° En admettant que les ventes de 1865 ne dépassent pas celles de 1864, le chiffre des machines livrées de 1855 à 1865, sera au moins de 6 200 manèges, 6 200 batteuses, 1 400 tarares, coupe-racines, hache-pailles, égrainoirs, moulin etc., soit 13 800 machines ; plus 300 000 kilogrammes de transmissions diverses, pièces détachée, etc."

1871

Les GRANDES USINES, études industrielles en France et à l'Étranger tome 8,  par TURGAN, Membre du jury d'examen et de révision de l'Exposition universelle de 1862, Membre suppléant du jury des récompenses, Membre du comité impérial des sociétés savantes, chevalier de la Légion d'honneur, etc., PARIS Michel Lévy Frères, Libraires éditeur rue Auber, 3, et Boulevard des Italiens, 15 à la Librairie Nouvelles, 1871.

p. 305-320

FABRIQUE DE MACHINES AGRICOLES DE M. PINET, À ABILLY.

L’application de la machinerie moderne aux travaux d’extérieur et d’intérieur des fermes est aujourd’hui pour la France une question vitale ; le commerce, l’industrie réclament impérieusement un personnel de plus en plus nombreux, et l’agriculture ne peut plus retenir les bras qui lui sont encore indispensables dans les conditions actuelles. Elle ne saurait, à moins d’élever et presque de doubler le taux des salaires, conserver les ouvriers nécessaires aux préparations du sol, à la récolte et aux divers traitements des denrées agricoles. Pour élever le taux des salaires, il faut élever le prix de ces denrées déjà si haut, et l’ouvrier, forcé de payer sa vie de plus en plus cher, sera lui-même obligé de demander une rémunération plus forte. La conséquence de ce cercle vicieux, ou plutôt de cette hélice ascendante, sera de faire monter les prix des choses les plus indispensables à un haut degré qu’il en résultera une gêne permanente dans toutes les industries et même dans la vie privée de chacun. Comme les progrès accomplis dans la circulation générale fournissent la possibilité, grâce aux traités de commerce, d’introduire dans notre pays des quantités considérables de céréales ou d’autres produits à des prix relativement moindres, la richesse proverbiale de la France se trouvera profondément atteinte si l’agriculture atteinte si l’agriculture ne se hâte pas de perfectionner ses moyens d’action.

En France, plus de la moitié de la population est encore employée aux travaux des champs ; en Angleterre, les agriculteurs ne représentent que vingt pour cent ; aux États-Unis, à peine le dixième. Ces simples chiffres, indiqués par M. Tisserand dans un travail récent, devraient donner à réfléchir aux administrations et aux publicistes français. Ces chiffres disent clairement l’état de routine et d’ignorance déplorable dans lequel sont laissées nos populations agricoles, si laborieuses, si intelligente. En Amérique, il suffit d’un homme sur dix pour nourrir les autres, en Angleterre, un sur cinq, en Saxe, un sur trois, en France, il en faut un sur deux. C’est qu’en Amérique, en Angleterre, en Saxe, tout le monde sait lire et lit, c’est que les bâtiments ruraux sont disposés pour éviter les pertes de temps, conserver intelligemment les denrées, c’est que les machines fonctionnent à la place des hommes, « et, dit M. Tisserand, telle est la facilité de leur maniement que, pendant la dernière guerre, alors que toute la population rurale était appelée à prendre part à la lutte, les femmes, les sœurs, les filles de soldats ont pu les remplacer aux champs et sauver la récolte. »

175 000 machines à moissonner étaient déjà, l’an dernier, en plein travail aux États-Unis ; il s’en construisait, disait-on, 100 000  chaque année ; on évaluait à  250 millions le travail manuel économisé par les moissonneuse, et à 1 300 000 hommes l’épargne du personnel. Que serait-ce donc pour la France ? Les statisticiens évaluent aussi que la rapidité d’exécution, facilitée par les machines, sauve environ par hectare un hectolitre de grain, qui serait tombé par excès de maturité ou aurait été avarié par les orages. M. Tisserand estime qu’en France, sur six millions et demi d’hectares consacrés à la culture du froment, on épargnerait ainsi cinq à six millions et demi d’hectolitres de grain ; l’économie de semences de l’usage du semoir viendrait encore augmenter ce résultat.

Nous venons d’assister aux comices dans deux départements de la France centrale, célèbres par leur fertilité ; l’un d’eux, habité par de grands noms et de grandes fortunes, passe pour le jardin de la France et comte plusieurs constructeurs justement estimés. Nous n’avons vu, à ces expositions, qu’une seule machine à moissonner, et encore était-elle d’origine américaine, peu de semoirs, quelques faneuses et râteaux à cheval ; à l’exception des charrues fabriquées avec intelligence dans ces départements, la seule machine bien représentée était la machine à battre, adoptée dans  le centre et l’ouest de la France, seul spécimen sérieux d’un matériel agricole perfectionné.

C’est à M. Pinet que l’on doit cette vulgarisation de la machine à battre portative et à bon marché. Le cultivateur du Centre, peu lettré, regarde avec méfiance les instruments trop compliqués pour son éducation imparfaite, trop  cher pour ses ressources, trop lourds pour être transportés dans ses chemins ruraux dont on ne peut, sans en avoir souffert, soupçonner le délabrement. M. Pinet a su inventer, agencer et exécuter une machine à battre conduite par un manège et suivie par un tarare approprié aux ressources, à l’éducation et aux chemins, tout en étant solidement fabriqué. Le bon aspect de ces appareils a contribué beaucoup, suivant nous, à leur vulgarisation. Il faut qu’au premier regard jeté sur la machine, elle ne vous repousse pas par sa complication, et que, par la  symétrie et le bon agencement de ses formes, elle indique déjà  que ses organes joueront facilement et qu’on n’aura pas le triste échec, après de grands efforts et des frais  élevés, d’avoir dans le hangar, exposée à la risée des voisins, une machine qui ne va pas. Dès l’abord, le paysan a vu que les machines de M. Pinet devaient aller, et bien que quelques-unes d’entre elles ne répondent pas à toutes les données du problème, elles sont maintenant en faveur dans la grande, la moyenne et la petite culture.

M. Louis Pinet père avait fondé, il y a  environ quarante ans (vers 1830), à Abilly, petit village du département d’Indre-et-Loire, sur la Claise, affluent de la Creuse, un atelier de construction pour moulins, papeteries et machines diverses. En 1843, M. Joseph Pinet fils, qui avait alors vingt-deux ans et était contre maître chez son père, prit les ateliers à ferme comme directeur associé. En 1851, il resta seul directeur et organisa une société coopérative entre tous ses ouvriers, avec secours mutuels pour tous les associés. M. Joseph Pinet inventa, en 1854, le manège qui porte son nom, et qui a facilité l’adoption de toutes les autres machines. Ce manège réalisait du premier coup le problème longtemps cherché, d’obtenir une force au moyen des chevaux ou des bœufs de l’agriculteur, sans embarrasser ces pauvres animaux dans les tiges d’une transmission passant sous leurs pieds.

Bien qu’il se fasse encore un grand nombre de manèges dits en dessous, il n’en est pas moins reconnu aujourd’hui qu’ils sont dangereux pour les bestiaux, qu’ils présentent plus de frottement et que leur installation à tiges rigides où  à genouillères est toujours plus difficile que celle d’une courroie qui peut s’allonger et changer de direction dans tous les sens. Une machine agricole mobile ne doit pas avoir la précision de disposition des machines d’industrie. Le  sol sur lequel elle repose est souvent loin d’être plan, les chevaux qui la mettent en mouvement n’ont pas la régularité de la vapeur ou d’une chute d’eau. Tantôt se lançant dans le collier ils développent une force importante, tantôt ils s’arrêtent tout court, et mettent en danger les organes de la machine et leurs compagnons de travail. Il y a donc là des conditions particulières que M. Pinet nous semble avoir réalisée avec beaucoup de bonheur.

La première d’entre elle était de faire passer la transmission au-dessus des chevaux ; pour cela il  eut l’idée d’élever une colonne centrale en fonte qui représenterait renversée une fusée d’essieu d’environ deux mètres : au centre est une tige portant à son extrémité supérieure une poulie, son extrémité inférieure se termine par un pivot tournant dans un godet.

La tige servant d’axe de rotation est libre dans l’intérieur de la colonne, à l’exception d’un collier de douze centimètres environ qui l’étreint à l’extrémité supérieure et dans lequel elle tourne à frottement ; cette colonne creuse est assujettie sur une base formée d’un plaque de fondation en fonte, recevant toutes les autres pièces du mécanisme, et fixée sur une croix en bois qui pose sur le sol où elle est arrêtée par de forts coins en fer passant dans des anneaux. À la base de la colonne tourne une bague où sont ménagés de deux à six logements pour insérer la tête des leviers : cette même bague forme le centre d’une roue dentée à dents très fortes qui engrènent avec un pignon placé au centre d’une roue dentée beaucoup plus légère et à dents plus nombreuses. Cette dernière roue engrène avec le pignon fixé à la base de l’essieu qui traverse la fusée et dont l’extrémité supérieure porte la poulie dans la gorge de laquelle passe la courroie.

Cette disposition de roues droites a l’avantage de faire agir les dents sur des plans parallèles et non sur des surfaces obliques ; aussi, dans les secousses il peut y avoir du jeu sans cependant que les dents cessent de mordre l’une sur l’autre. Dans les circonstances où un pignon d’angle se désengrènerait, les dents parallèles peuvent se toucher par une partie seulement de leur étendue, mais elles ne se séparent pas l’une de l’autre. La difficulté principale de cet agencement était de pouvoir atteindre au centre de la colonne creuse le pignon lié à la tige formant essieu ; il faut en effet que la colonne, pour se maintenir droite et supporter l’effort de la poulie, soit fixée solidement sur le sol et que pour cela sa  bas adhère fortement à la plaque de fonte qui sert de support. Comment donc atteindre ce pignon au travers de la colonne sans en diminuer la  stabilité ? En échancrant cette base de quelques centimètres seulement, la dent de la roue de renvoi peut rencontrer une dent du pignon, et cela suffit pour créer le mouvement sans diminuer en rien la solidité de l’appareil. Cette disposition, qui a rendu tout possible, est le véritable point remarquable de l’invention de M. Pinet.

En prenant pour exemple le premier modèle de ces manèges, auquel il a été apporté peu de modifications, le levier aurait 3,10 m de long, la roue à laquelle sont appliqués les leviers, porterait 75 dents et ferait 2,90 tours par mn ; elle donnerait le mouvement du pignon central portant 13 dents, déterminant la rotation de la roue légère portant 208 dents, qui ferait 16,83 tours par mn. L’essieu central, portant un pignon à 22 dents, pivoterait 159,9 fois, et au moyen du diamètre des poulies convenablement agencé, donnerait à l’axe du batteur de 800 à 1200 tours. En résumé, la poulie fixée à l’arbre fait environ 50 tours pour un accompli par les chevaux attelés au manège : un déclique fort bien disposé permet à cette poulie de tourner librement en cas d’arrêt brusque de l’équipage. L’effort le plus léger à l’extrémité d’un des leviers met le moteur en mouvement lorsqu’il est libre : quand il commande une machine à battre, il fait tourner le batteur de 250 tours pour environ 1 des chevaux attelés à l’appareil.

Ce manège qui a été à peine modifié dans son essence depuis son invention peut servir à tout autre usage qu’à donner le mouvement aux machines à battre ; il fait tourner hache-racine, hache-paille, moulins, pompes, scies. On le construit sur trois grandeurs, depuis deux chevaux jusqu’à huit, depuis deux bœufs jusqu’à douze. Le plus petit pèse environ 165 kg, ce qui est un poids bien minime, et son prix est de 150 francs ; les plus lourds pèsent 1230 kg et leur prix est de 900 francs. On peut les rendre locomobiles en le montant sur des roues, essieu et brancard qui augmentent un peu leur prix, mais permettent de se passer absolument de charrette et de transporter la machine toute montée ; sur un autre train peuvent se charger aussi la batteuse et le tarare.

Les batteuses de M. Pinet appartiennent à la classe dite des machines en bout, c’est-à-dire qu’on présente la paille dans sa longueur autant que possible l’épi en avant ; c’était dans cette direction que l’écossais André Meikle fournissait la paille à la machine qu’il avait inventée en 1786 ; les batteuses importées  en France an 1818, point de départ de la fabrication française s’alimentent également en long ; ce n’était plus par percussion, mais par frottement que l’on cherchait l’égrenage ; Mathieu de Dombasle les répandit dans l’est de la France, mai bientôt MM. Loriot et Papillon inventèrent le battage en travers en élargissant les organes de la machine. De France le battage en travers retourna en Angleterre, où, dans les mains habiles des constructeurs d’outre-manche, il acquit le degré de perfection que l’on a pu constater aux dernières expositions. Mais ces et celles de M. Goutreau conservant la paille assez intacte pour que les fermiers de Seine-et-Marne et de Seine-et-Oise puissent la vendre aux écuries de luxe de Paris, sont par leur prix, leur poids et la force qu’ »elles exigent, en dehors des possibilités de la moyenne culture.

M. Pinet est revenu au principe de Meikle : la percussion par un batteur animé d’un mouvement très rapide sur la gerbe présentée en long. Il alimente directement, sans cylindre, par un plan incliné et engage la paille en couches aussi épaisses que possible par imitation de l’ancien battage au fléau pour que le grain garanti par l’élasticité de la paille ne se brise pas. Aujourd’hui encore et depuis l’Exposition de 1855 et le grand Concours international de 1856, où elle a été si justement appréciée, cette machine et son manège sont restés un type considéré par tous les jurys comme parfait, en constatant toutefois que la paille sortant de la machine ne peut être vendue dans les grandes villes avec autant d’avantages que la paille sortant de machines en travers.

Nous n’insisterons pas sur la question de savoir s’il est bon ou mauvais que la paille soit brisée, nous envoyons les personnes que cette question intéresse au très intéressant rapport fait par M. Moll en 1855 sur tous les systèmes de battage. Pour le plus grand nombre des agriculteurs, cette conservation absolue de la paille nous semble indifférente ; en effet, à moins de circonstances exceptionnelles, comme  la proximité de Paris ou d’une ville garnison de cavalerie, d’où elle peut revenir à l’état de fumier, il est indispensable que la paille ne sorte pas de la ferme, comme l’interdisent par la plupart des baux. Pour la faire consommer à l’intérieur, il  semblerait même préférable qu’elle soit un peu brisée : certains pays, comme le Midi et l’Espagne, la demandent non seulement brisée, mais encore hachée et désagrégée, si bien que M. Ransomes vient d’ajouter à sa machine en travers un hache paille et un broyeur.

« Dernièrement, dit M. Grandvoinnet, on a ajouté  à la batteuse Ransomes un organe d’une grande importance pour les pays méridionaux ; il s’agit de l’appareil à broyer et à hacher la paille pour le bétail. Cet appareil broyeur est d’un grand avantage pour les pays chauds ; la paille y est beaucoup plus coriace et serait difficilement mâchée par les animaux à l’état où elle sort des machines à battre ordinaires, ce qui n’arrivait pas avec la paille obtenue par le dépiquage. On était donc forcé de faire hacher la paille dès qu’on voulait l’employer, et dans cet état même, elle blessait toujours la bouche  des animaux. Cet inconvénient empêchait un grand nombre de personnes d’adopter les batteuses, et c’est pour y remédier que M. Ransomes a inventé l’appareil broyeur dont l’efficacité est aujourd’hui reconnue par tous les agriculteurs du Midi qui ont eu l’occasion de l’apprécier. »

La batteuse de M. Pinet se compose d’un coffre en chêne, dans lequel est inséré un contre-batteur composé de deux arcs en fer cornier fixé contre les joues de la machine : ces deux arcs supportent en travers d’autres fers corniers percés de trous dans lesquels passent de gros fils de fer formant une grille solide : le batteur se compose de deux rondelles de tôle traversées par un axe en fer forgé dont chaque extrémité est portée par un coussinet. Les rondelles son reliées entre elles par des barres en fer évidées aux extrémités dans la matière même pour produire deux saillies qui traversent la rondelle et sont rivées au marteau, de telle sorte que l’attache ne créé aucun point de rupture.

Comme la  vitesse de 1200 tours par mn imprime aux barres e=un effet centrifuge tel qu’il leur donne jusqu’à 15 mm de flèche au milieu, on les réunit entre elles par un diaphragme également en tôle qui les empêche de s’échapper et de causer de graves accidents. En effet, à cette vitesse la projection d’une des barres causerait autant de ravages qu’un projectile lancé par un canon. Les palettes de fer du batteur ne sont pas posées selon la direction du diamètre des rondelles, mais on leur donne une légère obliquité, ce qui les fait frapper en battant et non trancher comme si elles étaient à angle vif. Comprenant les dangers de la rupture d’une pièce animée d’une si grande vitesse, M. Pinet a renoncé absolument à l’emploi de la fonte ou du bois dans la construction du batteur et du contre batteur, tout est en fer et tôle sans autres jointures que des rivetages dans la masse. Les montants de la batteuse portent des poulies de transmission avec lesquelles on peut faire mouvoir le tarare, soit au bout de la machine à battre, soit perpendiculairement à sa direction lorsque l’emplacement le commande.

Cet instrument, appelé tarare débourreur par M. Pinet, a pour but, non de donner du grain propre et marchand, mais de faire un premier triage entre la graine, les balles, les épis cassés et les fragments de paille qui tombent à l’avant de la batteuse : au centre de la trémie est un agitateur à dents de fer piquées sur un axe, et qui soulèvent constamment la masse. Les grilles sont composées de barrettes de bois qui laissent encore passer les balles, mais rendent le grain assez net pour qu’on puisse l’ensacher et le porter au grenier : là on termine l’opération par un criblage ou par le passage dans un tarare à grille de fil de fer. Pour compléter l’ensemble de l’atelier de battage, M. Pinet a inventé un porte-sac composé d’un piquet surmonté d’un double anneau à dents pointues formant mâchoires qui, s’implantant au bord de l’ouverture du sac, le tiennent béant pour recevoir le grain. Cet appareil si simple, et qui coûte, si nous ne nous trompons pas, cinq francs, rend la manœuvre plus facile et économise un homme, ce qui est très important dans une opération demandant déjà plus de monde que le personnel ordinaire des fermes moyennes.

On ne saurait assez insister sur les services rendus par ces appareils réunissant le manège, la batteuse et le tarare déboureur ; sans eux, cette année surtout, le battage des blés n’aurait pu s’exécuter assez rapidement pour amener une baisse si nécessaire dans le prix du pain. Ce n’est pas seulement dans l’ordre matériel, mais encore dans l’ordre intellectuel que l’utilité de ces machines a été grande : le batteur à façon se transportant de ferme en ferme y porte, avec ses instruments, les idées d’ordre, d’ensemble, de discipline qui manquent si absolument dans les travaux des champs. Le travail en commun pour le service de la batteuse constitue une équipe agissant avec entrain, d’abord forcé, bientôt volontaire ; les servants voient le résultat de leurs efforts s’entasser hectolitres sur hectolitres et comprennent bientôt par cet exemple frappant l’avantage d’une action commune et régulière.

Le manège, la batteuse et le tarare forment la grande majorité des machines construites à Abilly, où jusqu’à présent on a fabriqué près de 8000 de chacun de ces instruments tandis qu’on n’y a fabriqué que 1700 hache-pailles, coupe-racines et autre machines agricoles. Le coupe-racine de M. Pinet présente une disposition fort ingénieuse, le volant fait corps avec la surface conique portant les couteaux ; c’est un renflement en boudin au bord extérieur du cône, il n’y a donc plus qu’une seule pièce au lieu de deux.

Bien qu’ayant renoncé presque entièrement à la meunerie, l’usine d’Abilly n’en fabrique pas moins de petits moulins à blé portatifs pouvant produire à l’heure de 40 à 50 kg de farine non blutée : ces moulins pèsent 895 kg et coûtent 500 francs ; ils peuvent servir, non seulement pour produire la farine de blé, mais aussi pour les grosses moutures de sarrasin, d’orge, d’avoine, si utiles pour la nourriture et l’engraissement des bestiaux. M. Pinet vient encore inventer une nouvelle installation de moulins où les meules, portées par un bâtis circulaire en fonte d’un seul morceau, d’un poids relativement peu considérable, reçoivent le mouvement à la partie inférieure de l’appareil. L’ensemble peut être contenu dans un seul étage et n’exige plus les constructions élevées et coûteuses des anciens moulins. Toutes ces pièces peuvent se démonter et se montrer en quelques heures avec la même facilité que le manège ; cet arrangement peut être très utile dans les colonies, en campagne ou même dans une ferme importante éloignée d’un moulin ou ne voulant pas subir les exigences du meunier. Parmi les autres machines nous devons citer aussi un manège-pompe portant sa bâche, pouvant élever par minute à 15 mètres de hauteur 100 litres d’eau avec un seul cheval.

Pour faciliter dans les grandes fermes l’usage et la préparation des machines agricoles, M. Pinet a imaginé un petit atelier portatif avec un arbre de couche léger, des transmissions par poulie set courroies. L’établi porte une scie circulaire, un tour, des étaux, une collection des outils indispensables et forme un ensemble, qu’Abilly livre prêt à marcher, au prix de mille francs. On s’est attaché aussi à ce que toutes les pièces des machines se remplacent sans secours d’un ouvrier mécanicien : ces pièces, étant toutes identiques suivant le modèle auquel elles appartiennent, peuvent se demander à l’usine et sont envoyées en grande vitesse par le chemin de fer ou même par la poste si leur volume et leur poids le permettent. Comme leur ajustage a été calculé systématiquement avec une certaine tolérance, le garçon de ferme un peu intelligent, ou le batteur à façon plus habitué au jeu de ces appareils, peut remettre la machine en état de servir en moins de temps qu’il n’en faudrait quelquefois pour faire venir le serrurier de la ville voisine. Cette idée simple de répéter toujours un modèle identique, a été la cause principale du succès de l’outillage anglais. Tout en perfectionnant sans cesse la structure même des pièces, M. Pinet se garde bien de modifier en quoi que ce soit leur forme dans ce qu’elles ont de relatif avec d’autres pièces d’un même machine.

L’organisation matérielle et économique d’Abilly est intéressante : la force est fournie par une chute d’eau de la Claise et par deux machines à vapeur. Les matières premières sont choisies avec les soins les plus minutieux, car voulant produire des objets d’une grande résistance et d’une sécurité absolue, ont est forcé de  n’employer que des matériaux aussi parfaits que possible.

Le bois employé principalement est le chêne venant de Stettin ou de Dantzig par la voie de Nantes ; il reste en magasin aussi longtemps que possible pour que la siccité en soit assurée. Le peuplier ne sert que pour les parties formant enveloppes et auxquelles on ne demande pas de résistance. Le magasin à bois contient aussi quelques chênes de pays que l’on débite en pièces dans la forme où on les emploiera après un an de séjour sous l’eau d’un bassin, et au bout de quelques autres années de séchage à l’air libre. Les fers ou les tôles sont de premier choix, du Creusot ou de la basse Indre.

La fonte qui joue un grand rôle dans la construction, vient d’une fonderie voisine de l’établissement, bien qu’elle n’en fasse pas partie. Les modèles en bois ou en fonte sont dressés dans un atelier de menuiserie spéciale, voisin du bureau industriel et par conséquent sous sa surveillance directe. Les précautions les plus minutieuses sont prises pour assurer le succès de la coulée ; le métal est de provenance écossaise mélangé avec des fontes françaises, le sable vient d’Abilly même. Les modèles en bois une fois adoptés sont coulés en fonte, réparés à la lime et disposés par différents procédés ingénieux ainsi : au lieu de retirer brusquement les roues dentées hors du moule après le refroidissement, on se sert d’un peigne que l’on appuie sur le sable et entre les dents duquel passent les dents de l’engrenage sans aucune déformation. Le plus grand éloge que nous puissions de la fonderie d’Abilly, c’est que les pièces qui en sortent sont aussi pures et aussi parfaites que les pièces des métiers à tisser et à filer fondues chez le regrettable M. Mercier, de Louviers.

Une grande partie des bâtis en bois s’assemble chez des menuisiers du village ou des environs à des prix fixés ; quant au reste de la fabrication, elle s’exécute dans l’usine à des conditions particulières que nous n’avons vues que dans cette usine.

Ne voulant pas  appliquer le travail aux pièces, excellent toutes les fois qu’il est possible de le contrôler dans les détails les plus intimes mais qui dans la spécialité qui nous occupe aurait pu présenter de graves inconvénients, voulant cependant attacher ses ouvriers à la prospérité de sa maison et les récompenser proportionnellement à leur travail et à ses bénéfices, M. Pinet a établi en 1851, une société coopérative qui fonctionne aussi comme société de secours mutuels. Cette société se renouvelle touts les ans au premier janvier.

Tous les ouvriers sont associés entre eux pour le bénéfice, et solidairement responsables pour les matériaux qu’on leur confie et les outils dont ils se servent ; tous les ans un tarif de fabrication fixe le prix alloué aux ouvriers, soit pour leurs journées de travail, soit pour les machines qu’ils livrent : dans le tarif de fabrication est compris l’usure des outils, l’éclairage, le graissage et l’entretien du matériel. Ces prix sont fixés par un conseil dont font partie les délégués des ouvriers, les chefs se service et le directeur de l’usine. Tous les ans le prix des journées est modifié, augmenté ou maintenu par le même conseil. Des amendes pour infraction au règlement sont versées au crédit de la société. Lorsqu’un ouvrier manque une pièce, ou la brise, la société tient compte de la moitié de la valeur de la matière, l’usine prend l’autre moitié, et l’ouvrier paie une amende relativement légère. Tout le monde est ainsi intéressé à bien faire, et une surveillance mutuelle s’exerce naturellement.

Les secours mutuels sont payés immédiatement et portés au débit de la société des ouvriers. Des secours médicaux et pharmaceutiques, sont fournis gratuitement par le chef de l’usine. Tous les mois on paie le prix des journées, on débite la société coopérative de cette dépense des frais de secours mutuels, des outils et autres objets fournis, et on le crédite des machines livrées au magasin conformément au tarif établi. À la fin de l’année la différence entre le débit et le crédit forme un dividende qui est partagé entre chaque sociétaire par catégorie, proportionnellement aux heures de travail et au prix qu’il gagne. Les comptes sont définitivement soldés chaque année, tout sociétaire ayant quitté l’usine reçoit sa part de bénéfice lorsque la liquidation est terminée. Les ouvriers qui deviennent entièrement incapables de continuer leur travail reçoivent des secours de quatre mois à deux ans suivant le temps qu’ils ont été attachés à l’usine. Tous les ans on fait également aussi l’inventaire exact de ce qui reste en magasin, et l’on en débite le compte de la société coopérative, pour l’année suivante.

Ces dispositions si sages et si prévoyantes assurent au chef un personnel intéressé comme lui à la bonne production de l’usine, il ne peut y avoir de discussion qu’une fois par an : les ouvriers peuvent lire comme tout le monde les tarifs auxquels M. Pinet vend au public les machines fabriquées par eux, ils peuvent se rendre un compte exact de l’équité des prix que l’on offre.

Le bureau industriel reçoit une part sur tout les objets fabriqués, qu’ils soient vendus ou non ; le bureau commercial reçoit une prime sur les recettes effectuées, aussi tout le monde à Abilly travaille-t-il comme pour lui-même.

Avec une telle organisation, une marque de fabrique si universellement appréciée, après avoir fait l’éducation mécanique d’une clientèle aussi difficile à convaincre, il est regrettable que M. Pinet se soit borné à  la construction des machines d’intérieur.

Il compte avec satisfaction le nombre des utiles agents qu’il a livrés à l’agriculture et considère sa tâche comme terminée ; mais il sait bien lui-même cependant, que ce qu’il a fait est peu de chose, s’il le compare à  ce qu’il lui reste à faire pour atteindre le mouvement de ces manufactures anglaises dont l’exportation seule monte déjà à 14 millions de francs par année. Il faut vulgarise la moissonneuse, trouver une bonne faucheuse, et la charrue, ce premier instrument de l’agriculteur, est encore bien imparfait. Pourquoi donc se borner, pourquoi s’arrêter dans son œuvre au moment où l’on commence à avoir la force de la compléter.

 

Exposition universelle, Paris 1878

Les Grandes usines, études industrielles en France et à l'Etranger par Turgan, Tome 12, Paris Calman Lévy, Libraire-Éditeur, rue Auber, 3, et Boulevard des Italiens, 15 à la Librairie nouvelle. 1879.

p. 20-26

A côté de M. Albaret, le Comité d'installation a donné une place honorable à M. Henry, successeur de M. Joseph Pinet. M. Henry est un ancien capitaine d'artillerie, officier de la Légion d'honneur, chargé longtemps de la direction des machines à la manufacture d'armes de Châtellerault. Depuis 1873, il dirige la Société exploitant les ateliers d'Abilly avec cette science et cette perfection qui caractérisent les établissements d'artillerie de l'Etat. Les usines d'Abilly (Indre-et-Loire) ont été fondées, il y a plus de cinquante ans, par M. Louis Pinet père, sur la rivière de Claise, dont la chute fournit la force à l'usine. Sur cette rivière, affluent de la Creuse, M. Louis Pinet avait édifié des ateliers de construction de moulins, papeteries et machineries diverses. EN 1843, M. Joseph Pinet, qui avait alors 22 ans, prit la direction des ateliers, fit plusieurs inventions qui développèrent son établissement, et enfin en 1854 le manège qui porte son nom et qui, par son succès rapide, s'est répandu dans le centre et l'ouest de la France, à une époque où la machinerie agricole était bien rarement adoptée dans les campagnes. Le cultivateur du Centre, peu lettré, regarde avec méfiance les instruments trop compliqués pour son éducation imparfaite, trop chers pour ses ressources. Le bon aspect extérieur des appareils de M. Pinet a triomphé de ces méfiances et a contribué beaucoup à la vulgarisation des procédés mécaniques dans le Centre et l'Ouest de la France. Il faut qu'au premier regard jeté sur une machine, elle ne repousse pas l'agriculteur par sa complication, et que la symétrie et le bon agencement de ses formes, elle indique déjà que ses organes joueront facilement et qu'on n'aura pas le triste échec, après de grands efforts et des frais élevés, d'avoir dans le hangar, exposé à la risée des voisins, une machine qui ne va pas. Dès l'abord, le paysan a vu que les machines de M. Pinet devaient aller, et bien que quelques-unes d'entre-elles ne répondent pas à toutes les données du problème, elles sont restées en faveur dans la grande, la moyenne et même la petite culture. Le manège Pinet réalisait du premier coup le problème depuis  longtemps cherché, d'obtenir une force au moyen des chevaux ou des bœufs de l'agriculteur, sans embarrasser les animaux dans les barres d'une transmission passant sous les pieds. Bien qu'il se fasse un grand nombre de ces manèges dits en dessous, il n'en est pas moins vrai que, dans la plupart des circonstances, ils sont dangereux pour les bestiaux, qu'ils présentent plus de frottement et que leur installation à tiges rigides ou à genouillères est toujours  plus difficile que celle d'une courroie qui peut s'allonger et changer de direction dans tous les sens. La machine agricole mobile ne doit pas avoir la  précision de disposition des machines de l'industrie. Le sol sur lequel elle repose est souvent loin d'être plan ; les chevaux qui la mettent en mouvement n'ont pas la régularité de la vapeur ou d'une chute d'eau. Tantôt, se lançant dans le collier, ils développent une force inopportune ; tantôt ils s'arrêtent tout court, et mettent en danger les organes de la machine et leurs compagnons de travail. Il  y a donc là des conditions particulières que M. Pinet réalisa avec beaucoup de bonheur. La première d'entre-elles était de faire passer la transmission au-dessus des chevaux ; pour cela, il eut l'idée d'élever une colonne centrale en fonte qui représentait renversée une fusée d'environ deux mètres : au centre est une tige portant une poulie à son extrémité supérieure ; son extrémité inférieure se termine par un pivot tournant dans un godet. La tige servant d'axe de rotation est libre dans l'intérieur de la colonne, à l’exception d'un collier de 12 cm environ qui l'étreint à l'extrémité supérieure et dans lequel elle tourne à frottement ; cette colonne creuse est assujettie sur une base formée d'un plaque de fondation en fonte, recevant également toutes les autres pièces du mécanisme, et fixée sur une croix en bois qui pose sur le sol où elle est arrêtée part de forts coins de fer passant dans des anneaux. A la base de la colonne tourne une bague où sont ménagés de deux à six logements pour insérer la tête des leviers. Cette même bague forme le centre d'une roue dentée à dents très fortes qui engrènent avec un pignon placé au centre d'une roue dentée beaucoup plus légère et à dents plus nombreuse. Cette dernière roue engrène avec le pignon fixé à la base de l'essieu qui traverse la fusée et dont l'extrémité supérieure porte la poulie dans la gorge de laquelle passe la courroie. Cette disposition de roues droites a l'avantage de faire agir les dents sur des plans parallèles et non sur des surfaces obliques ; aussi dans les secousses il peut y avoir du jeu sans cependant que les dents cessent de mordre l'une sur l'autre. Dans les circonstances où un pignon d'angle se désengrènerait, les dents parallèles peuvent se toucher par une partie seulement de leur étendue, mais elles ne se séparent pas l'une de l'autre. La difficulté principale de cet agencement était de pouvoir atteindre le centre de la colonne creuse le pignon lié à la tige formant essieu : il faut en effet que la colonne, pour se maintenir droite et supporter l'effort de la poulie, soit fixée solidement sur le sol et que pour cela sa base adhère fortement à la plaque de fonte qui sert de support. Comment donc atteindre ce pignon au travers de la colonne sans en diminuer la stabilité ? En échancrant cette base de quelques centimètres seulement, la dent de la roue de renvoi peut rencontrer une dent du pignon, et cela suffit pour créer le mouvement sans diminuer en rien la stabilité de l'appareil. Cette disposition, qui a rendu tout possible, est le véritable point remarquable de l'invention de M. Pinet. Les bonnes combinaisons du manège Pinet donnent à la poulie de commande une vitesse de 125 tours / mn, et cette vitesse transmise à des poulies d'un plus petit rayon portées par les instruments à faire mouvoir, batteuse, tarares, etc., la multiplie assez pour éviter tous les engrenages  si dangereux contre ceux qui n'ont pas l'usage habituel des machines. Il est cependant nécessaire d'appeler sur ces dangers l'attention des personnes qui possèdent ces manèges et en général tous les manèges à dents découvertes. Il faut absolument interdire au conducteur des chevaux de monter sur les leviers ou même sur la plate-forme qui surmonte l'attache de ces leviers ; les plus graves accidents pourraient en résulter. Je conseillerais à M. Henry de chercher quelques dispositions protectrices contre les imprudences que tendent toujours à commettre des ouvriers inexpérimentés. Il s'est vendu plus de 11000 de ces manèges, et je suis certain qu'Abilly en aurait vendu beaucoup à l'Exposition, si M. Henry avait obtenu assez de place pour répéter au Champ de Mars l'heureuse disposition que je me rappelle avoir été présentée par M. Pinet sur le champ du comice de Châtellerault, il y a déjà quelques années. Le manège n'était pas exposé seul, mais faisait partie d'un ensemble que M. Pinet appelait, je crois l'atelier agricole. C'était sous un hangar, une longue et légère transmission portant plusieurs poulies sur lesquelles s'attelaient successivement divers instruments, pompes, lave-racines, hache-racines, hache-paille, machine à battre, tarare, moulin, et même un tour, afin de façonner au besoin une pièce de fer. L'ensemble, autant que je me rappelle, était d'un prix fort modéré et donnait déjà, à cette époque où les machines étaient encore suspectes, bien grande envie d'acquérir aux agriculteurs qui l'examinaient. Combien d'avantage aujourd'hui, où toute ferme importante a déjà faucheuse et moissonneuse, cet ensemble constitué économiquement et solidement aurait eu des chances de réussir ! La difficulté toujours croissant de réunir les 18 ou 20 personnes nécessaires au service des machines à battre à grand travail aurait fait accueillir avec grande faveur une disposition permettant de s'en affranchir. Le succès  des machines dites batteuses suisses, dont le petit modèle peut, à la rigueur, être mû à bras, vient de cette réaction contre la grande machine ; mais la machine à pointes, suisse ou allemande, ou fabriquée en France, a un grand défaut, même quand elle est assez solidement fabriquée et qu'elle est d'un assez grand modèle pour supporter l'effort d'un manège à un ou deux chevaux. Elle n'est pas ordinairement accompagnée d'un tarare débourreur pouvant être mené par le manège. Il en résulte que le tas de grains et de balles amoncelé rapidement devant la batteuse doit être nettoyé à bras, ce qui est interminable quand il s'agit d'un certain nombre d'hectolitres. L'usine d'Abilly se trouve dans une situation très favorable pour remplir cette lacune : elle possède depuis longtemps, pour compléter son ancienne batteuse en bout, un tarare débourreur excellent, très solide et tout agencé pour être actionné par le manège, en passant par la batteuse sur laquelle les poulies de renvoi sont disposées à cet effet. La combinaison est si intelligemment préparée que le tarare n'a pas besoin d'être placé dans le prolongement de la ligne de direction de la batteuse ; il peut être mis à angle droit quand la place ne se prête pas à cet allongement de l'appareil. Que la machine soit à batteur lisse comme l'ancien modèle Pinet, ou à pointes comme le nouveau modèle fabriqué à Abilly, le raisonnement est le même, et je regrette vraiment pour M. Henry que la place lui ait manqué pour disposer manège, batteuse et débourreurs munis de leurs courroies, afin de montrer combien est simple et pratique la manœuvre de ces excellents appareils. Je n'ai vu, dans toute l'Exposition française et étrangère, aucun autre ensemble pouvant rivaliser sur ce point avec les machines d'Abilly. M. Lanz de Manheim, seul, si mes souvenirs sont exacts, a cette disposition de batteuse et de tarare commandés par le manège et pouvant marcher ensemble ou séparément. Pour fournir le blé livrable au moulin directement, le tarare ordinaire à main suffit, comme après le battage de la plupart des machines mues par la vapeur. On peut également, en changeant les grilles du débourreur, s'en servir pour ce dernier nettoyage. J'établissais dernièrement avec M. Henry le prix d'ensemble de l'appareil complet : Le manège à trois chevaux était compté pour...296 fr. ; La batteuse avec secoueur de paille pour...295 fr. ; Le tarare pour...189 fr. ; Et les courroies pour environ...40 fr ; Le total était alors de 820 fr. Mais en achetant le modèle de machines un peu plus fort, par conséquent plus solide et battant plus de gerbes, on pourrait avec un total de 1000 francs, c'est-à-dire la dépense de deux ou trois années de battage, à la grande batteuse à vapeur, et location, qui ne vient chez vous que le jour qu'il convient à son propriétaire, avoir un appareil de batterie complet. Cet appareil de battage serait desservi par le personnel de la ferme seul, et à votre disposition le jour où il vous plaît de battre ; très facilement transportable d'une ferme à l'autre, il vous laisserait en plus, pendant tout le reste  de l'année, un manège dont la présence rendrait sérieusement efficaces tous les instruments d'intérieur que les ouvriers agricoles se refusent le plus souvent à faire marcher à bras. Telle que l'exposition de M. Henry est disposée, on peut bien voir que ses machines, bois, fer et acier, sont construites par des ateliers bien montés ; mais il est impossible de se figurer exactement les services qu'elles peuvent rendre. Auprès des manèges, batteuses et tarares qui ont fait la réputation de la maison Pinet, une faucheuse et une moissonneuse construites à Abilly montrent les mêmes qualités d'excellente fabrication. La faucheuse a été établie sur le système Wood qu'ont imité tous les constructeurs français ; l'acier fondu, le fer forgé lui donnent une solidité à toute épreuve, et je viens de constater en fauchant des sainfoins et des luzernes dans des pièces assez mal disposées pour le fauchage mécanique. La faucheuse Tourangelle d'Abilly s'est vaillamment comportée dans les secousses et au milieu des pierres, sans éprouver la moindre rupture ni le plus petit dérangement. La bonne courbure des dents de garde, légèrement relevées en pointe de sabot, a mis à l'abri des chocs les dents de la scie. Ces dernières sont fabriquées à Abilly même et trempées seulement dans la partie tranchante ; tout le milieu de la dent restant en acier doux résiste à la rupture bien mieux que si la dent était entièrement durcie. Abilly possède aussi une moissonneuse qui porte son nom et qui s'appelle l'Abillienne ; elle est établie sur le système Johnston qui a été choisi comme type de moissonneuse par les imitateurs français, comme Wood a été imitée comme faucheuse. M. Henry l'a modifiée en substituant le fer à la fonte et l'acier au fer, toutes les fois que cela a été possible : il a combiné un système de graisseurs à fermetures automatiques, qui peuvent être divisées de la machine et ne sont pas fondues avec les pièces comme dans la Wood dont elles sont imitées en partie. Une tige filetée que la trépidation agite légèrement conduit l'huile coulant au long des filets : la bielle reliée au volant par une articulation sphérique analogue à celle de l'ancienne Sprague, mais s'usant beaucoup moins. Par une simple substitution d'engrenages, on peut changer la vitesse de la scie et s'en servir pour faucher des luzernes et des sainfoins, mais non des prés. N'ayant pas à payer les droits énormes qui frappent l'introduction des machines étrangères, M. Henry peut vendre sa faucheuse 550 francs, et sa moissonneuse 950. Nous ne saurions trop engager les agriculteurs français à soutenir les efforts des constructeurs nationaux en se servant de leurs machines : plus l'atelier de réparation est à portée de l'agriculteur, plus tôt il pourra remettre en état sa machine brisée, faussée ou usée. Tout en tenant un compte de reconnaissance à MM. Pilter, Decker et Mot, Rigault, Dudouy, Waite Burnell et autre importateurs qui nous apportent les machines étrangères, nous devons cependant toutes nos sympathies à MM. Henry, Albaret, Hidien, Cumming et autres constructeurs nationaux qui ont eu le courage de s'adonner à la construction des faucheuses et des moissonneuses. Si M. Henry n'est pas le premier qui ait entrepris de vaincre le préjugé qui semblait nous interdire cette fabrication, nous pouvons affirmer qu'il est au moins l'un des premiers, car sa moissonneuse parut avec honneur à l'important concours de Mettray au milieu des meilleures machines étrangères en 1874.

1892

Acquisition des ateliers RENAULT-GOUIN de Sainte-Maure

 

ADIL_1PERU363 Bulletin agricole de la Touraine
N°6, 15 juin 1894
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"La Société des Usines d’Abilly vient d’acquérir les ateliers de M. Renault-Gouin (LH) constructeur à Sainte-Maure, et continue sa fabrication à Abilly. (maisons réunies en 1892)
Spécialité de charrues-vigneronnes à âge multiple
Scarificateurs, herses, houes, extirpateurs, butteurs, etc."

Publié dans Industrie agricole

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