Jean-Baptiste-Jérôme BRUNY baron de la Tour d'Aigues (1724-1795)

Publié le par histoire-agriculture-touraine

Jean-Baptiste-Jérôme BRUNY baron de la Tour d'Aigues (1724-1795)
Né le le 29 août 1724 à La Tour-d'Aigues (Vaucluse)
Décédé le 17 février 1795 à Uzès (Gard)


« amateur des Beaux-Arts, mécène et agronome distingué »
« Féru de sciences naturelles, de botanique et de zoologie, le président de Bruny avait créé dans les domaines de son château de La Tour-d'Aigues un véritable parc animalier, peuplé d'animaux rares et exotiques »


https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_J%C3%A9rome_Bruny_de_La_Tour_d%27Aigues
 

1787


Mémoires d'agriculture, d'économie rurale et domestique, publiés par la Société royale d'agriculture de Paris. Trimestre d'été 1787.
p. 31-40
Mémoire sur l'introduction des moutons et des laines d'Espagne en Provence.
Par M. le Président de la Tour-d'Aigues.
Si Varron, oncle de Columelle, n'eût point appris aux Espagnols, qu'en transposant chez eux des troupeaux d'Afrique, ils pourraient bonifier leu laine, ils n'eussent peut-être pas songé à se procurer une branche de culture qui leur est devenue si avantageuse.
En effet le Royaume du Maroc est pour l'Afrique, ce que la Province de Cachemire est pour l'Asie ; l'un et l'autre sont situés vers le 33e degré de latitude. On sait que sous ce parallèle se trouvent les plus beaux climats de l'univers ; il est donc aussi le plus favorable à la beauté des toisons.
Dans le Royaume du Maroc, la Province de Duquella, située sur l'Océan occidental, a toujours joui des plus belles qualités de laines : aussi est-il probable, que ce fut de là que Varron, et ensuite les Espagnols, ont tiré les plus belles races de moutons, quoique à des époques bien éloignées.
Il est incontestable, que les races transportées se soutiennent dans des latitudes très différentes. Le mouton anglais vient d'Espagne, celui du Texel vient des Indes ; et si le premier a un peu perdu de la finesse de sa laine, elle est devenue plus longue. Ce mouton forme actuellement une des principales races d'Europe [Mérinos], et celui du Texel a conservé tous les avantages de sa taille.
La Suède doit à M. Astroëmer les races de moutons anglaises et espagnoles qui y subsistent encore dans ce moment, et qui n'y ont point dégénéré.
Le mouton d'Arabie, Ovis laticauda, s'est toujours soutenu depuis le Cap-de-Bonne-Espérance jusqu'en Sibérie, puisqu'on le retrouve dans l'Arabie, la Tartarie et enfin la Sibérie. J'ai eu cette race un troupeau métis à la Tour-d'Aigues ; il avait imprimé son caractère distinctif à tous les troupeaux des environs. C'est une bonne espèce pour les boucheries ; les agneaux en sont excellents, et la graisse de la queue, qui ne sent jamais le suif, est un manger très délicat. Cette queue est à peu-près carrée par le haut : il y en a depuis 7 à 8 pouces, jusqu'à des grandeurs démesurées, elle est terminée, vers le bas, par une petite queue ordinaire, ressortant du centre de la masse.
Peu satisfait de leurs laines, je pensais à les bonifier ; un superbe bélier d'Afrique, qu'on me donna, m'en fit d'abord naître l'idée ; sa hauteur et sa longueur me surprirent ; je n'ai pas vu de laine aussi fine que la sienne, et j'aurais tenté de faire servir ce bélier à améliorer les nôtres. Mais malgré tous les avantages de sa forme, il ne m'a donnée des toisons que de deux livres au plus [1 kg]. Je fis donc couper (castrer) cet animal, qu'il ne me fut jamais possible d'engraisser, malgré la meilleure et la plus abondante nourriture. Je le vendis cependant en cet état 18 livres, prix excessif pour la toison, et j'ignore si l'acquéreur a réussi mieux que moi à engraisser ce bélier.
Je cherchai donc une race dont le produit des toisons fût plus considérable, et dont les individus fussent plus analogues à mon terrain ; je crus devoir la tirer d'un pays moins éloigné de la Provence, et je me fixais à la race espagnole.
Je priai un négociant de Marseille de m'en procurer, j'en eus bientôt, mais ils ne séjournèrent pas longtemps chez moi : leur laine était très inférieure aux laines de Provence, et cela était loin de remplir mes vues. Etonné de cet inconvénient, je pris des informations, et j'appris que si l'Espagne avait les plus belles laines, elle en avait aussi des plus mauvaises dans les Provinces bordant la Méditerranée.
Ces provinces, entièrement dédommagées par leurs soies, des avantages qu'elles retireraient des belles toisons, ne participent en aucune manière aux belles laines de Ségovie et de Léon, ni même à celles de qualités inférieures, telles celle d'Aragon, de Murcie et de Navarre. Aussi leurs troupeaux ne voyagent point, et comme ils sont principalement destinés à être engraissés, on coupe (castre) les béliers, dont la viande devient ainsi meilleure et la laine moins bonne : tandis que les béliers de bonne race, qui ne sont jamais faits moutons, donnent de superbes toisons, mais ne fournissent qu'une viande rouge, de mauvais goût, et quelquefois même malsaine ; celles des brebis est surtout dans ce cas.
Ces connaissances acquises, je ne renonçai point à mon projet, et je m'adressai à un autre négociant d'Espagne, lui demandant de faire prendre les moutons plus avant dans les terres. En effet, je reçus de très beaux animaux, soit pour la taille, soit pour la quantité de laine, puisque les béliers me donnaient constamment de 12 à 13 livres de laine, et les brebis, au moins de 7 à 8 livres.
M. Duhamel, qui voulait bien prendre quel qu’intérêt à mes essais, n'ignorant pas d'ailleurs que le pied de la montagne du Lubéron, où mes terres sont situées, est un des meilleurs pâturages de France pour les moutons, me demanda ce que ces animaux pouvaient peser étant morts, c'est-à-dire la viande nette ; j'en fis engraisser deux. Le premier, et le plus avancé en graisse, pesa 80 livres [40 kg], et le second un peu moins, c'est-à-dire 66 livres [33 kg].
Cependant, je ne voyais pas assez de cette finesse et de cet onctueux qui rendait la laine si précieuse ; j'attribuai ces variations au climat ; lors qu’ayant fait la connaissance de M. de Legente, négociant très instruit, résidant depuis longtemps en Espagne, en qualité de Commissaire des fabriques de Languedoc, je l'engageai à venir chez moi pour voir mon troupeau et m'aider de ses conseils.
Il reconnut bientôt que mes bêtes n'étaient ni ségovianes, ni léonnaises, mais navarraises, et par conséquent d'une qualité encore bien inférieure à celles que peut fournir l'Espagne. Il fallut donc me résoudre à une nouvelle réforme, et comme M. de Legente partait pour aller faire des achats, il se chargea lui-même de me procurer de vrais moutons de Léon et de Ségovie.
Il acheta sur les lieux 12 brebis et 2 béliers, mais cette acquisition n'était pas ce qu'il y avait de plus difficile à faire, il fallait conduire ces bêtes du centre de l'Espagne aux frontières, et les faire sortir du Royaume : ce qui est expressément défendu. Le troupeau arriva sur le bord de la Méditerranée, mais aucun vaisseau ne voulut s'en charger, regardant ces moutons comme un objet de contrebande ; enfin, après un long séjour, ils furent embarqués pour le Roussillon ; de là, un autre vaisseau les amena à Cette [Sète] en Languedoc, d'où ils vinrent ensuite à Marseille, après plus de 6 mois de voyage, avec une perte de moitié, et 500 livres de dépense, que je ne regrettai pas, puisque j'avais ce que je désirais depuis si longtemps.
Je fis garder chez moi ce petit troupeau à part, soit afin qu'il fût mieux nourri, soit pour éviter tout mélange avec une race étrangère.
Dès lors, la qualité de mes laines a été fixée indubitablement, et s'est parfaitement soutenue jusqu'à ce jour, c'est-dire-depuis près de 30 ans [1760], et a constamment produit la qualité de laine que j'ai l'honneur de présenter à la Société.
Cette laine égale pour la finesse celle d'Espagne ; elle a même plus de nerf et de force que celle-ci, à qualité égale ; aussi serait-elle plus propre dans la fabrication pour les chaînes des plus beaux draps.
Les fabricants du Languedoc, à qui je la fis essayer, m'assurèrent qu'ils désireraient en avoir beaucoup de pareilles pour en former tous leurs étains ou chaînes, attendu que jamais le fil n'en cassait sur le métier, ce qui leur évitait de faire des nœuds, qui, lors de la tonte des draps, forment des trous dans les étoffes.
Il ne serait pas difficile de rendre cette laine encore plus fine et plus belle qu'elle ne l'est ; il suffirait de renouveler les béliers, en les choisissant de la plus belle race espagnole.
Mais n'ayant pas assez de ces laines pour qu'elles forment un objet important dans cette fabrication, elles servent, en attendant aux manufactures des bonnets de Tunis ; dont il y en a plusieurs à Marseille à l'usage des Barbaresques. On sait que ces bonnets sont tricotés et foulés comme des draps.
M. Roussel, fabricant distingué dans cette partie, emploie mes laines, que le Gouvernement a bien voulu me permettre de faire sortir en les affranchissant de tous droits : obligation que j'eus dans le temps de M. Bertin, Ministre, dont j'ai reconnu plus d'une fois le zèle pour la chose publique, et la grandeur de ses vues, particulièrement lorsqu'il s'agissait de contribuer aux progrès de l'agriculture. M. Roussel, dis-je, m'a confirmé plusieurs fois le bénéfice qu'il retirait de mes laines, en m'assurant qu'avec un quintal des miennes, il faisait passer cinq à six quintaux de celles d'Espagne, courtes et faibles, lesquelles il ne pourrait travailler sans ce secours.
La laine de mes moutons paraît toujours plus sale, à cause de la finesse. Les flocons des plus belles se lient souvent par le suint à leur extrémité, et comme ces toisons sont très serrées, elles conservent intérieurement une huile très onctueuse, qui produit le moelleux des laines de cette qualité.
Mais nous ne voyons pas en Provence ce suint qui se condense en un suif transparent, et que j'avais souvent remarqué dans les laines d'Espagne, qui arrivent en suint à Marseille ; effet qui dépend de l'intensité et de la durée de la chaleur, bien plus considérable en Espagne qu'en Provence.
Quant au lavage, mes laines perdent 50 %, c'est-à-dire, qu'un quintal est réduit à 50 livres, lorsqu'elle est entièrement sèche.
Ce lavage se fait à l'eau chaude : pour cela, on établit une grande chaudière de cuivre auprès d'un ruisseau très clair, et d'où l'eau coule très rapidement : on fait chauffer cette eau au point, que les hommes y puissent tenir seulement les bras ; on y met la laine par partie, et assez pour remplir légèrement le vaisseau ; on l'agite en la froissant dans cette chaudière environ 8 à 10 minutes ; on l'en retire pour l'en jeter dans le ruisseau, où deux hommes, la foulant avec les pieds et avec les mains pour l'écarter, achèvent de la nettoyer. On l'étend ensuite pour la faire sécher sur la grève du ruisseau ou sur les gazons voisins.
On doit observer, qu'il faut toujours laisser dans la chaudière de l'eau sale des premiers lavages, ce qui facilite beaucoup la fonte su suint très tenace de la nouvelle laine qu'on y jette. Le degré de chaleur est aussi un point très important ; si elle était trop faible, le suint ne se détacherait point ; trop forte, elle rendrait la laine raide et lui ôterait tout son soyeux : aussi y a-t-il à Marseille et à Montpellier, des lavages avoués pour ces opérations, dirigés par des personnes très entendues, mais qui ordinairement ne dispensent point les fabricants d'un second lavage, qui est le dégrais, où, pour mieux purifier leur matière première, ils emploient l'urine.
On doit donc être persuadé que la France peut recouvrer les belles laines qu’elle possédait anciennement. En effet, du temps des Gaulois, elles furent les plus estimées des Romains ; cet avantage s'est soutenu jusqu'à ce qu'une loi prohibitive, beaucoup plus moderne soit venue anéantir un aussi antique avantage.
C'est l'effet ordinaire de ces forces de lois en agriculture, parce qu'une fois le coup porté, il faut des siècles pour remédier au mal qu'il a fait.
La France jouissait paisiblement de ses troupeaux, le Marchand et le Cultivateur avaient un intérêt égal à les perfectionner. Avant cette époque, toutes les laines se vendaient par toison, comme cela se pratique encore dans quelques provinces. La vente s'en faisait à l'ouverture du printemps ; le marché conclu, le propriétaire n'avait plus aucun droit sur son troupeau ; le marchand veillait à son bien, il faisait laver les laines à dos, quand il le jugeait à propos, et ordonnait le temps de la toison, instant auquel le troupeau rentrait sous la juridiction pour ainsi dire du propriétaire.
Alors, comme à présent, le négociant fournissait au cultivateur de quoi vivre en hiver, surtout le prix une fois fait ; et sans cela, comment vibrait le peuple des campagnes ? il en est encore de même pour les vers à soie, les huiles et autres grosses récoltes.
On croit cet arrangement abusif, et il parut une ordonnance, qui, comme celle qui concerne la vente des grains en vert, défendit de vendre les laines à dos, et rompit par-là le motif qui rendait communs les intérêts du marchand et du cultivateur. Le premier se réserva le droit d'acheter, après la tonte, la marchandise pour ce qu'elle serait, et le propriétaire, ne trouvant plus dans son troupeau les mêmes secours dans ces moments difficiles, le négligea, n'en eut plus qu'un soin très ordinaire, épargna par nécessité sur la nourriture, et ne garda plus que les mauvais agneaux pour béliers, parc qu'ils auraient moins rendu à la vente : enfin, les troupeaux dépérirent, et ne donnèrent plus que les laines que l'on voit aujourd'hui.
Les inconvénients actuels ne sont pas faciles à détruire, parce que le peuple n'a pas le moyen d'introduire de nouvelles races, qui seules pourraient y apporter remède. Les grands propriétaires, n'habitant plus les campagnes, y prennent trop peu d'intérêt ; et enfin, la crainte d'un impôt arbitraire, qui absorberait le profit et les intérêts de la dépense, rend la chose plus difficile.
Le Gouvernement peut donc seul amener sur cet objet une révolution avantageuse. C'est à la sagesse et à la prudence, à prendre les moyens que les avantages du climat et du sol de la France lui présentent depuis si longtemps ; les exemples ne lui manquent pas, il en est entouré, espérons donc qu'une révolution heureuse qui se prépare pour l'agriculture, en améliore une branche aussi importante.
 

1839

Histoire de l'introduction et de la propagation des Mérinos en France. Ouvrage posthume de M. TESSIER, Inspecteur général des Bergeries royales, Membre de la Société royale et centrale d'agriculture, de l'Institut de France (Académie des sciences), de l'Académie de médicine, etc., et Chevalier des ordres de Saint-Michel et de la Légion d'honneur. Imprimé par ordre de la Société royale et centrale d'agriculture dans un recueil de ses Mémoires pour l'année 1838, Paris, Imprimerie de L. bouchard-Huzard, rue de l'Eperon, 7. 1839. 94 p. 


Extrait :
p. 5
Le premier dont j'ai eu connaissance est M. de la Tour d'Aigues, premier président au parlement d'Aix en Provence. 
Il chercha à plusieurs reprises les moyens d'extraire d'Espagne des Mérinos. Mais cette race n'existant pas seule dans le pays, on le trompa une première et une seconde fois. Enfin, cependant, grâce à sa persévérance, il obtint et acquit douze brebis et deux béliers des meilleures cavagnes [troupeaux], à laine très belle, mais qu'il eut d'autant plus de peine à faire arriver en Provence, après plus de six mois de voyage tant par terre que par mer, qu'aucun vaisseau ne voulait s'en charger, les regardant comme un objet de contrebande. Il en prit beaucoup de soin, et ses laines ont été recherchées. On lit le compte qu'il rendit de sa belle entreprise dans les mémoires de l'ancienne Société d'agriculture de Paris, trimestre d'été, année 1787.
Je ne sais si cette tentative, faite dans un lieu éloigné de la capitale, s'est soutenue longtemps, et si l'on a profité dans la Provence, où l'on élève tant de bêtes à laine.
 

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