DUGUÉ Jacque Antoine Alexandre (1852-1903)
Né à Saint-Saulge (Nièvre) le 25 janvier 1852 ; mort à Tours (Indre-et-Loire) le 15 mai 1903.
Son père, Antoine Marie Dugué est propriétaire agriculteur à Saint-Saulge au lieu dit Bouras. Sa mère est Marie-Louise Girard.
Après des études au lycée de Nevers, il entre à l’Ecole nationale d’agriculture de Grignon (Thiverval-Grignon, Yvelines), d’où il en sort diplômé en 1876.
De1877 à 1878, il est régisseur des propriétés de Léonce de Lavergne à Châtelus-le-Marcheix (Creuse).
La ferme-école et la station de viticulture des Hubaudières sont supprimées le 22 décembre 1880.
Le 11 octobre 1880, il est reçu premier au concours de recrutement pour la Chaire d’agriculture de l’Allier à Moulins. Cependant, par décision ministérielle du 7 décembre 1880, Alaxandre Dugué est nommé professeur de la Chaire d'agriculture du département d'Indre-et-Loire et prend ses fonctions le 11 décembre.
Il épouse Jeanne Caroline Cavalier (fille de colonel) à Montpellier le 30 mai 1885. De cette union naissent deux enfants : Louise Georgette en 1889 et Jean Alexandre en 1892.
De santé fragile, et ayant dépensé beaucoup d’énergie pour développement de l’agriculture du département, Alexandre Dugué décède à l’âge de 51 ans à Tours. Selon ses vœux son corps est transporté en train dans son village natal de la Nièvre pour y être inhumé.
Actions :
Georges Constant, en 1933, dans son livre « L'agriculture du département d'Indre-et-Loire », page 254, écrit : « Le nom de M. Dugué restera attaché à l’œuvre considérable de reconstitution des vignobles détruits par le phylloxéra. »
Lorsqu’Alexandre Dugué débute sa carrière de professeur de la Chaire d'agriculture, le phylloxéra, remontant du sud de la France, est déjà présent dans la région Centre. Les premiers dégâts sont détectés officiellement en Indre-et-Loire en 1882 et se propagent très rapidement. Antoine Dugué est de suite propulsé en première ligne pour étudier l’épidémie et mettre en place la lutte. Il est délégué par le Conseil général pour représenter le département d’Indre-et-Loire au congrès phylloxérique réuni à Bordeaux en octobre 1881. Il est nommé membre de la Commission de visite des vignes mise en place par le Préfet et informe en permanence les autorités de l’évolution des ravages. Le greffage des cépages français sur des porte-greffes américains résistants à l’insecte s’avère être la méthode la plus efficace de lutte. Elle commence à faire ses preuves dans le midi de la France. En 1889, Antoine Dugué organise des cours de greffages à Tours et dans plusieurs centres du département. Ces cours pratiques sont donnés chaque année pendant dix ans, permettant de former environ 500 greffeurs diplômés. C’est grâce à eux que le vignoble du département est reconstitué dans un temps record. Alexandre Dugué aide les syndicats cantonaux à créer des pépinières pour multiplier les greffons américains et tester leur tolérance aux sols calcaires.
Il donne des cours d’agriculture à l’Ecole normale d’instituteurs de Loches et au Lycée de Tours. C’est lui qui initie en 1898, le concours de monographies communales agricoles pour les instituteurs.
Alexandre Dugué fait des conférences publiques dans les cantons sur tout sujet agricole présentant un intérêt pour l’agriculture locale. C’est ainsi qu’en 1881, de janvier à novembre il sillonne le département et donne une quarantaine de conférences publiques.
En 1880, il devient membre titulaire de la Société d’Agriculture d’Indre-et-Loire, en 1881 il est nommé secrétaire de la section d’agriculture et en 1889 il est élu vice-président.
Lors du Concours régional agricole qui se tient à Tours en 1892, Alexandre Dugué est promu Officier du Mérite agricole.
1903
Annales de la Société d'agriculture sciences arts et belles-lettres du département d'Indre-et-Loire, Tome LXXXIII, 1903
p. 48-49.
OBSEQUES DE M. A. DUGUE, professeur départemental d'agriculture et ancien vice-président de la Société. Le 14 mai dernier, la triste nouvelle de la mort de M. Dugué, professeur départemental d'agriculture, venait nous surprendre et causait dans le monde agricole une véritable et cruelle émotion. Intimement attaché à notre compagnie, M. Dugué s'y était fait un place à part aussi bien par son infatigable travail que par ses connaissances exceptionnelles et son affabilité. Ses obsèques ont eu lieu à Tours, le dimanche 17 [culte protestant], au milieu d'une affluence considérable ; de nombreuses couronnes avaient été envoyées, notamment par la ville de Tours et par la Société d'agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire. Sur le quai d'embarquement, avant le départ du train qui devait emporter les restes de M. Dugué vers la Nièvre, dans son pays natal, M. Alluchon, président de la Société, a prononcé le discours suivant :
DISCOURS DE M. ALLUCHON
C’est sous l’influence d’une poignante et douloureuse émotion que je viens dire un dernier adieu au nom de la Société d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d’Indre-et-Loire, à celui que la mort vient de ravir à l’affection de sa famille et à celle de nombreux amis.
Dugué était professeur départemental à Tours depuis vingt-trois ans et ce fut le premier qui créa et organisa cette chaire d’agriculture, laquelle, sous son habile direction, son infatigable activité et ses hautes connaissances théoriques et pratiques, rendit de si grands et si éminents services à notre Touraine agricole et viticole.
Le regretté défunt avait été membre de la Société d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département d’Indre-et-Loire, le 10 juillet 1880 ; vice-président du 9 février 1889 au 14 janvier 1899 c’est-à-dire pendant 10 ans.
Ainsi, pendant vingt-trois ans, l’excellent collègue et ami que nous pleurons aujourd’hui n’avait cessé d’être, au milieu de nous, celui dont les conseils étaient toujours les plus écoutés.
Il fut aussi l’âme de nos concours de greffage qu’il dirigeait avec tant de dévouement et de savoir, car Dugué, avec ses connaissances élevées en agriculture, était aussi doublé d’un excellent praticien.
Sa mort laisse un vide considérable dans notre département qu’il avait parcouru dans tous les sens, dont il connaissait toutes les populations, le caractère, les besoins ; la disparition si inattendue de cet homme bon et serviable à tous est un deuil cruel pour le département tout entier, car Dugé a succombé par suite d’un surmenage excessif, victime de son dévouement professionnel : il est mort comme le plus vaillant des soldats : l’arme à la main. Sa mémoire restera gravée profondément dans le cœur de tous ceux qui l’ont connu.
Que cette existence de travail et de labeur, si bien remplie, serve d’exemple aux générations futures.
Au nom de la Société d’Agriculture du département, au nom des syndicats et des Associations agricoles que le regretté défunt avait tant contribué à créer, nous lui adressons un dernier et suprême adieu.
Nous demandons à veuve éplorée, à sa fille qu’il aimait si tendrement et à son vieux père dont il était le légitime orgueil de bien vouloir agréer, en cette douloureuse circonstance, l’hommage de nos respectueuses condoléances.
Décès de M. A. Dugué
Professeur départemental d’agriculture d’Indre-et-Loire
Un deuil aussi cruel qu’inattendu nous prive désormais de la chronique si vivante et si instructive qui emplissait les premières pages de ce bulletin.
M. Dugué, professeur départemental d’agriculture, succombant sous l’excès du surmenage qui l’avait déjà affaibli, est mort le 14 mai à l’âge de 51 ans.
De plus autorisés vont retracer sa longue carrière, qu’il a toute accomplie en Touraine, où sa mort cause d’unanimes regrets. Mais je ne veux pas laisser passe l’occasion de présenter à la famille de celui je fus le collaborateur et l’ami, l’hommage de ma profonde et respectueuse sympathie.
V. A.
NOTICE SUR M. DUGUÉ par Ernest MENAULT, Inspecteur général de l’agriculture.
Professeur départemental d’agriculture d’Indre-et-Loire
N’ayant pu assister, à mon grand regret, à l’enterrement d’un homme que j’avais en estime et en profonde affection, je vous remercie, Monsieur le Directeur, d’avoir bien voulu me réserver une place dans votre Bulletin pour dire quelle perte vient d’éprouver le département d’Indre-et-Loire dans la disparition de son vaillant professeur d’agriculture.
Quand il obtint au concours la première chaire d’agriculture créée à Tours en 1880 (il avait alors 29 ans), c’était un grand jeune homme à la physionomie agréable, le front haut, la chevelure abondante, le regard bienveillant plein d’éclairs énergiques, la parole claire, mêlée d’intonations douces et fortes, le sourire fin, parfois ironique, le geste accompagnant bien la parole, la marche rapide, l’attitude résolue, c’était un homme d’action, d’un caractère loyal et franc.
La fonction qui lui était confiée était lourde dans un département aussi étendu et de cultures si variées, elle n’était pas au dessus de la capacité d’un professeur jeune mais bien préparé pour la remplir.
Dugué est né à Saint-Saulge (Nièvre). Son père, regrettant de n’avoir pas reçu une instruction complète, voulut faire donner à son fils ce qu’il n’avait pas reçu ; il le fit entrer au collège de Nevers, où il fut un bon élève. De là, il le dirigea vers l’Ecole nationale d’agriculture de Grignon ; où il fit de bonnes études, et obtint le Diplôme de sortie.
A vingt-trois ans, il fut agréé par un éminent économiste, M. Léonce de Lavergne qui lui donna à régir une de ses grandes propriétés située dans la Creuse. Le jeune Dugué lui avait inspiré confiance, il ne s’était pas trompé. Elevé dans une famille aux Bourras, près des Saint-Saulge, en plein terrain granitique, il avait vu son père, bon praticien, employer dans ses champs des amendements calcaires, des engrais chimiques, établir des drainages, faire des irrigations, créer des prés. Toutes ces pratiques agricoles lui avaient été confirmées dans les leçons des professeurs de Grignon.
Aussi, quand il fut installé dans la propriété de M. Léonce de Lavergne, située dans l’arrondissement de Bourganeuf, au milieu d’un terrain granitique, il sut comment l’exploiter. Il connaissait l’importance des amendements et des engrais complémentaires, il savait comment on pouvait faire pousser du blé dans les terres ù l’on ne voyait jadis que du seigle ou du sarrasin. Il créa un vaste système d’irrigation pour l’arrosage d’une grande étendue de prairies naturelles ; il améliora la valeur des foins, et par suite, la valeur des animaux ; mais ce jeune homme auquel il aurait fallu un travail modéré pour suffire à sa croissance, ayant plus d’ardeur que de forces, sa fatigua dans cette œuvre de transformation, il dut y renoncer ; néanmoins, elle était en bonne voie et presqu’accomplie à la satisfaction du propriétaire.
A quelque temps de là, il fut nommé chef de la station de viticulture créée à la ferme-école des Hubaudières dirigée par M. Nanquette, située à quelques lieus de Loches dans un des cantons les plus ingrats de la Touraine. Le domaine n’avait que 162 hectares, composés, cependant, en majeure partie, de bonnes terres soumises à une culture intensive avec de belles céréales et d’abondants fourrages. Les terres maigres, ayant une certaine profondeur, formaient de bons vignobles.
La création la plus remarquable de cette ferme-école fut l’établissement d’un vignoble de 20 hectares traités d’après les procédés les plus nouveaux de la viticulture. Ce fut pour Dugué, fils de vigneron, une bonne situation d’être nommé chef de la station de viticulture des Hubaudières, et comme il était professeur dans cet établissement et à l’école normale de Loches, il donna à ses élèves d’excellentes leçons de viticulture. Il s’adonna aussi tout spécialement à l’étude des engrais chimiques appliqués aux différents sols. Pour lui, le domaine des Hubaudières fut un vaste champ de démonstration, dont il faisait connaître les résultats à ses élèves et aux cultivateurs par les communications adressées aux journaux d’agriculture du département.
En arrivant à Tours, Dugué avait donc la science et la pratique suffisantes pour cette chaire importante qu’il occupa dès le début avec autorité.
Cinq ans après son installation, le professeur est entré dans une famille très honorable de Montpellier. Il épousa mademoiselle Cavalier dont le père, élève de l’école polytechnique, était sorti dans le corps des artilleurs. Il a fait les guerres d’Afrique, les guerres de Crimée, la guerre de 1870 sous Paris comme officier d’ordonnance ; sa santé en fut fort ébranlée. Parvenu au grade le lieutenant-colonel, il a été obligé de devancer l’âge de la retraite. Il est mort en 1879 à Montpellier, il était officier de la Légion d’honneur.
Madame veuve Cavalier, femme d’un esprit très distingué et d’un grand cœur, donna à ses deux filles une instruction supérieure. Aussi mademoiselle Cavalier, devenue madame Dugué, a été pour son mari une compagne apte à le comprendre, à le soutenir dans sa carrière. Sa mère a souvent vécu avec eux, et que de fois je lui ai entendu dire qu’elle aimait son gendre comme un fils. Voilà l’excellente famille dans laquelle Dugué est entré et où il a passé d’heureuses années.
Nommé inspecteur de la région comprenant le département d’Indre-et-Loire, je n’ai pas tardé à connaître le professeur d’agriculture. Après avoir lu ses rapports, l’avoir entendu dans ses conférences, j’avais apprécié sa valeur. Aussi je me le suis attaché, il m’a accompagné dans tous mes concours : à Nevers, à Bourges, à Châteauroux, à Tours, à Annecy, à Roanne, à Blois, à Orléans, au concours général de Paris etc.
Il était chargé du commissariat le plus important, celui de l’espèce bovine. Partout, il a été actif, vigilant, toujours prêt à répondre aux réclamations des exposants.
Je l’ai pris ensuite comme membre du Jury, dans mes tournées de prime d’honneur. Et en 1887, je l’ai chargé du rapport de la Commission dans le département de l’Indre. Il s’en est acquitté à la satisfaction de tous.
Son rapport est bien ordonné, il a bien étudié les différentes régions du Berry. Il en a fait ressortir habilement le physionomie, il s’est plu à décrire le Boischaut, et surtout l’arrondissement de la Châtre où il retrouvé son cher Nivernais : la fertilité du sol, l’importance des prairies, des haies servant de clôture, la robe plus ou moins blanche de la race nivernaise ; il a poussé les concurrents à la transformation des terres en herbages, exploités à l’instar de l’Allier, de la Nièvre et de la Normandie. Il n’a pas manqué d’indiquer les désiderata, d’insister sur l’emploi des phosphates, sur l’amélioration des animaux par la sélection des reproducteurs, conseils qui ont été suivis.
Il ne voulut point quitter l’arrondissement de la Châtre, terre privilégiée, sans rendre hommage à George Sand, au grand écrivain qui a décrit avec tant de charme les fraîches vallées de l’Indre, de la Gargilesse, les sites pittoresques des bords de la Creuse.
Dans les tournées de prime d’honneur, Dugué était infatigable, il voulait tout voir, tout savoir, il arrivait toujours son carnet plein d’observations, de remarques judicieuses : et le soir, malgré la lassitude, il discutait avec chaleur le mérite des concurrents. Il fallait tenir compte de son opinion toujours motivée.
En dehors des concours, des tournées de prime d’honneur, le Professeur se faisait remarquer par le choix de ses sujets de conférences. Sa parole convaincue, entraînante, ses connaissances pratiques captivaient ses auditeurs. La leçon terminée, il se mettait à la disposition des personnes qui avaient besoin d’explications, de renseignements. Il avait la réponse toujours prête. La causerie durait quelquefois aussi longtemps que la leçon. Il ne s’en tenait pas là, souvent, il allait voir les domaines ; il était surtout heureux de visiter les petits cultivateurs, les vignerons qui avaient grand besoin d’être conseillés.
Ce n’est pas seulement à leur appel qu’il répondait, c’était aussi à l’appel des sociétés, des syndicats. Tous les agriculteurs savent mieux que moi tout le dévouement du Professeur, quelle ardeur il a montré dans la lutte contre le phylloxéra.
Il a organisé des syndicats antiphylloxériques dans les cantons et les communes, il les a constitués en assurance mutuelle, et chacun des membres, dans la mesure de ses ressources et proportionnellement à l’importance du vignoble, a donné une somme pour combattre le fléau dans les communes envahies.
Les syndicats cantonaux de Vouvray et d’Amboise formés en 1882 comprenaient plus de mille adhérents et il avait pu les amener à l’idée de mutualité et de solidarité. Ce résultat il l’a obtenu à force de dévouement, étant tous les jours sur la brèche, allant partout à la recherche de l’ennemi. Il l’a découvert dans plus de 100 communes. Une fois trouvé, il lui a livré une bataille acharné ; il a organisé la défense, puis la reconstitution des vignobles, il a créé à Mettray une pépinière de cépages américains.
Malgré les incrédules, les indifférents, les apathiques, à force de persévérance, en allant partout faire entendre sa parole chaude et vibrante, on peut dire, sans être taxé d’exagération, que le Professeur départemental a été l’âme de la reconstitution du vignoble renommé de la Touraine.
Aussi bien, personne plus que lui n’a combattu les falsificateurs d’engrais et de semences. Il fallait entendre son indignation, son accent ironique, ses gestes de dédain contre ces fabricants fraudeurs qui croyaient, comme l’a dit Proudhon, que le commerce est le vol autorisé.
Si la parole de Dugué était énergique, sa plume était mordante ; aussi avec quelle vigueur dans ses articles publiés dans la presse agricole du département, a-t-il flétri ces dupeurs des gens de la campagne. C’est surtout contre eux qu’il a songé à créer un laboratoire départemental d’analyses agricoles avec la coopération des communes, des Comices, de la Société d’agriculture et du département.
Ce n’est pas tout, je puis affirmer que tous les rapports sur les champs d’expériences et de démonstrations des Professeurs de ma région d’inspection, il y en avait peu de plus intéressants que ceux du Professeur de Tours.
Ils étaient exposés clairement, on sentait que les expériences avaient été bien dirigées, contrôlées ; on pouvait avoir confiance dans les conclusions.
L’autorité du professeur départemental était devenue telle que, dans les expertises agricoles, il était fréquemment appelé et toujours son appréciation était prise en grande considération.
Quoique incomplètement rapportés, les services rendus par M. Dugué à l’agriculture m’ont apparu utile à faire connaître, parce qu’ils sont bien conformes aux devoirs si bien tracés dans la circulaire du 9 janvier 1880 qui a été adressée aux professeurs départementaux et dans laquelle il est facile de reconnaître les idées de l’éminent directeur, M. Tisserand, et dont voici les principaux passages :
« Votre mission est de tenir les cultivateurs au courant des découvertes modernes et des inventions nouvelles d’une application économique avantageuse, de façon à ne rien leur laisser ignorer de ce qu’ils doivent savoir, à les entraîner dans le mouvement général du progrès auquel ils participent trop peu, en raison de leur éloignement.
« Vous aurez à leur faire connaître les améliorations à introduire dans les procédés de culture, dans le choix de l’alimentation des animaux ; vous appellerez aussi leur attention sur la fabrication des engrais, leur utilisation, la manière d’en accroître la quantité.
« Vous leur montrerez les avantages qu’il y a à bien choisir les semences et à combattre les mauvaises plantes, les parasite de toutes nature qui ravagent les récoltes.
« Vous développerez en eux l’esprit de progrès, et cet esprit d’initiative qui fait qu’on n’attend pas tout du pouvoir et du temps, mais beaucoup de soi-même. Vous aurez soin de citer en exemple les résultats obtenus par les cultivateurs éclairés qui emploient de bonnes méthodes.
« C’est en restant sur le terrain des améliorations pratiques, des opérations expérimentées et d’un intérêt immédiat, que vous saurez gagner la confiance des cultivateurs et atteindre le but poursuivi.
« Votre langage sera clair, dénué de toute expression qui ne serait pas compréhensible pour tous vos auditeurs. Vous ne devrez pas perdre de vue que, comme conférencier, votre rôle est celui d’un vulgarisateur du progrès, ce qui n’exclut, d’ailleurs, ni l’élévation de la pensée, ni l’élégance de la forme. »
Dugué a été certainement un de ceux parmi les Professeurs départementaux qui ont le mieux réalisé ce que leur demandait la circulaire du Ministère de l’Agriculture.
Il s’est dévoué corps et âme à son enseignement, il y a épuisé ses forces. Depuis quelques années, je voyais sa santé s’affaiblir ; il avait besoin de se ménager, mais il n’écoutait que son ardeur au travail.
Tous ceux qui l’ont connu, à quelque parti qu’ils appartiennent, ont rendu justice à sa compétence, à son honorabilité. Aussi, la ville de Tours lui a témoigné toute sa confiance en le chargeant de différentes fonctions qu’il remplissait toujours avec conscience.
Et j’ai été heureux d’apprendre que M. Lardin de Musset, préfet d’Indre-et-Loire, que, d’accord avec les députés et sénateurs du département, il devait le porter en tête de la liste de propositions pour la croix de la Légion d’honneur au 14 juillet prochain.
Quelle joie c’eut été pour son vieux père, pour sa famille et celle de Madame Dugué, s’ils avaient pu voir cette croix sur la poitrine de ce vaillant Professeur, si aimé, si estimé.
Affaibli par une maladie qui aurait exigé du repos, beaucoup de prudence, il a été emporté en quelques jours, laissant d’amers regrets à sa famille, à sa femme, à sa fille bien aimée, à Madame Cavalier, sa belle-mère, à ses nombreux amis, à tous ceux qui, l’ayant connu, l’ont estimé.
Mais quel profond chagrin pour son père âgé de 83 ans et déjà si éprouvé par la mort de sa femme et de sa seconde fille, courageuses comme lui.
Que de rêves évanouis, d’espérances déçues. Il a vu partir encore avant lui ce fils dont il était fier et à qui il voulait laisser le domaine patrimonial cultivé par lui avec tant d’énergie, d’intelligence et d’amour, et que son fils aurait cultivé, amélioré, agrandi à son tour.
Pour ce domaine, M. Dugué père avait obtenu de la commission de Prime d’honneur, en 1887, un prix cultural avec félicitations. Il l’avait bien mérité pour ses cultures, mais aussi pour ses animaux, car il était un éleveur distingué, plusieurs fois lauréat au concours général de Paris.
Cette propriété où ira-t-elle, qui la cultivera désormais ? Ce vaillant pionnier de l’agriculture a été accablé par cette triste idée, et comme anéanti dans sa douleur.
Quelle consolation lui donner ? Cela ne nous est pas possible, il y en a une, mais elle est en lui seul, c’est d’avoir accompli sa tâche, c’est d’avoir eu un fils tel qu’il désirait qu’il fût, un honnête homme, intelligent, laborieux comme lui, comme lui un homme de devoir.
Nous serions tous moins tristes si ce vaillant vieillard pouvait se roidir contre une séparation si cruelle, s’il songeait que lui et son fils unis dans le devoir accompli, s’il se persuadait que ce qu’ils ont fait de bien tous deux est indestructible. Le temps même ne saurait y porter atteinte. Le bien reste vivant dans l’humanité. Il est la consolation suprême des âmes fortes et généreuses.
Ernest MENAULT
Inspecteur général de l’agriculture.
DISCOURS DE M. Eugène ALLUCHON Président de la Société d'Agriculture
Voici l’allocution prononcée aux obsèques de M. Dugué par M. Alluchon.
C’est sous l’influence d’une poignante et douloureuse émotion que je viens dire un dernier adieu au nom de la Société d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d’Indre-et-Loire, à celui que la mort vient de ravir à l’affection de sa famille et à celle de nombreux amis.
Dugué était professeur départemental à Tours depuis vingt-trois ans et ce fut le premier qui créa et organisa cette chaire d’agriculture, laquelle, sous son habile direction, son infatigable activité et ses hautes connaissances théoriques et pratiques, rendit de si grands et si éminents services à notre Touraine agricole et viticole.
Le regretté défunt avait été membre de la Société d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département d’Indre-et-Loire, le 10 juillet 1880 ; vice-président du 9 février 1889 au 14 janvier 1899 c’est-à-dire pendant 10 ans.
Ainsi, pendant vingt-trois ans, l’excellent collègue et ami que nous pleurons aujourd’hui n’avait cessé d’être, au milieu de nous, celui dont les conseils étaient toujours les plus écoutés.
Il fut aussi l’âme de nos concours de greffage qu’il dirigeait avec tant de dévouement et de savoir, car Dugué, avec ses connaissances élevées en agriculture, était aussi doublé d’un excellent praticien.
Sa mort laisse un vide considérable dans notre département qu’il avait parcouru dans tous les sens, dont il connaissait toutes les populations, le caractère, les besoins ; la disparition si inattendue de cet homme bon et serviable à tous est un deuil cruel pour le département tout entier, car Dugué a succombé par suite d’un surmenage excessif, victime de son dévouement professionnel : il est mort comme le plus vaillant des soldats : l’arme à la main. Sa mémoire restera gravée profondément dans le cœur de tous ceux qui l’ont connu.
Que cette existence de travail et de labeur, si bien remplie, serve d’exemple aux générations futures.
Au nom de la Société d’Agriculture du département, au nom des syndicats et des Associations agricoles que le regretté défunt avait tant contribué à créer, nous lui adressons un dernier et suprême adieu.
Nous demandons à veuve éplorée, à sa fille qu’il aimait si tendrement et à son vieux père dont il était le légitime orgueil de bien vouloir agréer, en cette douloureuse circonstance, l’hommage de nos respectueuses condoléances.
Mesdames, Messieurs,
Personne d’entre nous tous n’est certainement encore remis de la douloureuse stupeur que nous a causé la disparition si inattendue, si imprévue de celui que nous accompagnons pour la dernière fois en cette triste et brumeuse journée.
La mort de M. Dugué est un deuil cruel non seulement pour sa famille et ses amis, mais aussi pour l’agriculture et la viticulture de l’Indre-et-Loire et de toute la contrée, qui perdent en lui un guide sût, éclairé et écouté de tous.
Né en 1852, à Saint-Saulge (Nièvre), après avoir été un brillant élève de l’Ecole nationale d’agriculture, Dugué vint aux Hubaudières où, la théorie acquise, il se familiarise avec la pratique agricole et viticole et acquiert vite, par ses travaux personnels et la continuation de ses études, toutes les qualités d’un savant ampélographe.
Les jours néfastes, qui voient le plus cruel fléau s’abattre sur la viticulture et qui vont nous mettre aux prises avec la crise phylloxérique, le trouvent professeur départemental à Tours. Vous savez mieux que moi, Messieurs, les luttes qu’il est alors obligé de soutenir contre les vignerons routiniers, aussi insensés que récalcitrants, qui ne veulent pas se rendre pas se rendre à l’évidence, qui reçoivent le délégué du service phylloxérique la menace et l’insulte à la bouche ; après bien des efforts, sans un instant de défaillance, toujours sur la brèche, Dugué parvient enfin à faire entendre raison même aux plus entêtés ; oui, la lutte est dure, et malheureusement les efforts de la science ne servent qu’à prolonger un peu l’existence de nos belles souches. L’ennemi continue, malgré les obstacles les plus savants, sa marche souterraine et lente, jusqu’au moment où la vigne américaine fait son apparition.
Profitant des exemples qu’il a pu voir dans le Midi, Dugué créé partout des cours de greffage, multiplie ses conférences, ses champs d’expériences, parcourt en tous sens le département, redonne un peu de courage aux plus désemparés et aux plus abattus, paye partout largement de sa personne, sans modération aucune, et devient sans conteste la cheville ouvrière de la reconstitution par le greffage, et définitivement l’auteur de la création, du perfectionnement et de la prospérité de ce beau et unique vignoble tourangeau qui fait l’admirations des connaisseurs les plus difficiles.
Tout en se multipliant sans compter, en parcourant journellement toute la contrée et en accomplissant scrupuleusement sa rude besogne de professeur départemental d’agriculture, il trouve facilement encore le moyen d’éclairer les agriculteurs d ses très sages conseils, dans des articles clairs et précis, écrits d’une plume exercée, vive, spirituelle, défendant obstinément ses convictions et ses croyances, et traquant sans merci les fraudeurs de tout acabit.
S’il avait la plume alerte, il avait d’ailleurs également la parole facile, agréable et entrainante, il savait mieux que personne retenir l’attention de son auditoire et l’intéresser, malgré les sujets arides et ingrats que sa profession l’appelait à traiter en public. Dans la conversation, ses réparties vives et justes, ses chaudes et brillantes improvisations, sa parole originale, hardie, toujours exempte de banalité, dévoilaient une âme ardente et fortement trempée, cherchant pour les autres le progrès et le bien-être.
Nommé en 1886 chevalier et en 1892 officier du Mérite agricole, Dugué fut, de toute la France, le promoteur et le créateur de la première association amicale des membres de cet ordre ; en acceptant la présidence de la Société, il garde pour lui tout le travail, toute la fatigue et les ennuis toujours inévitables lorsqu’on a, comme lui, à cœur de remplir totalement son devoirs, d’assister régulièrement, jusque dans les coins les plus reculés du département, aux funérailles des membres décédés et de prendre sur son sommeil le temps de bâtir à la hâte le discours qui accompagnera la modeste couronne offerte par la Société .
Nous l’avions encore parmi nous – il y a peu de jours – présidant l’une de nos réunions, avec sa bonne humeur habituelle, et nous invitant à faire choix d’un vice-président, en remplacement de M. Rémy, ex-président du Comice de Loches. Qui donc parmi nous aurait pu se douter alors que nous aurions à choisir aussi notre président ?
Hélas ! il faut se rendre à l’évidence, notre pauvre président et ami dort là son dernier sommeil, brutalement et impitoyablement enlevé à l’affection des siens ; nous ne le reverrons plus, nous, ses bons amis, sa poignée de main si empressée et si cordiale, mais nous n’oublieront jamais ni la collaboration désintéressée, ni les témoignages d’affectueux intérêts qu’il ne cessa de prodiguer à notre association du Mérite agricole et à note Union vinicole.
Ces deux sociétés gardent de vous, mon cher Dugué, un impérissable et pieux souvenir et vous adressent leur bien triste et dernier adieu.
Que les vôtres daignent accepter nos compliments de bien vives et sincères condoléances et que ces témoignages unanimes de sympathie soient un adoucissement à leur profonde douleur.
Discours prononcé par M. Suard-Amirault, président du Comice de Chinon.
Au nom de l’Union des trois Comices agricoles d’Indre-et-Loire, où M. Dugué ne comptait que des amis, j’apporte devant le cercueil, qui tout à l’heure partira pour la Nièvre, l’expression des sentiments de profonde douleur que tous nous avons éprouvés à la nouvelle de la mort, si imprévue de notre cher professeur, de celui qui occupait de puis près de vingt-trois ans, avec tant de distinction, la chaire départementale d’agriculture.
Ceux qui l’approchaient souvent, le savaient bien d’une santé chancelante : ils savaient aussi qu’il se surmenait beaucoup trop. Ils ne croyaient pas toutefois que sa fin devait être si proche, si proche la séparation dernière. J’ai dit que M. Dugué se surmenait beaucoup plus que ne le permettait l’état de sa santé. C’est qu’il était de ceux qui se dépensent sans compter, qui sont toujours prêts à rendre service, chaque fois qu’on fait appel à leur savoir et à leur dévouement.
Jamais, en effet, un agriculteur ne lui demandait un avis, un conseil, sans recevoir aussitôt tous les renseignements de nature à l’éclairer et à lui éviter des erreurs regrettables et coûteuses.
En lui, s’alliaient à de solides connaissances théoriques des notions pratiques très étendues qui étaient le fruit des observations qu’il faisait fréquemment au milieu des champs, où il aimait aller contrôler les résultats obtenus d’après ses conseils.
Une franchise et une fermeté à toute épreuve, et bien connues de tous, étaient le caractère distinctif de M. Dugué dont l’esprit large, l’intelligence si ouverte et le jugement très sûr étaient précieux pour les jurys dont il faisait partie et où des avis étaient toujours hautement considérés parce que, toujours, ils étaient empreint de la plus rigoureuse impartialité et d’une connaissance approfondie des hommes et des choses.
Tel était l’homme loyal et généreux, si fidèle à ses amis, si serviable pour tous, que nous avons perdu.
Son souvenir restera gravé dans le cœur de ceux qui l’on connu.
Sa disparition laisse un vides immense dans le monde agricole de notre département et au sein de sa famille pour laquelle il avait une si vive affection.
Puisse ce faible témoignage d’amitié et de reconnaissance être un allégement à l’immense douleur de tous les siens et en particulier de sa veuve, de sa fille, de son vieux père dont il était le légitime orgueil et qu’il trop tôt, hélas !
Au nom des agriculteurs de cette Touraine, que vous connaissiez jusque dans ses moindres recoins et que vous aimiez tant, adieu pour toujours, mon cher Dugué, adieu !
Comice agricole de l’arrondissement de Tours.
Assemblée générale du 16 mai [Dugué est décédé la veille]
Présidence de M. Tiphaine, député, assisté de MM. Mabille, vice-président ; Testu, secrétaire-trésorier et de la plupart des délégués cantonaux.
80 membres assistaient à la réunion.
M. le président, en ouvrant la séance, annonce le deuil qui vient de frapper l’agriculture dans la personne de M. Dugué. Il fait l’éloge du savant professeur que la mort vient d’enlever à l’affection des siens et à l’estime générale ; il retrace sa vie laborieuse, toute de dévouement et de science ; et il est convenu que l’assemblée entière partagera le profond regret que lui cause la perte d’un homme aussi utile au pays.
Le Comice s’associe de tout cœur aux paroles du président, et il charge le bureau d’exprimer à Mme Dugué la part bien sincère qu’il prend à son immense douleur.
Une couronne sera déposée, au nom de la Société, sur la tombe du regretté professeur, comme un témoignage de sa haute sympathie.
Annales de la Société d'agriculture sciences arts et belles-lettres du département d'Indre-et-Loire, Tome LXXXIII, 1903 p. 101. Séance du 11 juillet 1903.
Lettre de Madame Dugué par laquelle, en souvenir de son mari, elle offre à notre Société pour sa bibliothèque la série des Annales de l'Ecole d'Agriculture de Montpellier. De vifs remerciements sont adressés à Mme Dugué pour sa délicate attention.
Tiré-à-part : DESBONS Pierre, La première chaire départementale d'agriculture d'Indre-et-Loire (1880-1903), Bulletin de la Société archéologique de Touraine, Tome LXI, 2015, p. 225-231
Dictionnaire des scientifiques de Touraine PUR 2017, pages 191-192