MATHIEU DE DOMBASLE (père) Christophe Joseph Alaxandre (1777-1843)
Portrait ; statue Place Mathieu de Dombasle à Nancy
BOULAINE Jean, Histoire de l’Agronomie en France, TEC & DOC LAVOISIER, Paris 1992, 392 pages.
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Christophe MATHIEU DE DOMBASLE (1777-1843)
Né à Nancy en 1777 et décédé le 28 décembre 1843. Membre de la Société d’Agriculture de Paris en 1834. Correspondant de l’Académie des Sciences.
Fils d’un grand maître des Eaux et Forêts, militaire sous l’Empire, il complète sa formation scientifique et créé une sucrerie de betteraves et une distillerie. En 1822, on lui confie, pour vingt ans la ferme de Roville dont il fait une ferme expérimentale et une école d’agriculture privée.
Il introduit la culture du lin en Lorraine, montre l’intérêt de la chaux pour améliorer la structure des terres argileuses, et multiplie les façons culturales. Il créé pour cela une charrue célèbre, des instruments aratoires qu’il fabrique ; son usine lui permet de combler le déficit de son exploitation. En effet, malgré tous ses efforts, le rendement de ses céréales ne dépasse pas 11-12 q/ha. Georges Ville, à juste raison, en tirera argument, trente ans plus tard, pour justifier l’emploi des engrais chimiques.
Mathieu de Dombasle a traduit Thaër (1821), et Sainclair (1825) et il a écrit plusieurs ouvrages agronomiques ainsi que les Annales de Roville publiées seulement en 1865. Son influence a été considérable à travers ses écrits et surtout ses élèves-stagiaires qui ont vulgarisé ses démarches et ses théories agronomiques : Rieffel, fondateur de Grandjouan, et Bella fondateur de Grignon, ainsi que beaucoup d’excellents agronomes français et étrangers. C’est lui le véritable fondateur de l’enseignement supérieur agronomique.
Après vingt ans de bail, la ferme de Roville est passée en d’autres mains en 1842. Ces vingt années ont suffi à faire de Mathieu de Dombasle un des grands agronomes du XIXe siècle.
Christophe-Joseph-Alexandre Mathieu de Dombasle, couramment C.J.A. Mathieu de Dombasle ou simplement Mathieu de Dombasle, né à Nancy le 26 février 1777 et mort le 27 décembre 1843 dans la même ville, est un agronome, précurseur de l'enseignement supérieur agricole français. Surnommé par ses contemporains « le meilleur laboureur de France », il fonde une « ferme exemplaire » à Roville, qui sera bientôt imitée, et une fabrique d'instruments aratoires qui connut un réel succès.
Biographie
Le grand père de Mathieu de Dombasle, prénommé également Mathieu, anobli en 1724, fut successivement Trésorier de l'Hôtel de Lorraine, Receveur général puis Grand-maître des Eaux et forêts du Duché de Lorraine, charge dont hérita l'aîné de ses six enfants, puis à la mort de celui-ci son plus jeune fils Joseph-Antoine Mathieu. Ce dernier, qui est aussi le père de Mathieu de Dombasle, acquis la terre de Dombasle dont le nom fut ajouté au sien suivant l'usage de l'époque. La Révolution le prive de sa charge et donc d'une partie de ses revenus mais ne l'obligea pas à fuir car « il ne tenait pas assez au régime politique qui s'écroulait pour faire cause commune avec lui, pas assez non plus au régime qui commençait pour se mêler à aucun des mouvements de cette époque agitée ». Époux de Marie-Marthe-Charlotte Lefebvre de Monjoie, le couple eut huit enfants dont cinq survécurent (trois fils et deux filles), avant que celle-ci ne décède prématurément en 1791. Mathieu de Dombasle est l'aîné des trois fils. Il fait ses premières études près de ses parents, puis entre à 12 ans au collège de Saint-Symphorien, tenu à Metz par les Bénédictins, mais la dispersion des ordres monastiques par l'Assemblée nationale en 1790 et la suspension des établissements d’instruction publique, sous la Terreur, viennent contrarier ses études. Il s’adonne alors aux beaux-arts, lit beaucoup et s'intéresse à la chimie. Bien que la famille de Mathieu de Dombasle ait échappé jusque là aux persécutions, l'ex Grand-maître des Eaux et forêts, juge sans doute plus prudent en 1795 de donner des preuves de son patriotisme, et fait prendre du service à son fils aîné, en qualité de simple comptable dans les équipages qui assiègent la capitale du Luxembourg. Mathieu ne prend part à aucune action militaire et, six mois après son incorporation, il rentre dans ses foyers. Peu après, le père Vaultrein, un jésuite qui venait de rentrer en France à la suite de longs voyages, est chargé de donner le complément d'éducation qui manque encore aux fils Dombasle. En 1801, Mathieu de Dombasle fait un voyage à Paris où il est atteint de la petite vérole qui le marque physiquement, avec une perte d’acuité visuelle. L'année suivante, il est victime d'un accident lors duquel la roue en fer d'une voiture lui passe sur la jambe : il boitera toute sa vie. Cette succession d'évènements malheureux le rendit « taciturne et l'éloigna du monde ». En 1803 il épouse Françoise-Julie Huyn, fille d’un ancien maréchal de camp qui avait été grand-prévôt. Le couple eut un fils en 1803 et une fille en 1806. À cette période Mathieu étudie les langues étrangères, les sciences naturelles, mathématiques et physiques, la chimie et bientôt l'agriculture. Le décès de Madame Dombasle en 1807, vient mettre un terme à cette courte période de bonheur familiale. Il laisse une fille, son fils l’ayant précédé dans la tombe. Il devient membre de la Société d’agriculture de Paris en 1834, et est aussi correspondant de l’Académie des sciences.
L'usine d'extraction de sucre
Betterave sucrière en plein champ
À l'époque du blocus continental, sous Napoléon, l'importation de cannes des Antilles devient impossible et l'Europe manque de sucre. A l'instar d'autres chimistes ou agronomes, Mathieu de Dombasle se lance dans l'extraction et la cristallisation du sucre de betteraves, une industrie alors toute nouvelle. Le 4 décembre 1810, il achète le domaine de Montplaisir près de Vandoeuvre, dans la banlieue de Nancy, construit une usine, fait l'acquisition de parcelles complémentaires et achète les droits d'utilisation des ressources en eau, le tout pour près de 300 000 francs. La surface cultivée en betterave atteint bientôt 100 ha et l'usine produit 30 tonnes de sucre mais tout le stock n'est pas vendu à la fin du blocus, lorsque la circulation des cannes fait chuter le prix du sucre de 12 francs/kg à 1,2 franc/kg. En 1815, la fabrique est fermée ; Mathieu de Dombasle ruiné doit 100 000 francs à ses créanciers. Au cours de cet épisode malheureux, Dombasle a fait progresser la technique d'extraction du sucre et ses propositions, négligées à l'époque, s'imposèrent par la suite. C'est également en 1810 que Mathieu de Dombasle commence à publier, avec une brochure intitulée Analyses des eaux naturelles par les réactifs, et qu'il fait venir de Suisse et de Belgique, plus tard d'Angleterre, divers instruments aratoires pour ses champs de betterave. En 1817, Dombasle se fixe à Nancy et commence à publier des textes à caractère agronomique sur la cristallisation du sucre, la fabrication de l'eau-de-vie de pomme de terre, le fonctionnement de différents types de charrues... En 1821, s'inspirant d'ouvrages plus anciens, Dombasle publie le Calendrier du bon cultivateur qui décrit les bonnes pratiques agricoles tout au long de l'année.
La « ferme exemplaire » de Roville
Désireux de se frotter à l'agriculture pratique, il fonde à Roville-devant-Bayon (Meurthe) une ferme exemplaire sur des terres qu'un notable, Antoine Bertier, lui donne en fermage (200 hectares). Le préfet de la Meurthe, Alban de Villeneuve-Bargemont, soutient l'opération et apporte son concours pour l'organisation d'une souscription visant à doter la ferme d'équipements convenables. Une école d'agriculture est aussi installée à Roville, à la fois pour que les bonnes méthodes d'agriculture soient propagées par des disciples et pour que le fermier (Dombasle) dispose d’un peu d'argent frais via le versement de leur pension par les élèves. La ferme expérimentale et l'institut agricole entrent en fonctionnement, à partir de 1822. Le bail est de 20 ans. Il s’inspire de savants divers, en particulier de Thaër (il traduit, en 1821, sa Description des nouveaux instruments d’agriculture), de Sinclair (traduit en 1825 son Agriculture pratique et raisonnée), et travaille au perfectionnement de la charrue (et la charrue dite Dombasle va peu à peu se répandre dans les campagnes). Il en appelle à la protection du gouvernement sur l’élève et l’engraissement des animaux, qui l’intéressent beaucoup, et à l’attention du législateur sur la propagation des fourrages (afin d’augmenter bétail et engrais). En 1842, les résultats sont contrastés. D'un côté, la ferme n'a dégagé que fort peu de profits. Dombasle a été sauvé de la ruine par des subventions de l'État. Après payement de toutes ses dettes (remboursement des souscripteurs-actionnaires), il lui reste très peu. L'échec est lié à la méconnaissance des bases de la nutrition minérale des plantes qui seront découvertes en 1840 seulement par Justus von Liebig. En l'absence de ces données, Dombasle n'a pas pu accroître sensiblement ses rendements agricoles. D'un autre côté, son école d'agriculture est une parfaite réussite. Le modèle va être copié à Grand-Jouan (future école agronomique de Rennes) et surtout à Grignon (école agronomique aussi), les deux étant encore en fonctionnement de nos jours. Les Annales de Roville, dans lesquelles Dombasle rend compte de ses expériences, vont être copiées. Il utilise les locaux de son ancienne usine d'extraction de sucre, à Vandœuvre-lès-Nancy, pour établir une fabrique d'instruments agricoles. Il invente en particulier une charrue avec versoir mais sans roues, donc un peu similaire à l'antique araire. Légère, robuste, peu coûteuse, bien conçue et nécessitant une faible force de traction, elle obtient un succès considérable.
Postérité
Mathieu de Dombasle a donc contribué au perfectionnement d'instruments agricoles ; il a publié des ouvrages utiles ; il a formé des élèves et disciples qui, eux-mêmes, ont développé ses idées ; il a impulsé l'enseignement supérieur agronomique français. Plus encore, étant doté d'une particule (« de » Dombasle) et héritier d'une grande lignée, il n'a pas hésité à devenir simple fermier montrant ce que pouvait avoir « d'honorable la profession d'agriculteur ». C'est donc lui qui a lancé la mode de ces notables-agriculteurs, fiers d'être les deux à la fois, et si caractéristiques du milieu du XIXe siècle. Son nom a été donné à une place de Nancy, en face du lycée Henri-Poincaré, sur laquelle une statue le représentant a été érigée en 1850, fruit d'une souscription publique et œuvre de David d'Angers. Il existe également dans le 15è arrondissement de Paris une rue Dombasle, qui prit ce nom en 1864. Enfin, des bustes en son honneur ont été élevés à Roville et à Dombasle-sur-Meurthe.
Publications
Observations sur le tarif des douanes proposé à la chambre des députés des départements dans sa séance du 24 septembre 1814 présentées aux deux chambres du corps législatif, Nancy, Impr. de Guivard, 1814
Instruction théorique et pratique sur la fabrication des eaux-de-vie de grains et de pommes de terre, Paris : Huzard, 1820.
Calendrier du bon cultivateur, ou Manuel de l’agriculteur praticien, Nancy : Impr. de Haener, chez l’Auteur, et Paris : Mme Huzard, 1821, in-12, IV-407 p. ; Paris, Huzard, 1822, in-12 ; 2e éd., Paris, Mme Huzard, 1824, in-12, VII-493 p. ; 3e éd. Paris, Mme Huzard, 1830, in-12, XI-475 p. ; 4e éd., Paris, 1833, in-12, VIII-588 p. ; 6e éd., Paris : Mme Huzard, 1840, in-12, XIX-624 p. ; 7e éd., Paris : Bouchard-Huzard et Audot, 1843, 638 p. ; 8e éd., Paris : chez Bouchard-Huzard, et Nancy, 1846, in-12, XXV-660 p. ; 9e éd., Paris : Ve Bouchard-Huzard, in-12, XLVI-820 p., et 1860, in-12, LI-871
Théorie de la charrue, 1821
Annales agricoles de Roville ou mélanges d'agriculture, d'économie rurale et de législation agricole. Tome 1 à 8 in-8°. Librairie Huzard, Treuzel et Wurtz, Paris, 1824-1832
De l'Impôt sur les eaux-de-vie, dans ses rapports avec l'agriculture, Paris, Imprimerie de Mme Huzard, 1824, tiré-à-part des Annales agricoles de Roville, présenté à l'occasion du projet de loi qui devait bouleverser la fiscalité sur les alcools.
Instruction sur la distillation des grains et pommes de terre, 1827
Des impôts dans leurs rapports avec la production agricole, 1829
Notice sur l'araire ou charrue simple, 1830
Des droits d’entrée sur les laines et sur les bestiaux, avec des considérations sur les effets des droits de protection en général, et sur la situation particulière de l’agriculture française relativement à l’industrie des troupeaux, Paris : Mme Huzard, 1834, in-8°, 49 p.
Des Chemins vicinaux et du régime des bacs. Nouvelles observations, Paris : Huzard, 1835
De l'Avenir industriel de la France ; un rayon de bon sens sur quelques grandes questions d'économie politique, Paris : Huzard, 1834 ; Nancy : Imprimerie d'Haener, 1835. Importante réflexion de l'agronome sur la révolution industrielle vue en particulier à travers les questions du monopole, du développement de l'industrie, du commerce avec l'Angleterre. Le premier chapitre est consacré au rapport de l'industrie vinicole du Bordelais avec les autres industries du pays.
Annales agricoles de Roville ou mélanges d'agriculture, d'économie rurale et de législation agricole. Supplément. Librairie Huzard, Paris et Librairie Grimblot, Nancy, 1837
Des intérêts respectifs du midi et du Nord de la France dans les questions de douanes ; de l'importance relative de l'industrie intérieure et du commerce extérieur ; des intérêts spéciaux du commerce et du système de protection pour l'intérêt du pays, Paris : Huzard et Pourrat, 1834
Fabrication simple et peu dispendieuse du sucre indigène, Paris : Huzard, et Nancy : George-Grimblot, 1838
La Question des bestiaux considérée sous ses divers points de vue, Paris : chez Bouchard-Huzard et chez Audot, décembre 1841, in-8°, 42 p.
Sucre indigène. Lettre à un fabricant sur le procédé de macération, Nancy, 1841. Mémoire technique concernant la fabrication du sucre de betterave.
Sucre indigène. Le procédé de Macération en 1842, Paris, 1842
Œuvre diverses : Économie politique, Instruction publique, Haras et remontes. Bouchard-Huzard et Audo, Paris, 1843
Calendrier du bon cultivateur ou manuel de l'agriculteur praticien. Librairies Bouchard-Huzard, Paris et Grimblot et Ve Raybois, Nancy, 1846.
Calendrier du bon cultivateur, ou Manuel de l'agriculteur praticien, Paris et Nancy : Bouchard-Huzard et Grimblot, 1860
Traité d'Agriculture, Paris : Mme Vve Bouchard-Huzard, Librairie Agricole, 1862. Ouvrage posthume publiée sur le manuscrit de l'auteur par son petit-fils Charles de Meixmoron de Dombasle.
SOURCES BILBLIOGAPHIQUES
KNITTEL Fabien, Agronomie et innovation. Le cas Mathieu de Dombasle (1777-1843), collection Histoire des institutions scientifiques, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2009, 515 p.
KNITTEL Fabien. La diffusion d'une pédagogie agricole : les écrite de Mathieu de Dombasle. Annales de l'Est, Association des historiens de l'Est, pp. 131-143. halshs-00408785
JOLY Nathalie, BOURRIGAUD René, KNITTEL Fabien, Administrer une ferme-modèle au XIXe siècle : deux expériences d'agronomes entrepreneurs, Mathieu de Dombasle et Rieffel, 2017/3 n° 88 | pages 21 à 36
https://www.cairn.info/revue-entreprises-et-histoire-2017-3-page-21.htm
Mathieu de Dombasle : Sa vie et ses œuvres, par Édouard BÉCUS, Agriculteur, Membre de la Société centrale d'Agriculture de Nancy. Correspondant de plusieurs Sociétés d'Agriculture de France. Paris & Nancy 1874. 116 p. Cote A344
C. de MEIXMORON-DOMBASLE, Notes et documents pour servir à l'histoire de l'établissement de Roville. Avril 1844, 47 p. Cote A343
Journal d'agriculture pratique. 1877. 41e année. Tome II.
p. 8-12 et 51-57
Discours prononcé par Gustave Heuzé, au nom de la Société centrale d'agriculture de France, à la fête du centenaire de Mathieu de Dombasle qui a eu lieu à Nancy le 28 juin 1877.