Visites de fermes en Indre-et-Loire en 1851

Publié le par histoire-agriculture-touraine

Annales de la Société d'Agriculture Sciences, Arts et Belles-Lettres du département d'Indre-et-Loire, Tome XXX, 1851, p. 130-186.

Excursion agronomique dans le département d'Indre-et-Loire.

Rapport de la commission d'examen lu dans la séance publique du 31 août 1851, par M. Bonnebault.

 

Bréviande.

Suivant l'ordre des pérégrinations, le domaine de Bréviande, situé à la Celle-Guenand et dirigé par le possesseur du fonds, M. de Gaullier, a été le premier sujet de ses investigations. Composé de corps de ferme partagés, auparavant, entre plusieurs cultivateurs impuissants, son nouveau gérant, depuis leur réunion qui date de six années (1845), y a apporté des améliorations dont il recueille aujourd'hui les fruits. Au siège de l'exploitation, il a fait construire une étable, modèle dans ses dispositions : par la séparation en cellules propres à deux animaux ; par l'établissement de crèche-galeries isolantes, librement parcourues par les préposés à l'alimentation, sans avoir à redouter les mauvais instincts ; par l'attraction heureusement combinée d'ouvertures latérales et supérieures, faisant fonction de cheminées d'appel, qui permettent le trajet incessant de l'air extérieur ; par les pentes calculées du sol pour l'écoulement du purin non absorbé par la marne placé sous une abondante litière ; enfin autour de l'ensemble, par de larges corridors intérieurs rendant la surveillance et le service toujours faciles.

Dans ce logis où soixante têtes de bétail seraient à l'aise, nous avons reconnu la présence de quarante bêtes à corne, d'origine diverse ; et dans leur nombre, huit vaches, croisé suisse, d'un taureau de même issue ; la stabulation érigée en principe pendant une grand partie de l'année, peut y être pratiquée sans dangers pour les animaux et au grand profit des engrais. Dès ce moment, avec le secours des racines nutritives, on procède à l'engraissement de six bœufs et ce chiffre doit suivre la progression de cette sorte de culture.

La bergerie appropriée dans les anciens bâtiments, renferme cent moutons du pays dont on s'attache à reformer les vices, sans préjudice d'un lot réservé annuellement à la boucherie.

L'industrie porcine y trouve aussi sa place, et si l'espèce poitevine acclimatée ne se distingue pas par ses formes, elle se fait remarquer par sa fécondité et par son aptitude d'engrais. Dix sujets sont mis en loge pour être amenés à ce dernier état, et cent gorets sont vendus à l'âge de deux à trois mois, outre l'usage des verrats, au profit de la localité.

L'éducation chevaline récemment fixée par le mélange du sang poitevin nous a permis d'y voir déjà quelques élèves avec de bons caractères de ce type.

Dans le même corps de bâtiment, s'élève une grange à resserrer les récoltes, d'une élévation et d'une étendue remarquables, qui contient, en outre, une machine à battre le grain avec tarare, sur l'estampille de laquelle nous avons lu avec plaisir le nom de notre compatriote, M. Champion-Chollet, de Bléré ; un hache-paille mécanique ; un coupe-racine et un système à broyer le plâtre, mus par un manège unique. Non loin de l'habitation, un four à chaux en construction, avec le calcaire à proximité, dont les résultats d'un emploi multiple, en venant en aide aux besoins de la contrée, permettront d'apporter un amendement puissant aux terres d'une nature froide et tardive.

Après un aperçu des dispositions qui témoignent de la saine application des doctrines économiques, nous sommes allés sur le terrain, et arrivés au centre d'une surface de cent soixante hectares (160 ha), actuellement cultivés, nous avons été frappés par l'aspect de nombreuses plantations de pommiers, dits de transition, implantés de Normandie, dont les fruits convertis en cidre et en boissons, remplaceront la vigne, qui, sous cette latitude peut être inhospitalière, ne trouverait non plus d'ouvriers assez habiles et en nombre suffisant à ses exigences. Ces arbres placés en bordure utilisent merveilleusement les voies créées par la nécessité des transports, en en reproduisant la délinéation, et leur belle venue est un trait de lumière sur la composition du sol particulièrement propice à cette tribu de rosacées.

L'assolement quatriennal, en opposition avec les habitudes du lieu, dont le régime a exigé une grande force de volonté nous a présenté :

1° Quarante hectares (40 ha) de blés fumés diversement ; ici, avec les engrais naturels (fumier de ferme) épandus et couverts au fur et à mesure de leur apport ; là avec le noir animal, une partie avec le guano, une autre avec les tourteaux de colza ; dans leur choix, nous avons constaté la belle situation de six hectares de blés sur guano, et plus particulièrement de six hectares de blé rouge, d'un mètre trente-trois centimètres de hauteur après défrichement, ave l'emploi du noir animal à dose de quatre hectolites par hectare ; enfin un essai de blé sur blé dans ces dernières conditions, que nous nous bornons à mentionner par une simple improbation, son état d'infériorité justifiant assez notre opinion.

2° Six hectares d’avoine d'hiver d'une hauteur générale d'un mètre dix centimètres ; vingt-six hectares d'avoines de mars et dix hectares de colza repiqués après blés et fumés de guano.

3° Vingt-six hectares de prairies artificielles en sainfoin, trèfles, luzerne, vesce, choux et sept hectares de racines, betteraves et pommes de terre.

Enfin la création de huit hectares de prairies naturelles fécondées par un système d'irrigation ingénieux par sa simplicité, qui a su, en les empêchant de nuire, mettre à profit les eaux d'u étang supérieur.

Sur le surplus des bruyères, la charrue rende chaque année six hectares à la culture du blé, réussissant parfaitement avec le noir animal.

Quatre bœufs et six chevaux, formant trois ou cinq charrues suivant les difficultés du terrain, sont les moteurs à l'aide desquels la lande, avant peu, aura complétement disparu de cet héritage.

En somme, messieurs, dans un pays privé de ressources, déshonoré par cet abandon du sol que perpétue une rare population, la culture de M. de Gaullier, arrivée au chiffre de trois mille cinq cent décalitres de blé (350 hl ou 260 qx), là où la production en était presque ignorée, nous est apparue comme une oasis destinée à mettre en lumière cette vérité de tous temps : qu'un travail persévérant triomphe de tous les obstacles. Honneur à lui d'en donner l'exemple, en consacrant ses loisirs et sa fortune à régénérer le pays qui l'entoure.

De là, nous nous sommes rendus à St-Flovier, sur la limite du département, où pour achever cette première journée, une heureuse confraternité nous a conduits à la charmante villa de M. de Menou, qui applique aussi ses efforts à défricher le voile trop longtemps suspendu sur la contrée.

Château de Pont

De St-Flovier et après une courte station à Chemillé-sur-Indrois, attirés par la vue de riches plantations sur l'emplacement de la chartreuse du Liget, thomoe coede cruentus, monument célèbre dont nous n'avons pu parcourir les ruines sans une vive émotion, nous avons eu hâte d'arriver au château de Pont, sis en la commune de Genillé, sollicités par M. Millet jeune, administrateur des cultures de cette dépendance depuis quatre ans (1847). Elève de l'Institut agronomique de Grand Jouan, fils d'un vieux débris de nos gloires nationales, membre de la société centrale de Paris, fondateur de la magnanerie départementale de Poitiers, qui a employé le temps du repos à publier plusieurs manuels dans les différentes branches de l'agriculture, et d'une mère auteur d'une maison rustique des dames et d'autres écrits sur l'économie domestique et rurale, desquels il reçoit une habile impulsion, nous étions préparés à rencontrer la mise en pratique des théories avancées dont la science agricole s'honore.

Cultures fourragères d'amélioration sur un sol en entonnoir, tantôt argilo-calcaire, tantôt argilo-siliceux, épuisé par une production antérieure irréfléchie, emploi d'instruments perfectionnés à l'aide desquels on fait mieux et une plus grande somme de travail, bétail nombreux et de choix, voilà bien les éléments du succès en agriculture, au même titre que l'ordre l'activité et le travail sous le fondement nécessaire des sociétés et la base de la prospérité de la famille.

L'exploitation se compose de cent cinq hectares (105 ha), dont quatre-vingt-huit (88) en terres arables et couverts pour la récolte de 1851.

De cinquante-trois hectares cinquante-quatre ares (53,54 ha) en légumineuses, graminées et racines, qui aspirent dans le repos les sels indispensables à la production postérieure des grains, tout en pourvoyant à la nourriture d'un riche bétail dont les détritus assureront le succès.

Enfin cinq hectares de trèfle et sainfoin nouvellement semés pour l'usage de 1852.

Dans les céréales, quatorze hectares de blé avec engrais naturel, ont frappé notre attention par leur bel aspect et par une régularité qui, en témoignant des soins donnés à leur confection, leur permettront de défier la continuité d'une sécheresse préjudiciable et justifieront cette maxime qu'il vaut mieux bien faire que trop faire.

Passant aux instruments dont la façon est à bon droit, si recommandée, nous avons vu avec intérêt une charrue Dombasle sans avant-train, une charrue Rosé perfectionnée, un extirpateur, une râtelle à roues de M. Simon de Châtellerault, nettoyant la prairie avec une rapidité merveilleuse à l'aide d'un seul ouvrier ; un semoir à roues de Dombasle pour le maïs, les haricots, le betteraves et analogues, un coupe-racine Dombasle, un lave-racine imaginé par M. Millet père, qui rend cette besogne sure, rapide et facile.

Six bœufs et cinq chevaux remplacés par l'élevage servent de levier à cette variété de moyens employés.

Le bétail est au nombre de quarante-six têtes, race du pays dont on préfère reconstituer l'état, à l'introduction d'une espèce étrangère, en le multipliant suivant la proportion des fourrages obtenus. Parmi les jeunes animaux, nous avons noté une génisse de deux ans et un taureau de même âge donnant les plus grandes espérances.

Par une semblable considération, M. Millet ne possède dans sa bergerie que la race du Poitou, qu'il continue par le choix des meilleurs sujets.

Dans la porcherie nous avons trouvé deux truies et un verrat de deux ans, ainsi qu'un autre plus jeune, de race anglo-chinoise pure, représentant les formes accomplies de l'espèce, dont les produits sont offerts à toute la contrée.

Enfin M. Millet a formé une basse-cour avec les gallinacées du Mans, dans l'intention de les propager et de se livrer à cette industrie lucrative.

Notre examen accompli, nous nous sommes retirés à regret sous l'impression de la bonne leçon pratique que nous avions reçue, lorsque nous croyions porter des conseils, et avec la conviction du bien que cette famille composée du père et de la mère si compétents, du fils leur digne interprète, de sa sœur jeune personne de dix-huit ans, d'une éducation distinguée, qui le seconde dans les détails domestiques avec un rare dévouement, apportera dans le canton où elle a fixé sa résidence.

Grand-Villiers.

Du château de Pont, nous nous sommes rendus à la terre de Villiers situé commune de Luzillé, canton de Bléré. Ce domaine, entre les mains de M. V. Houzel, son propriétaire depuis 1847, s'est complètement transformé, et nous a offert l'aspect des riches cultures du nord dont il est originaire, et qu'il y a introduites dans la mesure des dispositions du sol.

Des quatre corps de ferme et des quatre closeries qui en forment l'ensemble, outre la réserve, nous étions appelés plus particulièrement à entrer dans les détails de l'exploitation du Grand-Villiers, confiée depuis deux ans au sieur Norbert-Dupersin du Pas-de-Calais qui en a la jouissance pendant douze années.

Les bâtiments, écurie, étable, bergerie, porcherie et grange, répondent à l'importance de cette division composée de 198 hectares.

Dans les écuries, nous avons compté cinq chevaux boulonnais, quatre juments percheronnes et un poulain, dont trois ayant pris naissance sur les lieux, destinés à être vendus à l'âge de trois ou quatre ans, en même temps que remplacés par de nouveaux élèves qui ajouteront comme eux le premier essai de leurs forces à la permanence des moyens d'action.

Dans les étables, quatre bœufs de service, dix-huit vaches à lait et quatorze génisses d'un à deux ans.

Dans la bergerie, quatre cents moutons et brebis, quatre-vingts agneaux, un bélier anglais, race croisée de Newkent provenant de la Charmoise, Loir-et-Cher : placés sous la surveillance d'un berger, qui, suivant les produits alimentaires, a pour mission d'engraisser par année environ quatre cents moutons.

Dans la porcherie, quatorze truies, quatorze porcs, deux verrats et soixante-dix laitons, parmi lesquels une femelle d'espèce craonnaise.

Ces différentes sections sont parfaitement appropriées, les conditions d'aération ménagées avec art, et la tenue générale bien comprise. Le purin s'écoule à l'aide de conduits inclinés, et est recueilli par un système d'économie que nous plaisons à signaler, dans cinq tonneaux de pays, communiquant par des tuyaux de déversoir, placés en contre-bas à l'une des extrémités des bâtiments.

L'espace réservé aux fumiers disposé en pentes quadrilatérales réunit au point de gravité les matières solides et liquides, sous un abri, qui amoindrit ainsi la déperdition des gaz, et tous les mois ils sont conduits sur le terrain et enfouis dans les guérets.

Parmi les instruments rangés avec symétrie, nous avons reconnu cinq charrues, araires, américaines, flamandes, un extirpateur houe à cheval, avec addition de couteaux au besoin, Binots, piquets de labour, herses en fer et à dents de fer, herses à dents de bois, herses brisées, rouleau, quatre voitures à roues, moyens diversifiés qui ont leur raison d'être, suivant les façons à donner au sol sur lequel on opère, ou à la plante qu'on veut favoriser.

Rendus sur le terrain, la première cottaison nous a présenté quarante hectares de blé d'hiver sur larges planches et bien suivis.

La deuxième, vingt hectares vesce d'hiver, deux hectares jarosse mélangée, quatre hectares vesce d'été, deux hectares pois mouton, sept hectares fèves et pois mouton, quatre hectares betteraves, deux hectares pommes de terre.

La troisième, vingt-quatre hectares d’avoine et huit hectares orge de printemps, trois hectares sarrazin, deux hectares chou, lin, chanvre, maïs, pois et haricots, trois hectares avoine d'hiver.

La quatrième, vingt hectares jachère nue, trois hectares rutabaga, deux hectares trèfle incarnat, deux hectares miuette (minette ?) trèfle blanc, six hectares trèfle ordinaire.

Enfin hors assolement, vingt hectares sainfoin, trois hectares luzerne, trois hectares raygrass et topinambours et douze hectares de prés naturels.

Toutes ces récoltes par leur bel aspect témoignaient des soins qu'elles avaient reçus, et pouvaient impunément traverser la phase caniculaire qui se faisait ressentir avant le temps.

Nous croyons utile de faire connaître un procédé de marnage peu usité dans nos contrées, et que nous avons vu effectuer avec succès.

Cet agent existe sur la terre à différents étages, ordinairement depuis un jusqu'à quinze mètres. Ici il est extrait par des ouvriers de l'Artois appelés sur les lieux, pratiquant des puits spéciaux sur chaque pièce où il est nécessaire, et travaillant à forfait au prix de cinquante-cinq centimes le mètre cube, conduit et épandu sur le terrain. Le puits est ensuite comblé pour la somme de deux francs qui paie en même temps le forage. Le marnage faible pour les terres légère et sèches est de 40 à 70 mètres par hectares, c'est-à-dire au prix de vingt-deux à trente-huit francs. Le marnage plus fort pour les terres argileuses et froides revient à quarante-neuf francs cinquante centimes, nous avons retrouvé les traces de quatre ateliers qui ont amendé ainsi quatre-vingts hectares ; un seul est encore en activité et nous avons pu juger de la célérité dans l'exécution.

Plusieurs raisons recommanderaient à nos yeux la préférence de cette manière de faire. Ainsi on annulerait les frais de transport, qui dans une carrière ouverte, située quelquefois à de grandes distances, contraignent à renoncer à son bénéfice par la perte de temps et d'argent que le travail doit occasionner. En outre on ne serait pas réduit à enlever la marne telle qu'elle apparaît, sans être assuré de sa richesse calcaire, qu'il faut toujours aller chercher à une certaine profondeur, d'où résulte une déception par le défaut de puissance de l'amendement, ou une dépense sans mesure par les quantités à transporter pour suppléer à l'énergie qui manque à celui des premières couches.

On éviterait encore les fondrières qui font disparaître à la longue de grands espaces de terrain enlevés à la culture, devenus un danger de tous les instants pour les habitants, et une cause d'insalubrité permanente, par le croupissement des eaux chargée de matière organique, qui y affluent de tous côtés.

Nous citerons aussi comme un progrès de la culture de la vigne, par l'intérêt mutuel du propriétaire et du vigneron, l'affermage à bail authentique de neuf hectares dépendant de la propriété. Cette coutume qui a pour elle l'expérience, gagne chaque jour du terrain, dans la Bourgogne où les frais et les récoltes se font à moitié de manière à stimuler l'ouvrier en l'intéressant pour une large part dans les bénéfices.

L'intérêt qui s'attachait à cette visite, les détails dans lesquels nous avons pu entrer, la réception distinguée des habitants de Villiers, ont prolongé notre séjour au-delà de nos intentions, et nous avons été contraints d'aller prendre gîte à Bléré à une heure assez avancée pour remettre au lendemain la suite de notre exploration.

Les Hubaudières.

Dans ce parcours, on nous avait indiqué une culture exceptionnelle pratiquée aux Hubaudières, domaine assis sur les communes de Chédigny et de Sublaines ; quoique sans mandat exprès, il nous a semblé dans nos attributions d'en examiner la marche, afin d'y puiser les enseignements utiles à porter à la connaissance de ceux qui entreprennent d'agir sur un sol inconnu ou épuisé. Nous avons donc pénétré dans cette partie de la champeigne tourangelle, et chemin faisant, nous avons eu l'occasion, sur la foi des traditions historiques, de nous incliner devant ces deux géants de terre, sentinelles élevées par les soldats de Clovis et d'Alaric pour la délimitation de leurs états ; ou, suivant d'autres impressions, de donner une marque de respect à deux monument funéraires des Celtes : toutes choses d'ailleurs qui fixaient dans nos esprits le souvenir des sanglants combats soutenus par nos aïeux, défendant le sol du pays, qu'ils fertilisaient contre l'irruption des barbares qui ne leur apportaient que la dévastation et la mort. Arrivés au but, nous nous sommes trouvés au milieu de quatre cents hectares, où naguère on comptait six étangs et une grande partie de mauvaises bruyères. Accueillis par M. Daveluy, avec une cordialité qui distingue les gens du nord de la France, nous avons su de ce cultivateur, qu'en présence de terrains inertes par épuisement ou sans assolement régulier, il avait pris le parti d'appliquer en principe la culture pastorale. A cet effet, le blé n'y figure que pour les besoins des gens de service, et il est d'autant plus remarquable, malgré son gisement sur un sol superficiel, qu'on a pu lui prodiguer plus de soins et plus d'engrais. En revanche, les cultures fourragères absorbent le travail de ces premières années, pendant lesquelles la terre doit reprendre une fécondité indispensable à la grande agriculture. Dans leur nombre, nous avons remarqué quarante hectares de pimprenelle, fixée de préférence sur un terrain peu perméable, pour le maintien de la santé des bêtes ovines qui doivent y pâturer ; de plus, vingt-huit hectares de vesce d'hiver et très grande quantité de trèfles et d'avoine. Sur une partie du sol aride et crétacé jusqu'à sa surface, s'élèvent des plantations de cytise ou faux ébénier, à l'usage des moutons, comme dans les Alpes, dans les meilleures conditions d'avenir.

Tous ces produits permettent d'entretenir déjà douze cents (1200) moutons, dont une fraction approximative, du tiers est livrée annuellement à la boucherie. La race de Sologne, croisée avec celle à un ou deux degrés de New-Kent, forme la base de la bergerie ; l'autre bétail est considérable, mais sans autre distinction que le triage des animaux du pays qui ne sont considérés jusqu'ici que comme des machines à fumier. Tout s'inspire dans cette exploitation du système du célèbre M. Malingié, et nous avons la conviction qu'avec la haute intelligence de son directeur, nous posséderons bientôt dans le département une nouvelle Charmoise.

Varennes.

Après avoir consacré à la visite des Hubaudières, plusieurs heures bien insuffisantes à constater la régénération qui s'y est opérée, reprenant notre course, nous nous sommes dirigés vers la ferme de Varennes, commune de Veigné, confié au sieur Gabriel Ouvrard. Ce nom vous est familier, messieurs, et plus d'une fois sur un autre terrain, nous l'avons vu à l'œuvre.

C'est une bonne fortune, pour le propriétaire du domaine que le concours de cet actif cultivateur, qui sait s'approprier tous les progrès agricoles quand il ne les imagine pas, et qui possède avec une ténacité convaincue, l'art difficile de les faire passer dans les habitudes de ses auxiliaires. Nous n'oublions pas que c'est à lui plus particulièrement, que nous devons l'introduction dans l'assolement de son canton, depuis plus de dix ans (1840), du colza, cette plante industrielle dont l'extension prend chaque jour de nouvelles proportions, en offrant au travailleur du sol une récolte supérieure de plus ; qu'il est un des premiers qui ont pratiqué sur une grande échelle, les cultures amélioratrices des racines, solution du problème longtemps négligé de l'éducation du bétail par voie de conséquence de l'augmentation des engrais ; en préparant mieux le sol à la prodigalité de ses nouveaux dons.

Nous prenons un intérêt d'autant plus vif à son succès, que dépourvu d'un capital livré souvent trop facilement aux chances de l'avenir, il doit trouver dans son génie inventif, dans son énergie persévérante, les moyens de faire face à la rente du sol et à la rémunération de ses laborieux travaux.

Vous savez aussi, messieurs, que tous les instruments lui sont faciles, et qu'il se sert avec un avantage dont lui seul sait raconter les détails, de la sape flamande pour la moisson des céréales.

La ferme dont il est question contient quarante-six hectares. Dans ce nombre, quinze hectares e blés sur colza, trèfle et betterave, présentent un aspect également satisfaisant. Sur la partie succédant au colza et au trèfle, le terrain avait été préparé avec 500 kilog. de tourteau de colza à l'hectare. Après la betterave, aucune fumure n'avait été épandue, le sol, pour une racine, dans son opinion, ayant été disposé de telle sorte, qu'en assurant la réussite, il se trouve dans la meilleure aptitude à la venue du blé qui la remplace.

Quatre hectares d'avoine ont été faits sur blé, ce qui vicie un peu les principes de la culture alterne, ainsi que l'a très bien reconnu Ouvrard, en nous expliquant que le trèfle sur cette terre ne durant qu'une année, il lui est impossible de faire ses avoines sur prairies artificielles. Ce céréale qui protège un trèfle nouveau est cependant de la plus belle apparence. Cinq hectares de betteraves sur chaume de blé ont reçu deux labours : l'un avant l'hiver, le dernier au moment de l'ensemencement. Le sol a été pourvu de trente-six mètre cubes d'engrais à l'hectare, les racines semées en ligne et espacées de quarante-cinq centimètres ; à leur sortie de terre, elles avaient eu un léger sarclage ; pendant notre séjour, nous leur avons vu donner un second plus énergique. Ce cultivateur regarde comme un fait capital les soins minutieux donnés à cette plante pendant les premiers mois de sa croissance, pour sa bonne fin d'abord, et de plus pour celle du blé qui doit lui succéder. Ces frais de nettoiement sont estimés au minimum à 15 fr. l'hectare.

Huit hectares de colza, dont six repiqués sur chaume de blé en un terrain médiocre, sont beaux relativement à cette cause et à la température contraire. Deux hectares semés sur place, sont remarquables et donneront un abondant produit. Ouvrard, le promoteur de cette culture qu'il chérit comme un père, en offrant libéralement ses indications à ceux qui veulent s'y livrer, la proclame hautement, la providence du fermier, dans ces dernières années, si pénibles à traverser par l'avilissement exagéré du prix des céréales.

Nous avons trouvé sept hectares de luzerne, dont un hectare ensemencé cette année sur orge, dans un terrain pierreux et trop difficile à travailler. Cette légumineuse, s'y frayant un passage malgré les obstacles, donne au fermier un moyen d'utiliser ainsi ce terrain qui, autrement, serait pour lui un embarras.

Deux hectares de vesce ont été faits sur colza et blé, en vue de la nourriture au vert du bétail, réservant seulement pour graine un coin nécessaire à l'ensemencement des terres qui y sont destinées.

En approfondissant certaines parties du sol, Ouvrard met à découvert nombre de roches, dont l'extraction dans l'intervalle de ses travaux, fait surgir un terrain neuf au grand profit du fermier et à l'avantage du domaine.

Revenus au point de départ, nous avons compté, outre les bêtes de travail au nombre de quatre et d'un âne pour le charroi quotidien et rapide du fourrage vert vers l'étable, sept mères vaches et huit génisses de bonne espèce, en stabulation permanente, et nourries avec de la vesce, du trèfle incarnat et commun, de la luzerne ; et pendant l'hiver avec des betteraves, à raison de trente kilogrammes par tête ; plus cent moutons en moyenne dont le nombre augmente dans le rapport des cultures fourragères : tous placés dans des conditions de propreté minutieuse et d'aération suffisante.

Dans cette visite, de même que dans celles qui l'avaient précédée, nous avons reconnu dans le sieur Ouvrard, l'agriculteur intelligent, l'oreille toujours au guet des indices nouveaux, et cependant dont les essais doivent être médités avant l'exécution ; car, si, à chaque jour suffit sa peine à chaque jour aussi il lui faut trouver dans son travail le prix rémunérateur de la terre, celui de ses avances et le pain quotidien.

La Choletterie.

De Varennes, nous avons franchi l'espace qui nous séparait de la Choletterie, située à l'extrémité de la même commune, où notre attention était appelée sur deux génisses et sur un défrichement de quatorze hectares. L'absence du propriétaire, et personne pour le représenter, ont rendu notre démarche sans but ; nous l'avons regretté, d'autant plus qu'un coup d’œil autour de nous promettait des détails intéressants sur cette exploitation.

Laverey.

Une deuxième excursion nous a conduits à Laverey, ancienne dépendance de Marmoutiers, aujourd'hui réunie à la belle propriété de Tayet, commune de Fondettes, affermée au sieur Gauvry Joseph. Non moins que le précédent, cet agriculteur vous est connu et vous avez saisi l'heureuse occasion de le signaler à l'attention publique par une distinction sur la tenue irréprochable du domaine remis à sa garde. Cet état n'a point changé, et quoiqu'arrivés inopinément et en son absence, nous avons constaté l'ordre permanent qui règne dans toutes les parties de son service, l'arrangement conservateur des instruments, la propreté dont il se fait une loi dans les étables aussi bien que dans les cours intérieures et aux abords, ce qui semble imprimer une nouvelle restauration à ce monument naguère en ruine. Au défaut du sieur Gauvry, M. Auvrai, invité à se réunir à nous, nous a fait voir ses récoltes en céréales, dont vous jugerez la situation, en vous disant qu'en y pénétrant, nous disparaissions à la vue les unes des autres ; des défrichements, portant de très belles avoines d'hiver ; par des assainissements mûrement étudiés, la mise en valeur de terres jusque-là sans emploi ; enfin, des semences de vesces et de sarrasin de la contenance de quatre hectares soixante-deux ares, destinées à l'enfouissement. Depuis notre entrée en campagne, nous avons rencontré plus d'un cultivateur habile, appliquant les pratiques raisonnées de l'art agricole ; mais nous devons le dire, nous n'en avons pas vu de plus actif avec le même désintéressement, et s'obstinant davantage à vaincre les obstacles du sol irrégulier au milieu duquel il doit se mouvoir.

Là, où naguères, des blocs de pierre affleurant la surface, laissaient le champ libre aux ronces et aux épines, leur extraction a fait place à d'admirables cultures fourragères qui rentrent aujourd'hui dans l'aménagement général. Ici, où des sources nombreuses filtrant à travers plusieurs hectares de terrain, le rangeaient parmi les  pâtis sans valeur par la croissance exclusive de plantes aquatiques spontanées, un égouttoir par empierrement à la portée de tous, cette bonne vieille méthode rajeunie de nos jours sous la dénomination exotique de drainage, et seulement avec des impossibilités de plus dans l'exécution, a fait surgir des prairies où les meilleures graminées viennent prendre place, devenues d'autant plus fécondes que l'eau qui causait leur stérilité par son excès, prodiguée seulement à propos, aide puissamment à leur développement. Le sol, interrompu par les eaux, multipliant leurs cours sans autre règle que les pentes naturelles, ramenées maintenant à un centre commun, est relié par des ponceaux voûtés, solidement établis qui, en dissimulant les inégalités, rendent partout la communication facile au bétail et aux charrois journaliers.

Ces efforts, de la part de Gauvry, sans obligation vis-à-vis du propriétaire, et seulement en vue de faciliter ses opérations sur la ferme dont il a la jouissance pendant dix-huit années, nous a paru bien méritants, et nous nous sommes demandés comment, avec un personnel restreint à quatre aides, il pouvait en dehors des soins que réclament ses cultures, effectuer des travaux aussi remarquables.

Les bâtiments de l'exploitation sont vastes et bien aérés. Dans une vieille tour, sans doute protectrice autrefois de ce lieu, ou de retraite, ou de service spécial, suivant la racine de son appellation, Livarium, il a établi avec une rare entente de ses nécessités, une laiterie où, sous l'influence d'une température maintenue, la combinaison émulsive se conserve dans son état normal ou suit mieux les phases de la séparation du caseum et du beurre, pour la conservation plus complète de ces deux produits.

Dans les rares loisire du fermier, la cour est déblayée des vieilles ruines accumulées qui lui servent ainsi à de nouveaux usages. Les fumiers reçoivent des soins particuliers, et à l'une des extrémités de leur dépôt, une fosse murée et cimentée par lui-même recueille le purin qui s'en écoule ainsi que celui des étables.

Les Brosses.

Après avoir pris congé des hôtes de Taret dont votre délégation avait reçu l'accueil le plus empressé, nous nous sommes dirigés vers la terre des Brosses, sur le territoire de la commune de St-Roch, divisé en plusieurs corps de ferme. Nous y étions conviés par le sieur Gatien qui cultive quinze hectares fractionnés par tiers. Nous y avons vu, en effet, cinq hectares de blé, cinq hectares de d'avoine d'hiver et cinq hectares de racines, vesce et jachère, ce qui n'est que le premier pas hors de la routine. Leur état dénote des soins d'autant plus suivis, qu'ils ont été façonnés avec des instruments imparfaits trouvés sur les lieux et sur des terres battantes, dont le travail, sous peine de rester inachevé, doit être saisi au moment favorable.  Nous avons regretté de ne pas rencontrer le colon auquel nous portons un vif intérêt, en le voyant, dans des conditions vicieuses, suppléer par son intelligence aux moyens dont il est dépourvu. Des conseils donnés de notre part dans l'espoir qu'il fait naitre et écoutés avec déférence, nous permettraient, sans aucun doute, de le signaler plus tard à votre attention. L'écurie renfermait cinq chevaux de travail qui, eu égard à l'exiguïté de la dépendance, doivent avoir une autre destination, et dans l'étable six vaches et deux génisses promettant des engrais abondants à cette petite exploitation.

Chizay.

Puis, nous nous sommes rendus à Chizay, sis-commune de Parçay, chez le sieur Legave qui en est le fermier. Vous avez tous présent à l'esprit le nom de ce digne athlète de nos précédentes luttes. Aujourd'hui, comme devant, son domaine annonce dans tous ses détails l'intelligence qui y préside et le parti qu'il sait tirer de toute chose. Vingt-huit hectares de blé, trente hectares d'avoine, onze hectares de trèfle, un hectare de vesce, cinq hectares de prairies naturelles, outre les guérets bien disposés, pour des ensemencements divers, sont les éléments de cette riche exploitation sur laquelle, outre cinq chevaux de travail et un poulain qui les renouvelle annuellement, il entretient à l'étable trente et une vaches de service, cinq génisses et deux taureaux, l'un d'eux, croisé-suisse ; à la bergerie, deux cent cinquante moutons et un bélier de trois ans, de formes distinguées, acquis pour le rétablissement de l'espèce au point de vue combiné de la chair et de la laine ; plus cent un agneaux qui en sont le produit ; dans la porcherie, plusieurs truies craonnaises avec les bons caractères de la race. Ce que nous n'avons pas rencontré ailleurs et qui semble ici compléter l'éducation des animaux, c'est un bâtiment spécial de basse-cour, élevé par le soin du propriétaire, d'apparence coquette et d'une appropriation, où nous avons bien étendue, où nous avons compté quatre-vingt poules choisies dans l'espèce acclimatée, produisant moyennement cinq douzaines d'oeufs par jour, et versant annuellement sur le marché sept cents poulets ; et, encore cent canards qui se meuvent librement dans un vaste bassin à leur proximité. Tout cela, chez le sieur Legave, marche de front avec une entente merveilleuse, c'est un véritable ami du progrès agricole, gouvernant avec sagesse, sans rien donner au hasard, mais ne reculant pas devant le sacrifice en vue de l'amélioration du sol et de la perfection de son bétail.

La Pécaudière.

Sortant de Chizay, nous sommes allés de pied chez le sieur Tulsane, son voisin et son émule, exploitant la ferme de la Pécaudière composée de quatre-vingts hectares cultivés par quart. Ici, comme chez le précédent, nous avons vu vingt hectares de blé net, régulier et bien fourni, qui rivalisent, s'ils ne sont supérieurs ; dix hectares de trèfle, trois hectares de de luzerne, quatre hectares de vesce d'hiver, deux hectares de betterave, deux hectares de carottes bravant l'aridité de la saison. Nous avons éprouvé aussi une vive satisfaction à l'aspect de trois hectares de colza sur le point de donner leurs graines, cette plante qui fait son chemin dans l'assolement général, sous l'influence de vos encouragements et de vos conseils. Dans les étables se trouvaient réunis dix-huit vaches et cinq génisses, dont une de trois ans, de belle constitution, et un taureau de race suisse servant aux besoins ainsi qu'à l'amélioration de l'espèce dans la contrée. A la bergerie, cent quarante moutons et trente-deux agneaux, choisis pour entretenir le troupeau. Ce cultivateur a, plusieurs fois déjà, reçu des distinctions de la société, et il persévère dans ses efforts pour s'en rendre digne.

Le Grand-Vaudanière.

De la Pécaudière, nous nous sommes rendus à travers champ au Grand-Vaudanière revoir encore une vieille connaissance, le sieur Clobjeau, laboureur émérite, qui divise la surface exigüe de vingt hectares en quatre soles, dont malgré ses luttes avec des accidents de terrain de difficile accès, la culture se montre toujours progressive. Ses blés, placés sur la crête et en suivant le versant du coteau ondulent, pleins de vigueur, sur la même inclinaison sans en rompre l'uniformité ; ses prairies artificielles, variées par le sainfoin, le trèfle, la luzerne, le maïs, la jarosse, les pommes de terre, les betteraves, les carottes blanches, les choux de Chollet, indiquent par cette belle venue le choix judicieux du terrain qui leur est propre. Un hectare cinquante ares de sarrazin et quarante ares de vesce sont destinés par l'enfouissement à servir de fumure préparatoire des céréales qui doivent prendre leur place. La porcherie renfermait, pour le concours ouvert, une laie anglo-chinoise et deux autres craonnaises, l'une d'elles en gestation, et cinq petits gorets révélant toutes les indications de l'espèce.

La Borde.

Une troisième sortie a conduit nos pas au chef-lieu du canton de Neuillé-Pont-Pierre, où nous attendait les témoignages de sympathie de l'autorité qui apprécie vos efforts. Avec elle, nous avons exploré le domaine et la ferme de La Borde. Cette exploitation de plus de quatre-vingts hectares, livrée aujourd'hui à l'assolement quaternaire, a été conquise pour plus de la moitié, à une époque assez rapprochée, sur des landes chétives et sur les bas-fonds noyés par l'infiltration de sources nombreuses. Avec le concours du propriétaire, le sieur Bihais Gouzon a opéré des défrichements successifs sur plus de quarante hectares, et des tranchées pratiquées dans les parties inondées, conduisant rapidement les eaux à un centre commun dont la puissance sert d'auxiliaire à un moulin à blé, en enrichissant le cours de l'Ecotais, ont fait surgir des prairies, garnies de plantes de premier ordre, qui n'ont pas moins de six hectares.  Les défrichements ont été faits à la pioche, et après un ameublissement préalable, couverts d'une première récolte en avoine à laquelle le blé a succédé avec une large fumure. Ce mode a été préféré à celui de l'écobuage qui donne au sol une action plus prompte, mais moins durable, et l'amélioration se poursuit par la culture de plantes sarclées et fourragères. Sur un sol généralement médiocre et en butte à l'esprit routinier de la contrée, nous tenons grand compte à l'ouvrier de ses efforts persistants dans la bonne voie où il est entré. Aussi, les récoltes pendantes présentent partout une heureuse égalité, et nous avons vu dans cet état, sur un sol léger et sableux, du blé dit méteil que le fermier préfère confier à la terre, la diversité des grains, suivant ses remarques, s'aident l'un l'autre, pour arriver à une bonne fin. Six chevaux et quatre bœufs suffisent à peine à remuer ce sol si longtemps délaissé. Dans l'étable, neuf vaches et cinq génisses provenant d'un taureau du pays, de l'âge de trois ans, de formes très régulières. A la bergerie, soixante moutons parfaitement entretenus. Et à la porcherie, un verrat et une truie qui, sans caractère bien tranché, sont un produit intéressant pour le fermier. Les engrais naturels préférés à tous autre sont traités avec sollicitude, par exception dans le pays qui méconnaît encore cet avantage inappréciable dans leur emploi.

M. Nau.

Après avoir répondu à l'invitation de M. Lavalette, maire de Neuillé et notre collègue, nous avons été conduits sur la propriété de M. Nau (NAU, propriétaire à Neuillé-Pont-Pierre, membre titulaire de la SAIL) qui fait aussi parti des nôtres. Là, et à quelques pas d'un chef-lieu de canton, nous avons été péniblement affectés de nous trouver au milieu des landes sans autre borne que l'horizon. Mais dans cette étendue, que l'œil ne suffit pas à embrasser, mille hectares, dont un vaste étang, dit de Saint-Martin, révélant peut-être ainsi sa possession d'origine, ont été aliénés à sa famille, à une époque très ancienne, et il a entrepris d'en achever le boisement. A ce moment, deux cent soixante-dix hectares ont reçu par ses soins cette destination, et l'œuvre se poursuit avec tous les travailleurs que peut fournir le pays. Son mode de procéder simple, net et précis, nous a paru utile à décrire, et nous croyons opportun de le consigner ici. Après l'étude du terrain sur lequel on pratique, s'il y a lieu, des fossés d'écoulement et d'assainissement correspondant entre ‘eux, le sol est pelé de manière à détruire les plantes parasites qui l'occupent, et le feu est mis à ces débris réunis en tas multipliés. Après l'écobuage on sème, par une opération nommée poquage, cent glands dans un mètre carré, ou quarante-cinq décalitres à l'hectare ; puis les cendres sont disséminées également sur la surface disposée en larges planches en ados pour garantir de l'humidité. On jette alors soixante-quinze kilogrammes de graine de pin maritime ou d'autres espèces variées mélangées de bouleau, avec un léger hersage sur le tout, au moyen d'une simple claie d'épines. On répand encore quelquefois, par excès de précaution, une semence d'avoine qui sera ou non récoltée, en vert après avoir favorisé, par un premier ombrage, le développement des sujets viables. Quelques-uns, par suite de l'observation des terrains, et pour mieux vaincre l'obstination des bruyères à se reproduire, livrent pendant les premières années le sol à des cultures sarclées et opèrent ensuite avec plus de sécurité.  Nous avons vérifié des plantations faites depuis le premier âge jusqu'à celui de douze années, celles-ci, recépées une première fois, il y a trois ans après la première période, et toutes nous ont apparu dans des conditions complètes de succès ; plus particulièrement, nous avons admiré des semis de quatre ans, devenus impénétrables par l'accroissement vigoureux et rapide des sapins protecteurs, où il a fallu pratiquer des voies de passage afin de protéger les jeunes essences contre les animaux rongeurs dont la dent serait pour elles à redouter. Les frais de l'opération fixés invariablement à centre francs par hectare, n'exigent que la surveillance du chef ou de son représentant, et l'estimation nominale de cette contenance à trois cents francs, basé sur le produit insignifiant des bruyères, acquière au bout de neuf ans, après le premier recepage évalué à cent francs, et une valeur courant de neuf cents francs. Sur un autre point de la propriété, parmi une sapinière de de vingt ans, on a pratiqué il y a trois ans, après une première éclaircie, le poquage du gland, et les plants vigoureusement constitués et occupant tout le sol pourront bientôt se passer de leur abri. Cet examen, nous a intéressé à plus d'un titre, et bous sommes portés à penser que l'opération dont nous avons suivi les détails avec tant de bonheur, est peut-être celle, qui, sur cette nature de terrains, que plus d'un jalon historique nous permet de considérer comme les greniers épuisés d'une autre époque, a le plus de droits à vos encouragements. Les terres à blé ne nous manquent pas en France, mais bien le génie de leur culture et l'alliance mieux comprise des bras et du capital pour favoriser son essor. En entrant dans cette voie, la question du boisement à laquelle, dès l'ère de Sully, on rattachait l'avenir du pays, trouverait une solution au point de vue des besoins du combustible et du bois de service ; les terres vaines et vagues, lettre morte aujourd'hui comme du temps des anciens possesseurs, entre les mains des communes qui les laissent gaspiller par bétail amaigri, sans la compensation des engrais, offriraient aux populations des ressources moins éventuelles. Le détenteur, être collectif ou privé, en triplerait la valeur, et le temps, par les débris organiques accumulés, reconstituerait un sol apte à devenir dans la suite et sans les efforts qu'il exige aujourd'hui d'excellentes terres arables.

Paul Boutier.

Cette journée si bien remplie par les merveilles auxquelles nous avons assisté, par les traits de lumière quelle a révélés sur les divers moyens à appliquer au profit de l'agriculture, s'est terminée par un retour vers Beaumont-la-Ronce, chez le sieur Pineau-Jouzeau, propriétaire d'un domaine de cinquante hectares. Quoique nous n'eussions qu'à vérifier les titres du sieur Paul Boutier garçon laboureur qui se présent à vos suffrages, nous avons voulu constater visum-visu le parti qu'il sait tirer de la terre confiée à ses soins, et dans cette contée peu avancée, nous avons eu la satisfaction de reconnaître tous les éléments du succès. Culture par quart, céréales bien travaillées, prairies artificielles appropriées, neuf vaches, quatre génisses, un taureau, cinquante moutons : tout cela conduit avec ordre et intelligence, nous a rempli d'estime pour celui qui justifie si bien la confiance de son patron.

La Briche.

Une demande de M. G. Colaux, garde à La Briche, nous a amenés dans la commune d'Hommes, pour y reconnaître la pratique des irrigations sur une grande échelle. Ce domaine devenu la propriété de M. Ferino, receveur général à Marseilles qui en a confié la surveillance à M. Hely d'Oisel conseiller d'Etat, son gendre, présente une surface de six cents hectares, composé pour la plus grande partie de l'ancien étang d'Hommes dont dessèchement ne remonte pas au-delà de quinze années (1835). Epuisé dans les premiers temps par l'abus de ses forces, le nouveau possesseur, en présence d'un sol appauvri, a éprouvé plus d'un insuccès dans ses tentatives d'appropriation. Des semis de chêne ont trouvé la terre rebelle et n'ont pu se soutenir ; d'immenses plantations de peupliers imaginées par les précédents propriétaires, languissantes, malgré les soins qui leur avaient été donnés, ont dû être supprimés avant le temps, sous peine de les voir mourir sur place. La terre, d'une nature argileuse, difficile à manier l'hiver par son imperméabilité et celle du sous-sol qui laisse séjourner l'eau à la surface, se dessèche pendant l'été en se crevassant, et cette action après avoir contribué à la décomposition des racines, des plantes par l'excès de l'humidité les tue ensuite par sa privation. Ces observations de longue haleine ont conduit à créer dans la partie basse de la propriété la plus sujette à ces inconvénients des prairies permanentes avec un système d'irrigation artificiellement établi. Au point le plus central, le sol a été coupé directement par un large canal, laissant un libre cours à une source insignifiante et aux eaux provenant tant de l'étendue du domaine que des terrains supérieurs qui s'y réunissent. Une forte pise élevée au niveau des plus hautes inégalités, à l'aide d'un barrage et de vannes mobiles, conduit l'eau par des ramification d'embranchement dans des directions différentes, qui servent à la fois d'écoulement et d'assainissement en allant rejoindre l'artère principale. Sur leur parcours, d'autres appareils simplifiés, fixés suivant les dispositions du terrain, font à propos obstacle au courant et le déversent dans les rigoles d'irrigation qui, par une communication calculée, l'épandent sur toutes les parties du sol façonné en larges planches.

Cette disposition de l'arrosement en même temps que l'écoulement superflu, nous a semblé parfaitement entendue, et nous avons dû penser qu'elle émanait d'un homme de l'art profondément versé dans la science des nivellements.  Nous avons appris, en effet, que le plan, après de longues études, avait été dressé par MM. Simon de Paris, ingénieurs irrigateurs qui se rendent à la Briche plusieurs fois dans l'année, pour prolonger successivement le tracé dont les travaux sont suivis en leur absence, par le sieur Colaux, qui, outre l'entente de l'exécution, leur donne aussi des indications utiles. Cette irrigation subordonnée à la chute des pluies n'est donc ordinairement praticable que pendant la saison d'hiver, où le terrain doit être submergé pendant un certain temps de suite, et au printemps pendant une moindre durée ; jamais en automne, même avec la possibilité de le faire. L'eau réchauffe le sol l'hiver, dit Colaux, ce qui s'explique pour nous, par la soustraction des plantes à la rigueur d'une température trop basse. Par la raison contraire l'irrigation en arrière-saison refroidit le sol, dit-il encore, et nous trouvons la justification de cette opinion dans le développement inopportun de la végétation rendu plus sensible à l'action du froid qui retarde celle du printemps. Cinquante hectares, aujourd'hui, sont irrigués avec une dépense totale, y compris la rémunération de l'ingénieur, de huit mille francs, dont six mille applicables aux trente premiers hectares avec les frais d'établissement, et qui s'amoindrit d'autant plus qu'on prolonge la surface. La corrélation à l'aide de laquelle l'eau couvre le sol, ou s'écoule naturellement, a pour effet de faire disparaître les plantes aquatiques produit d’un fonds marécageux et de les remplacer par des graminées choisies, dont la fécondité est en quelque sorte, à la discrétion de l'exploitant. Dès lors, celui-ci peur régler d'une manière normale le nombre de ses troupeaux, déterminer l'importance du commerce qui doit en résulter, et par la somme d'engrais dont il peut évaluer la mesure, obtenir sur les terres conservées, des récoltes largement fumées. Le sol, dans ce repos productif, récupérera les forces qui lui ont été imprudemment enlevées et dispensera les nouvelles richesses agglomérées dans son sein. Cinq corps de ferme, péniblement travaillés doivent à l'expiration des baux, rentrer dans l'arrangement des dispositions précitées. Seules les terres arables non soumises encore au nouveau régime, nous avons vu des vesces mélangées de seigle, d'orge et d'avoine destinées à la consommation en vert ; ailleurs du sarrazin pour l'usage de la basse-cour ; dans les terres fortes, de l'orge, de l'avoine d'hiver et de printemps, du blé dit poulard, et dans des terres très légères, le petit blé dit baluchon ; l'aspect général est tout ce qu'on est en droit d'espérer. Les instruments aratoires sont tous de bons modèles : charrue de Dombasle, charrue américaine, extirpateurs, etc. Ici, seulement, nous avons vu pratiquer un moyen préconisé, mais peu répandu, pour la conservation du fourrage. Lors de son transport à la grange, on l'accumule en poil, et par chaque fraction de deux mille kilog. environ, on répand vingt kilog. de sel qui, en neutralisant l'humidité surabondante, lui donne une saveur très recherchée du bétail. Dans cette contrée plus arriérée sans doute qu'au temps de Philippe-le-Bel et la reine de Navarre l'ont honoré de leur présence, un homme éminent vient de nouveau interroger le sol, et par l'application des calculs de la science, démontre aux populations que la terre, notre mère nourrice, recèle partout dans ses flancs des sources de richesse et le mérite du cultivateur est de les en faire jaillir. En nous éloignant à regret de la Briche, sous l'impression des travaux gigantesques dont nous venions d'être témoins, nous traversions lentement la commune d'Hommes, lorsque notre attention a été éveillée par la perspective de plantations étendues que nous avons de suite reconnues pour une richesse territoriale particulière au pays : nous voulons parler de l'orme tortillard dit de malfeute qu'on ne trouve nulle part dans le département avec les mêmes qualités, et dont la venue ne demande que du temps. Après un moment d'arrêt, consacré à examiner les formes bizarres de ces végétaux, et à rechercher en vain, les causes d'une production dont la terre seule sait le secret, nous nous sommes acheminés à Ambillou, où nous nous sommes arrangés comme nous l'avons pu faire pour y passe la nuit.

Tivoli.

Dès le matin, nous faisions route, et nous ne tardâmes pas à arriver à Tivoli, domaine situé sur cette commune, appartenant au sieur Rousseau. Sur cent dix-neuf hectares de landes qui le composaient lors de son acquisition en 1845, cinquante-trois hectares sont rendus à la culture. Sa méthode consiste à brûler sur place, la bruyère qui l'embrasse, et à verser le sol avec la charrue. Ce n'est pas au point de vue d'une économie douteuse qu'il opère ainsi, mais perce qu'il a reconnu que la terre conserve plus longtemps sa fécondité que par l'écobuage. La marne que des fouilles itératives lui ont fait enfin découvrir, a un titre de richesse calcaire suffisant, ajoute un principe de fertilité de plus, en divisant le sol trop compact et favorisant lentement la décomposition des racines. Sur cette terre encore ameublie, nous avons vu seize hectares de seigle et une petite partie de méteil dans de bonnes conditions, et aussi un essai de blé dit poulard, dont la résistance lui fera donner pendant quelque temps la préférence à cette variété. Trois hectares de trèfle incarnat, trois hectares de pommes de terr, des avoines, du raygrass, du sarrazin, des choux de Poitou, des carottes, une plantation de vignes, la création de trois hectares de prairies naturelles, font une riante opposition et reposent la vue de cet entourage désolé qui accuse peut-être à la fois le désordre des éléments et celui des sociétés préexistantes. Le sieur Rousseau a commencé aussi une plantation de bois sur quatre hectares en pin maritime et en châtaignier, mais sans succès pour cette dernière essence qu'il se propose de remplacer par le chêne. Il attribue à l'encombrement des pins le défaut de réussite plutôt qu'à la nature du sol ; nous avons l'opinion contraire, fondée sur ce que nous avons eu l'occasion d'observer ailleurs. Neuf bêtes à cornes et huit moutons de grande taille, dit vachers à l'étable, dans l'écurie, quatre chevaux et plusieurs poulains élevés sur les bruyères apportent leur contingent de produits et d'engrais à cette exploitation naissante. L'engraissement des porcs devient aussi une branche importante de ses revenus, et quarante à cinquante de ces animaux sortent annuellement de ses loges pour être livrés au commerce. Nous portons un vif intérêt à cet agriculteur, estimé et recommandé par tous les propriétaires du pays, qui a été planter son drapeau au milieu des terres incultes, sur un sol plusieurs fois rebuté avant lui, et suppléant par la persévérance intelligente du travail au capital qui lui manque pour rendre son succès plus prompt et plus certain.

La Tintardière.

Dans la même circonscription et sans sortir des landes, nous sommes allés au lieu de la Tintardière où le sieur Petitbon, cultive à titre de fermier, trente hectares de terrain avec la faculté de défricher à son profit, pendant la durée d'un long bail, une partie des bruyères dont il est entouré. En employant avec sa famille tout le temps qu'il a de libre, il est parvenu déjà à rendre huit hectares à la culture et deux autres sont prêts à recevoir les emblavures prochaines, outre une autre partie en cours d'exécution. Il avait procédé d'abord par l'écobuage, à l'aide duquel il croyait récolter impunément deux blés successifs sans fumure, en livrant, la troisième année, la terre au repos avec un bon guéret. Mais une déception l'attendait. Raro antecedentem... Sans se rebuter pourtant, il a modifié son système. Après avoir défriché sur bruyères pendant tout l'hiver, il incorpore au sol cinquante à soixante voitures de marne par hectare, et ensuite de quatre labours énergiques à des intervalles éloignés, la deuxième année seulement il ensemence pour rentrer dans l'assolement commun. Le travail est plus considérable, la jouissance plus éloignée, mais il peut être prodigue de ses bras plutôt que d'argent, et ses terres ainsi amendées conserveront par un aménagement discret une fertilité continue. Quatre hectares de sainfoin, deux hectares de trèfle, une partie d'avoines de printemps et trois hectares de prairies à demeure sur une aussi minime exploitation, sont la preuve que ce cultivateur possède la clef de la bonne agriculture. Ses étables contiennent huit vaches, cinq génisses, et six moutons vachers. Dans les écuries, quatre juments de choix, saillies par des étalons de race percheronne dont les produits pleins de ce sang, à l'œil de feu, au pied plus assuré, sont élevés librement sur les bruyères. Nous avons aussi remarqué dans la porcherie deux truies de deux ans, dont les formes distinguées et caractéristiques, nous ont, de suite, révélé l'origine craonnaise. Voici encore un cultivateur qui a le double mérite, à nos yeux, d'aider la civilisation, en empiétant sur le désert qui l'enserre de tous côtés, et de suppléer, au défaut de moyens plus rapides, par l'intellect de l'exécution et par l'heureuse application des ressources que lui offre sa situation.

Vacher.

En faisant retour à la ville (Tours), nous nous sommes arrêtés aux Maison-Blanches, chez le sieur Vacher que nous avons trouvé dans un enclos restreint où il se livre spécialement aux soins de ses arbres, en pêchers, pour le plus grand nombre, et à la culture maraîchère des primeurs. Là, en effet, nous avons vu ses sujets, qu'il a su préserver de la cloque, d'une végétation luxuriante, affecter tous les dessins imaginés par l'ouvrier, pour mieux tapisser et embellir les murs contre lesquels ils sont dressés ; soit, l'oblique, le vase, le carré, la palmette, etc. ; indiquant parfaitement ces dispositions différentes, qui par l'art qui y préside, semblent leur direction native en dissimulant si bien les abris. Sa culture maraîchère de primeurs nous a paru bien entendue dès le 25 avril, il avait pu livrer à la consommation des fraises, des pommes de terre, des petits pois, des carottes et le 4 mai des melons.  Il a aussi entrepris la culture des patates, dont la semence lui avait été donnée par l'un de nos collègues, M. de Sourdeval, et sans avoir recours à la terre chaude, en les plaçant en pots sous châssis, il a obtenu des résultats d'avenir.  Nous vous invitons, messieurs dans les moments de loisir, à tourner vos pas du côté de cet intéressant praticien si rapproché de la ville. Vous partagerez notre plaisir, en voyant se plier sous sa serpette habile, les branches de ses arbres amenés ainsi à un plus grand développement et à une meilleure fructification. Vous reconnaitrez avec quel tact, il sait profiter des plus petites causes pour accélérer ses primeurs avec le moins de frais, et cette bonne visite, en vous procurant un agréable délassement, lui sera peut-être profitable, ainsi qu'à une industrie si utile à encourager.

La Roche et Ploquin.

Il nous restait encore à parcourir quelques domaines qui ont fait l'objet d'une autre excursion. Nous nous abstiendrons de vous entretenir de la culture habile pratiquée à la Roche, commune de Monts, autrement que pour inviter ceux qui ont un goût prononcé pour cette science, à aller y puiser des enseignements. La puissance de moyens de son chef la place hors ligne, et nous ne l'aurions pas admise au concours. Mais, dans une visite à son riche bétail, nous n'avons pas pu nous empêcher de remarquer l'excellente disposition des communs et leur distribution suivant la destination de chacun.  Seulement, ici comme presque partout, les araignées ont le champ libre et tapissent de leurs toiles meurtrières les planchers et les murailles. Est-ce un préjugé qui se rattache à l'hygiène des bestiaux, en favorisant la destruction des insectes qui les tourmentent, suivant Boscet Valmont-Baumert, soit en absorbant les émanations délétères en excès, ou n'est-ce pas plutôt une simple négligence des gens de service ; malgré nos interrogations, nous n'avons pu que constater le fait sans retrouver la tradition d'origine. En voyant les chevaux de luxe autrement traités, nous adoptons l'opinion dernière en espérant que le temps en fera justice. Parmi les animaux, nous avons particulièrement remarqué un taureau de trois ans provenant d'une mère de croisement Suisse dont les formes et le développement laissent fort peu à désirer, et nous devons surtout ajouter avec reconnaissance que le propriétaire de la Roche le tient gratuitement à la disposition des gens de la contrée qui visent à l'amélioration de leur race ; nous avons vu un de ses produits de l'âge de six semaines, d'un poids approximatif de cent kilog., élevé pour son remplacement. Après un mouvement de surprise sur les dispositions savamment combinées des jardins, qui, malgré de vastes ombrages, ne dérobent aucun des points de vue d'un sol richement accidenté, nous sommes allés voir le sieur Ploquin au quartier réservé aux vergers. Sur un sol brûlant, grâce à l'apport de terreaux appropriés, les arbres, quelque- soit leur essence, présentent la végétation la plus vigoureuse et nous avons félicité le jardinier de l'art avec lequel il dirige tous ses sujets, en retrouvant les formes capricieuses que l'homme sait faire prendre aux végétaux avec le double but de ménager leurs forces et d'obtenir une production réglée et supérieure.

Vaugarny.

De retour en la commune de Joué, sur la ferme de Vaugarny, un heureux contraste nous était offert. Si nous n'avions plus sous les yeux ces ressorts puissants qui aplanissent les obstacles, en revanche, une culture pénible, sans autre ressource que des bras et de l'intelligence, se déroulait devant nous, en excitant davantage notre intérêt. Sur cinquante-quatre hectares divisés en quatre soles, douze hectares de blé dit poulard, présentaient des tiges régulièrement élevées dont les épis s'inclinaient en signe d'une prochaine maturité. Cette variété dont l'issue est moins hasardeuse, est préférée par le fermier qui l'écoule facilement dans un pays de vignerons, sans être obligé d'avoir recours au commerce qui la dédaigne. Sept hectares de trèfle et une grande quantité de cultures fourragères et de plantes tuberculeuses. Enfin huit hectares de colza sur le point d'acquitter par un rendement reconnaissant les soins qu'on leur a prodigués. Nous nous rappelons, avec une sorte d'orgueil que c'est sur nos instances et après un essai arrivé à bonne fin, que ce cultivateur, a fait entrer depuis plusieurs années dans son assolement cet oléagineux qu'il regarde aujourd'hui comme le principal de ses produits. L'orge dite bechet figure aussi dans ses récoltes pour l'engrais des volailles, des porcs, des veaux et aussi des bœufs. Quatre chevaux et deux bœufs sont les instruments à l'aide desquels, avec de bons outils, il remue incessamment le sol. Les étables referment du bon bétail et surtout de beaux veaux, qui, après un allaitement de deux mois reçoivent de la farine d'orge mouillée. Sa bergerie contient ordinairement cent moutons de pays qui ne font que transiter, et son livrés à la boucherie, en laissant place à de nouveaux venus, qui seront remplacés à leur tour, après avoir fourni leur contingent d'engrais. Sur cette exploitation, aucun coin de terre ne reste sans emploi, car, dit Serelle, tout étant soumis à la rente, doit donner son obole au propriétaire et à l'ouvrier.

Martin Grivault.

Avant de nous éloigner de la localité, nous nous sommes rappelés que dans la sphère de l'art horticole, le sieur Martin Grivaux, attaché à la propriété de Roche-furet commune de Balla, nous avait été signalé comme un ouvrier consommé et le mentor obligeant de ceux qui avaient recours à ses conseils. Nous avons dirigé nos pas de ce côté où nous attendait l'accueil cordial de son chef. S'il est possible, messieurs, de réunir une plus grande étendue de terrains consacrés à l'agrément, il est difficile de rencontrer un ensemble mieux disposé et plus soigné. Il n'existe pas, en effet, une seule plante, depuis les grands végétaux jusqu'aux plus humbles, qui ne révèle la surveillance attentive de Martin.  Là, sous un sécateur vigilant, disparaissent les branches morbides, parasites ou nuisibles à l'équilibre des arbres ; ici, par une incision habilement pratiquée, il restitue la flèche succombant sous l'effort de l'ouragan ou de tout autre cause accidentelle et le grand végétal reprend la marche ascensionnelle qui excite notre admiration. Etudiant les moyens de rectifier les vices d'une culture livrée à elle-même, ou gênée par un voisinage dangereux, presque toujours ses essais réfléchis sont des coups de maître. Sur tous les points, une sage pondération est maintenue et il en résulte une harmonie qu'on ne se lasse pas d'admirer. Le soin de ses arbres fruitiers est une autre merveille, et il est curieux de l'entendre expliquer en présence d'un sujet de tout ordre et à quelque taille qu'il soit soumis, comment il fait naître à volonté des rameaux alternes ou opposés, en supprimant ceux intempestifs ; par quel procédé, sur quelle place, et dans quelle position il détermine les boutons dont les fruits  sont moins exposés à l'action indisciplinée des vents, et acquièrent ainsi le développement moins tourmenté qu'il s'est proposé. Pour ceux d'entre nous qui avions vu ce domaine avant son heureuse transformation, nous ne pouvions plus nous reconnaître au milieu de ces richesses végétales et nous prêtions une oreille attentive aux explications de M. Lesèble, son nouveau créateur, sur les qualités de Martin, résumées en ces mots sacramentels : Martin est mon jardinier, mais surtout mon ami. Notre collègue nous rappelait l'opinion antipathique qu'on s'était formée de la propriété avant son acquisition ; il nous signalait les difficultés qu'il avait rencontrées en nous indiquant les moyens employés pour les vaincre, au nombre desquels il nous a fait suivre la trace de deux mille mètres de drainage par empierrement couverts de terre battue : opération inaperçue qui laisse un cours constant aux eaux surabondantes. Le temps trop rapide par l'intérêt de ces détails nous a contraint de prendre congé de M. Lesèble, en le remerciant en votre nom de sa grâcieuse hospitalité, et en rentrant en ville (Tours), nous nous sommes arrêtés chez le sieur Leroux fils, pour procéder à l'examen de la taille de ses arbres fruitiers.

Leroulx fils.

En effet, nous avons retrouvé là les mêmes variantes d'extension ou de réduction que nous avions vues ailleurs suivies avec une intelligence égale et de plus nous avons reconnu la supériorité de ses arbres en quenouille qui nous rappelaient les déductions raisonnées du jardin de Roche-furet, encore toutes présentes à nos esprits. Sous ce rapport, messieurs, nous le proclamons hautement, nous n'avons plus rien à envier aux grands centres d'établissements, et sous votre patronage bienveillant, ces jeunes maîtres formeront avant peu une pépinière de sujets qui feront disparaître de nos jardins la disposition barbare et ignorant des arbres qui les déshonoraient.

Colonie agricole de Mettray.

Nous allions clore, ici, le compte que nous vous devions de notre inspection départementale et si l'aridité du sujet en a rendu la narration fastidieuse, nous espérions trouver grâce par la révélation inattendue de procédés puisés aux sources mêmes de la pratique, prise, pour ainsi dire, sur le fait. Mais la Colonie de Mettray, ayant bien voulu nous ouvrir l'accès des travaux qui vous intéressent, nous avons compris que cette lacune rendrait notre travail incomplet, si nous négligions d'y recueillir ce que son mode d'organisation et d'action pouvait offrir d'intéressant à l'agriculture du pays. MM. les Directeurs s'étant mis obligeamment à notre disposition, nous avons parcouru avec eux les dépendances attenantes et éloignées du centre principal, et sur tous les points, nonobstant les difficultés qu'il a fallu vaincre, d'un sol souvent accidenté, chargé de roches à la surface et coupé par des ruisseaux multipliés, nous avons vu les cultures les plus variées et dans des conditions de succès qu'il n'est guère permis aux cultivateurs ordinaires d'atteindre. Nous pouvions nous croire un instant transportés sur le terrain d'alluvion de nos riches vallées, toujours impatient de produire, dont les succédanés présentent en toute saison par leur diversité, l'aspect d'un perpétuel printemps. Grâce aux forces vives qu'on a surtout en vue de ramener au travail, les plantes à quel qu’ordre qu'elles appartiennent, sont rendues nettes d'herbes parasites qui s'élèvent à leurs dépens et les jeunes colons sont conduits par-là, à apprendre les premières lois de la bonne agriculture. Des plantations en céréales ou légumineuses disposées en ligne, facilitent la circulation de l'air indispensable à tous les êtres organisés, tallent mieux sur l'espace resté libre autour d'elles entretenu par un bon guéret, et produisent beaucoup plus avec une moindre quantité de semence. Car, dit Duhamel-Dumonceau, à qui nous reportons l'honneur de cette méthode trop négligée de nos jours : "Par la semence ordinaire, la terre paraît d'abord bien couverte de plantes ; mais comme elle n'y peut suffire, un grand nombre languissent et périssent avant la maturité. La semence en lignes, trouve, au contraire, une abondante nourriture dans la terre qui l'environne, secourue par la culture ; les tiges multipliées deviennent plus vigoureuses, et à la moisson, il n'est pas rare de compter vingt à trente tuyaux provenant de chaque grain, au lieu de deux à cinq qui résultaient de la méthode commune." C'est-à-dire, un produit trois ou quatre fois multiple de celui accordé à l'insuffisance de moyens et trop souvent à l'indolence du cultivateur. Nous avons retrouvé là la belle variété d'avoine Multicaule dite avoine de Hongrie et l'avoine troche de Touraine avec sa panicule unilatérale, produisant un grain blanc plus pesant et une paille abondante ; espèce presque disparue à cause de sa facilité à l'égrenage, et parce qu'elle exige un terrain substantiel. Sa supériorité d'emploi dans la fabrication du gruau réclamerait l'encouragement de sa production. La féverole qui offre tant d'applications dans l'économie rurale nous est apparue sur un vaste plan, et il nous est démontré que pour arriver à l'état exceptionnel dont nous avons été témoins, cette plante, outre les conditions ordinaires, doit être confiée à la terre dès le premier retour de saison. Nous en dirons autant des pommes de terre que nous n'avons pas vu ailleurs aussi avancées. Sur les terres qui ont assez de pentes naturelles, le blé est cultivé par larges planches. Dans les bas-fonds, on pratique de profonds sillons d'écoulement dont la terre avec celle provenant des lisières, sert à recharger des billons à quatre raies. Dans les variétés confiées à la terre, nous avons revu un blé dit du Mesnil-Saint-Firmin, du nom de la propriété où il a été trouvé au nombre de deux épis, ainsi que la société l'a fait connaître dans le temps, remarquable par sa panicule à six rangs de grains et produisant à l'hectolitre un poids de quarante kilogrammes.

Dans les parties destinées aux plantes tuberculeuses, semées en ligne et à demeure, on a intercalé par repiquage des choux de Poitou qui grandiront pour remplacer la première récolte dont le sol sera occupé à son tour par de nouvelles plantes alimentaires et fourragères.

Trois hectares de maïs en prairies, mélangés de sarrazin qui croît à son abri, offriront successivement deux produits ou assureront au moins l’un d’eux, suivant les circonstances atmosphériques.

Dans un champ réservé aux expériences et à l’acclimatation, nous avons remarqué une série de plantes, la plupart industrielles dont on étudie le mode de culture en le changeant.

Dans leur nombre, nous citerons en oléagineuses, le pavot blanc, le madia-sativa, la caméline, la moutarde.

Parmi les tinctoriales, la gaule, la garance, le pastel.

Plusieurs variétés de chanvre et de lin dans les textiles.

En plantes fourragères le maïs de provenance diverse, le mélilot, le trèfle incarnat des prés, l’alpaca et plusieurs légumineuses exotiques.

Nous avons, aussi, été appelés à établir au point de comparaison entre plusieurs planches de céréales fumées diversement ; ici, avec les sortes d’engrais préconisés dans les prospectus intéressés ; là à l’aide de pralinages composés, qui sans addition de fumier, devaient amener un développement plus complet du grain. Leur aspect inférieur ou négatif en présence de l’emploi des engrais naturels, exige au moins de nouvelles expériences pour asseoir une opinion à leur sujet.

Il faut imaginer dans l’agriculture de Mettray :

1° Une exploitation agricole dont le but est de produire et de contribuer par ses bénéfices aux besoins de l’institution.

2° Une école dans laquelle sont élevés pour les travaux des champs de jeunes enfants dont il faut faire entièrement l’apprentissage pendant les quelques années que l’État les confie aux directeurs de Mettray.

L’exploitation est dans des conditions toutes particulières, eu égard à ce double but. Une masse importante de jeunes bras sont à son service. Chacun d’eux est individuellement d’une faible utilité ; mais pour un directeur habile, ils peuvent être avantageux à la condition de proportionner la tâche à la mesure de leurs forces. Ces considérations ont été mûrement examinées, lorsqu’on a établi l’assolement de Mettray. Les cultures sarclées, celles qui nécessitent l’emploi d’une population nombreuse, et qui en même temps paient avantageusement la main-d’œuvre, ont dû être adoptées de préférence. Mais, ici, nous devons signaler un obstacle sérieux qui s’est rencontré, et que, dans d’autres conditions, on n’eut pas eu à vaincre. Les terres du voisinage, ne se prêtaient en aucune façon, au travail du pic et de la bêche, et il fallut se décider à défoncer le sol à une grande profondeur, et à l’ameublir par l’extraction des pierres sur une surface de plus de trente-cinq hectares. Ces travaux nécessitèrent, en outre, de fortes avances d’engrais. Tels furent les sacrifices dès le début sur l’agriculture à Mettray ; avances nécessaires qui composèrent un capital important, dont l’amortissement pèsera encore pendant plusieurs années, sur les comptes culturaux de cet établissement.

En examinant ces comptes, nous avons remarqué, qu’en faisant la part des circonstances particulières, le prix de revient de chaque culture diffère peu de celui des bonnes exploitations, et dans un temps qui ne peut être éloigné, ces avances ne peuvent manquer de produire des résultats avantageux.

Jusque-là, voici quels seront approximativement, d’après les comptes de Mettray, le prix de revient des principales cultures :

 

Blé, l’hectolitre, (les améliorations y entrent dans la proportion d’un cinquième) : 21 fr.

Seigle, id………………….. Id……………………………. 10 fg.

Avoine, id………………… Id……………………………. 7 Fr.

Le produit des cultures sarclées ne peut être évalué, quant à présent, l’époque de leur récolte étant encore éloigné.

Depuis 1847, on a essayé avec succès l’introduction de la garance. Deux spécimens sont offerts à ce moment ; l’un qui provient s’un semi de printemps, et l’autre âgé de plus de deux ans, dont la récolte sera faite l’automne prochain. Déjà une première récolte a été effectuée et d’après les compets qui nous ont été soumis, il en ressort un bénéfice de quatre cent cinquante fr. (450 fr.) l’hectare par chaque année. Ce résultat nous dispense de tout commentaire et nous nous bornons à indiquer la marche de la culture. Trent mois sont nécessaires, à partir de l’époque du semis pour arriver à la récolte. La graine est épandue sur planches d’environ un mètre de largeur, avec des intervalles de cinquante centimètres. L’année suivante ; on charge avec cette terre restée libre, le pied de la plante, opération qu’on renouvelle plusieurs fois dans le but de multiplier les racines et d’en augmenter le volume. A l’expiration du temps prescrit pendant lequel le sol est constamment ameubli, on replace la terre dans son premier état, en recueillant le produit.

Les prairies naturelles de la Colonie sont d’une qualité très médiocre, et l’insuffisance du fourrage a été, dès le début, une difficulté qu’on a dû chercher à vaincre par de nombreux efforts. L’année dernière, encore, le mètre cube de fumier obtenu dans les étables de Mettray ressortait au prix de huit francs, chiffre exorbitant que l’on a cherché à diminuer, en appliquant la culture des fourrages artificiels à tous les terrains qui pouvaient les produire. De nombreux essais ont été tentés sur tous les points du domaine, et on a été très heureux de reconnaître que le sainfoin et la luzerne réussissaient, on ne peut mieux, sur la plupart des terres. A compter de ce jour, l’agriculture de Mettray, entrera, nous n’en doutons pas, dans une nouvelle phase économique et productive, et nous applaudissons de tout cœur au projet que MM. Les Directeurs ont mentionné dans le rapport de cette année, de nourrir prochainement dans leurs étables, quatre-vingt-huit (88) têtes de bétail. Arrivée à ce point l’agriculture de la Colonie pourra se suffire à elle-même et sa prospérité s’accroîtra sensiblement chaque année.

Contrairement à ce que nous avons obtenu dans d’autres exploitations, ici la récolte de colza a été très fructueuse et de vingt-deux (22) hectolitres à l’hectare. Il faut attribuer ce résultat à l’emploi bien entendu des matières animales fournies par l’établissement, ressource précieuse, dont on tirera de grands bénéfices si on l’applique sur une grande échelle à la culture des graines oléagineuses, ainsi que cela se pratique dans le nord de la France.

En résumé, si les comtes culturaux de Mettray ne se soldent pas encore par des bénéfices, nous en trouvons la cause dans les conditions particulières à l’établissement ; les belles récoltes que nous avons vues sur toute la surface de l’exploitation, nous font conclure, avec certitude, que l’agriculture à Mettray ne laissera rien à désirer dans quelques années, tant sous le rapport du produit, que par le soin et la bonne tenue des cultures.

La vacherie de Mettray est digne d’intérêt sous le rapport de sa composition. La race Cotentine y domine et donne de très beaux élèves. Quelques vaches hollandaises et un certain nombre de bretonnes dont les qualités sont appréciées, en font estimer les produits.

La comptabilité de Mettray nous a fourni sur la production du lait quelques résultats que nous nous empressons de soumettre à nos collègues et aux cultivateurs, comme terme de comparaison avec ceux qu’ils obtiennent sur leur exploitation.

La valeur du litre de lait a été :

Janvier 1851 ; Lait vendu 15 ; En beurre. 09 ; En fromage 12 ; Produit moyen par tête 3.72 l.

Février 1851 ; Lait vendu 15 ; En beurre. 08 ; En fromage 13 ; Produit moyen par tête 4.73 l.

Mars 1851 ; Lait vendu 15 ; En beurre. 10 ; En fromage 11 ; Produit moyen par tête 5.72 l.

Avril 1851 ; Lait vendu 15 ; En beurre. 08 ; En fromage 16 ; Produit moyen par tête 5.72 l.

Mai 1851 ; Lait vendu 15 ; En beurre. 07 ; En fromage 42 ; Produit moyen par tête 5.72 l.

Juin 1851 ; Lait vendu 15 ; En beurre. 06 ; En fromage 09 ; Produit moyen par tête 3.72 l.

Nous avons vu dans la laiterie une baratte rotative dont les ailes de battement sont adhérentes aux parois intérieures, dans laquelle on peut faire, en quelques minutes, une petite ou une grande quantité de beurre. Nous recommandons aux propriétaires des grandes vacheries, cet instrument ingénieux qui se fabrique dans les ateliers de la Colonie, il présente de grands avantages sous le rapport de la commodité et de la célérité.

La porcherie se compose d’une partie de sujets de race anglaise, d’une autre partie de race du Tonkin et enfin de porcs cranais. Elle est parfaitement établie, convenablement tenue, et malgré le bas prix de la viande, son compte se solde sans perte.

Nous répétons, ici, ce que nous avons déjà dit pour les cultures : bonne exploitation agricole, Mettray ne peut manquer de présenter dans un avenir prochain, les résultats les plus satisfaisants.

Nous aurions voulu, Messieurs, consigner tout ce que nous avons vu de plu beau, de bon, dans l’agriculture de Mettray ; mais les bornes d’un rapport collectif n’y pourraient suffire, et plus encore, l’organe que vous avez choisi. Pourtant votre étonnement cessera comme le nôtre en apprenant que la haute direction, si bien comprise par M. Minangoin, appartient à M. de Gasparin, que notre société s’enorgueillit de compter au nombre de ses membres honoraires.

Avant de terminer, nous ne pouvons résister au désir d’ajouter quelques mots sur l’instruction agricole professionnelle des colons et sur la répartition de quelques familles dans les fermes détachées.

Les sujets voués pour la plupart à l’agriculture, passent successivement par tous les ateliers de la colonie et apprennent à forger le fer, à travailler le bois, à bâtir, à confectionner des sabots, des souliers, des habits, à tresser des cordes, des nattes, des chapeaux, etc.

Quatre corps de ferme, malgré leur éloignement, sont desservis par ces jeunes ouvriers au nombre de quarante à cinquante (40 à 50), suivant la dépendance, sous la surveillance d’un chef de famille. Une chambre unique, set à la fois au coucher, de réfectoire et de lieu d’études. Au moyen de poteaux grossièrement ébauchés, dressés contre les murs et correspondant avec d’autres fixés au milieu ou mobiles, les hamacs se tendent le soir au moment du repos et se replient le matin avant le départ au travail. La vêture est rangée avec ordre à la tête de chaque place exposée à la vue du chef, sur une simple planche qui règne sur toute la longueur ; les jeunes habitants font à tour de rôle, le service d’intérieur, entretiennent la propreté et préparent les aliments. Ce mobilier modeste, mais suffisant, ne revient pas pour vingt enfants à plus de cinq cents francs, et MM. les Directeurs offrent de le fournir sur ce pied et au prorata, aux agriculteurs qui désireraient joindre une annexe de cette sorte à leurs exploitations.

Deux faits capitaux ressortent à nos yeux de cette éducation complémentaire. Le colon sortant de Mettray, à moins de redouter le chômage d’une profession limitée, et quelque-soit son isolement, il est en position de suppléer au défaut de ressources d’un centre de population dont il est éloigné.

A un autre point de vue, une fraction séparée de la colonie mère, possède, semblable à un essaim, tous les éléments de reconstitution propres à de nouveaux établissements, et en en reculant la limite, nous croyons qu’entre autre destination, on les appliquerait utilement et sans dépense relative aux défrichements des terres incultes, qui, à notre honte et à nos portes, occupent encore la dixième partie de la surface du pays.

En compulsant la statistique criminelle, on remarque avec douleur que les enfants trouvés et abandonnés y figurent dans une effrayante proportion dont on trouve l’explication douloureuse, en pensant que jetés au milieu d’un société reliée par les intérêts et les sentiments de famille, ils se trouvent trop souvent en dehors de ses joies et de ses affections. Ne serait-ce pas une bonne pensée, nous dirent MM. les Directeurs, de réunir ces malheureux parias à leur adolescence, et par une instruction morale et professionnelle à la fois, d’en faire de nouveaux types dont la capacité effacerait bientôt le vice d’origine. Nous applaudissons à plein voix à cette haute aspiration qui donne à cette grave question une solution cherchée jusqu’ici sans succès par les hommes qui en font leur sujet de leurs méditations, réduits à regretter le défaut d’application de la pensée trop absolue de Napoléon qui les avait voués sans exception à la marine de l’État.

Tandis que nous nous laissions aller au courant d’impressions si sympathiques, un glas, suivi par intervalles d’une musique, funèbre excitait notre curiosité inquiète. Bientôt nous apprîmes qu’une famille de colons rendait dans ce moment les derniers devoirs à un de leurs camarades qui avait succombé. « Il en est toujours ainsi, nous dit-on, c’est par le respect des morts qu’on apprend aux enfants à honorer les vivants. »

Mais nous arrêtons, car si nous voulions reproduire toutes les émanations du cœur traduite en maximes morales, philosophique et humanitaires qui sortaient à flot pressés de la bouche de nos conducteurs, vous partageriez sans doute l’attrait que nous avons ressenti, en entrant dans ce nouvel ordre d’idées au-dessus de nos forces et trop en dehors de notre sujet. Nous nous hâtons donc de terminer en proclamant que l’établissement de Mettray est à nos yeux, une des plus belles institutions acquises à la société à qui incombe le devoir de la faire rayonner dans l’intérêt de l’humanité.

Parvenus au terme de la carrière, nous pouvons, en nous retournant, jeter un regard d’orgueilleuse satisfaction sur les pas de géant, dont les traces se révèlent jusque dans les parties les plus déshéritées du département.

Meilleure disposition des étables au point de vue de l’hygiène des animaux et de la conservation des engrais : multiplication et amélioration des races bovines et ovine ; essais d’éducation chevaline, qui n’attendent que quelques efforts pour entrer dans la voie des plus pressants besoins ; assainissements ; défrichements ; boisements ; irrigations ; assolements raisonnés ; plantes industrielles ; instruments et systèmes mécaniques perfectionnés ; culture partout en progrès. Voilà, Messieurs, des éléments qui ne sont pas à l’état d’espérance, mais dont la réalité est reconnue, avec des tendances d’activité, qui, nous pouvons l’affirmer, ne se ralentiront plus. Continuez, à favoriser ce mouvement des choses et des idées, et en procédant par le travail, notre population aura bientôt atteint ce but de vos efforts persévérants ; la plus-value du sol, l’augmentation des récoltes alimentaires, la production de matières utiles à l’industrie, et comme conséquence résultant de ces faits, l’extension du bien-être de tous dans la condition de chacun.

Publié dans Etat de l'Agriculture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article