DOMAINE AGRICOLE DE LA CHARMOISE (Pontlevoy, Loir-et-Cher)

Publié le par histoire-agriculture-touraine

LECLERT Hélène, Edouard Malingié (1799-1852) Agriculteur et éleveur au domaine de la Charmoise à Pontlevoy. Bulletin trimestriel. Société d'art, d'histoire et d'archéologie de la Sologne. N° 109 - 3e trimestre 1992. 48 p. BSAT.


Extrait.
p. 7-9
"Un peu plus confiant en nos forces, après ce long apprentissage, nous sommes venus nous établir dans le centre de la France, pour y réaliser l'application de nos études". (14).
Selon Fernand LOURDEL c'est à la suite d'une visite à son beau-frère qu'Edouard Malingié décide en 1835 de s'installer à Pontlevoy. Il vend sa ferme d'Eppe-Sauvage et achète en co-propriété avec Amédée Nouel une propriété de 50 ha à la famille LELARGE. Le domaine de la Charmoise est situé à 1,5 km du bourg, sur la gauche lorsque l'on prend la départementale de Pontlevoy à Montrichard. Au bout d'un long chemin, nous découvrons une belle demeure du XVe siècle, l'habitation est un bâtiment d'un étage en pierre blanche, au milieu, une tourelle à pans en briques et pierre est couronnée par un toit pointu, recouvert d'ardoises. Deux grandes pièces d'eau, vestiges des anciennes douves, entourent une vaste cour dans laquelle on pénètre en franchissant un pont de pierre. Tout est à faire à la Charmoise. Edouard Malingié arrive avec du matériel agricole, des chevaux et du bétail. Il quitte les riches terres de la Flandre pour trouver un sol ingrat : "Le sol de la Charmoise est partout argilo-siliceux, sans aucune trace calcaire... Quelques portions seulement sont pierreuses, partout ailleurs le gravier mêlé à la terre est assez ténu pour ne pas entraver d'une manière notable la marche des instruments. Le sous-sol est généralement plus argileux que la surface. A un mètre environ de la surface, sa compacité augmente, il recèle des pierres siliceuses ou ferrugineuses d'un assez gros volume et il devient presque complètement imperméable. La superficie arable, se bat fortement par les pluies d'hiver, durcit considérablement sans se fendre par l'effet des sécheresses, et elle devient alors très difficile à labourer." (15)
Les terres sont en friche, Edouard Malingié s'attaque à un rude travail de défrichement, "Le sol de la Charmoise provient d'anciens bois négligés. La bruyère rouge, erica vulgaris, l'avait envahi de partout. La futaie avait été détruite ; le taillis était rare et chétif, le chêne format l'essence de tout ce qui avait résisté..." (15)
N’oublions pas que la Charmoise est en lisière de la forêt de Montrichard.
Les anciennes souches ont été arrachées, les bruyères écobuées, et des semis ont été pratiqués" (15)
Les premiers résultats sont bien décevants. Le seigle "a généralement assez bien réussi... mais le tanin, provenant des chênes et des bruyères, était si abondant, que l'avoine qui l'a suivi a été partout très mauvaise. Des semences d'herbages avaient été répandues avec l'avoine ; l'ivraie vivace a seul prospéré... On n'y voyait pas une seule plante légumineuse, tant l'acidité du sol était fortement prononcée. Ces pâturages tels quels, ont servi à nourrir des bêtes à laine de la plus petite espèce." (15) 
Le fumier est insuffisant, il faut amender ces maigres terres : "en même temps que les nouveaux champs étaient fumés, ils recevaient un chaulage énergique, qui a varié de 150 à 200 hl/ha, et qui a été poussé pour essai, sur quelques parties jusqu'à 300 hl ; ce sont aujourd'hui les plus fertiles. La chaux était fabriquée sur la propriété avec de la pierre prise à Pontlevoy... "(15)
Dans son rapport à la Société d'agriculture de Loir-et-Cher, lors de la séance du septembre 1837, Edouard Malingié annonce la création à la Charmoise d'un four à chaux et d'une tuilerie" (16)
Chaque année Edouard Malingié va enrichir ses terres, avec un souci permanent de perfectionner la fertilisation.
"Les terres, quoique chaulées, ont besoin, pour conserver et pour accroître leur fertilité, de voir augmenter leur élément calcaire : une marne excellente existant à 6 km de la Charmoise, sur les bords du Cher, on s'en sert pour composer exclusivement la litière des animaux de rente ; on se ménage ainsi un excellent engrais". (15)
"Ce défrichement a été commencé en 1835, et c'est depuis 1840 seulement que l'acidité du sol étant enfin neutralisée par les amendements calcaires et par les fumiers aidés d'une action mécanique puissante" (15) que les terres vont enfin pouvoir être emblavées de froment.
Grâce à un travail acharné, la Charmoise s'agrandit. 116 ha sont mis en valeur en 1843. Edouard Malingié a sans doute loué d'autres terres puisqu'en 1844 il distingue "les travaux propres à la Charmoise et ceux exécutés en plantations sur deux propriétés de 250 et 300 ha" (15)
Selon Fernand LOURDEL, Edouard Malingié aurait été propriétaire de près de 400 ha à sa mort. En 1851, ce dernier fait le bilan "nos conquêtes se sont successivement étendues, et à peu à peu nous avons arraché à l'improduction plus de 1 000 ha [terres de M. Faure à Céré-la-Ronde] de terres vagues ou de bruyères" (17)
Que penser de ces différentes estimations de l'étendue de la Charmoise ? [Il doit s’agir des terres de Céré-la-Ronde, acquises par M. Faure, industriel de Lille]


14 - Malingié-Nouel : considérations sur les bêtes à laine.
15 - E. Malingié. Notice sur l'exploitation de la Charmoise lue en séance publique de la Société d'agriculture de Loir-et-Cher le 26 août 1844 par M. Malingié, membre de la Société (Bibliothèque municipale de Romorantin).
16 - F. LOURDEL
17. Considérations sur les bêtes à laine (1851)

 

LECLERT Hélène, Edouard Malingié (1799-1852) Agriculteur et éleveur au domaine de la Charmoise à Pontlevoy. 
Bulletin trimestriel. Société d'art, d'histoire et d'archéologie de la Sologne. N° 109 - 3e trimestre 1992. 48 p. BSAT.
Extrait
p. 30-34
LES CULTURES AU DOMAINE DE LA CHARMOISE
"Un assolement a été organisé ayant pour base la production animale, et pour accessoire les céréales et les plantes grasses. On a essayé d'introduire dans le centre de la France les cultures et les méthodes flamandes, avec des modifications nécessitées par le sol et par le climat." (42)
Le succès de la mise en culture des terres pauvres réside dans l'emploi de judicieux engrais.
"Bien fou serait celui qui ne bâtirait pas cette prospérité sur les engrais, et par conséquent sur les bestiaux qui produisent les plus précieux des engrais." (43)
L'important troupeau de la Charmoise fournit un fumier abondant et de très bonne qualité. Edouard Malingié est très attentif à la qualité des litières, il ne stocke pas son fumier n'importe comment, il dose la fumure en fonction des cultures pratiquées. Ses réflexions sur l'emploi judicieux du fumier sont un véritable leitmotiv dans ses nombreux écrits. Il s'était déjà penché sur la question lorsqu'il était dans le Nord.
"Les fumiers n'ont d'influence sur la végétation que lorsqu'ils sont transformés en terreau et que la partie soluble de ce terreau est seul assimilable. Les fumiers le deviennent presque en totalité, il faut pour cela un temps plus ou moins long, le concours chimique de la chaleur et de l'humidité et l'action mécanique des labours et des gelées. Le fumier de cheval plus fermentescible atteint donc plus vite le but du cultivateur ; celui de bœuf au contraire, a des effets moins durables. Pour la même raison, le premier convient mieux aux sols compacts, aux terres argileuses et froides, tandis que le second est préférable dans les terres siliceuses, sèches et légères, à la sécheresse desquelles il remédiera en partie, et où lui-même produira des effets pus sensibles, en se décomposant plus promptement." (44)
Edouard Malingié ne croit guère en les vertus de "ces engrais concentrés que le charlatanisme offre, depuis quelque temps, à la crédulité publique", (45) quelques pages plus loin précise : "on ne saurait trop repousser tous ces engrais concentrés, tous ces engrais commerciaux dont la composition est variable et difficile à constater, ceux surtout dont les inventeurs font un secret et dont ils ont inondé le public agricole dans ces derniers temps avec une imprudence inouïe jusqu'à nos jours... que ces sortes d'engrais n'entrent donc jamais chez l'agriculteur intelligent, pas même à titre d'essai, car leur inefficacité est jugée depuis longtemps." (45) Il pressent qu'un jour, les engrais azotés remplaceront peu à eu le fumier de ferme. Mais il préfère les engrais naturels : fumier, guano, tourteaux de colza, chiffons de laine, chaulage des terres.
Pour cultiver ses terres ingrates Edouard Malingié a fait de gros efforts en équipant son exploitation de machines agricoles appropriées.
"Les instruments les plus perfectionnés de Flandre ont été introduits à la Charmoise, mais on n'a pas tardé à reconnaître leur insuffisance. Ces instruments, destinés originairement à cultiver des sols d'une douceur admirable, sans cohésion très résistante, sans aucune espèce de pierres, et même sans le plus petit gravier, ces instruments ne pouvaient présenter une résistance durable à la Charmoise, où huit socs d'acier ont quelquefois été mis hors de service, en un seul jour de sécheresse ; aussi a-t-on reconnu bientôt la nécessité de construire tous les instruments aratoires d'une manière très solide, et de les approprier aux circonstances nouvelles, au milieu desquelles ils étaient appelés à fonctionner. Ces instruments sont peu nombreux, il se composent de la charrue, de la herse, du rouleau, de la houe à cheval ou cultivateur, du binot, comme instruments mus par des chevaux, et de la rasette, de la bêche et de la binette dont se servent les hommes et les enfants. Outre ces instruments, il existe encore à la Charmoise une machine à battre, les hache-tout, mus par le manège de la machine, enfin un semoir à brouette et un semoir à cheval." (46)
Les outils sont fabriqués à la Charmoise. La charrue, la herse, le cultivateur ont subi des modifications pour être plus solides et plus adaptés au type de terrain. La machine à battre, modèle de MM. Mothes de Bordeaux a été introduite en 1841. En 1844, Edouard Malingié expose à Blois, un semoir de son invention (un semoir automatique qui sème et recouvre les graines). Pour lui le hache-paille est l'instrument "le plus indispensable dans une exploitation rurale bien organisé... Il coupe successivement et sans rien modifier dans son mécanisme, du trèfle vert, du foin bien délié, des choux et des maïs gros comme le bras..." (46)
Il se met au service des autres agriculteurs : "Un grand nombre d'agriculteurs ayant fait à la Charmoise des demandes d'instruments détaillés ci-dessus, une forge y a été montée, et rien n'est expédié avant d'avoir été essayé à l'établissement." (46)
Les cultures sont principalement destinées à la nourriture du bétail
Edouard Malingié préconise l'hivernage, c'est un mélange de céréales et de légumineuses "que l'on sème avant l'hiver, et qui produit abondamment un fourrage excellent pour les troupeaux. On le compose ordinairement en parties égales de seigle et de vesces d'hiver ; on y ajoute avec succès de l'avoine et des pois d'hiver." (47) L'emblave a lieu après une récolte de froment, après les premières pluies d'automne. A condition de ne pas trop le laisse mûrir sur pieds, l'hivernage constitue un excellent fourrage d'hiver, très nourrissant. Le rendement est de 8 à 10 000 kg/ha.
La culture des betteraves est onéreuse, cependant : "ainsi tout éleveur, jaloux de la prospérité de ses troupeaux dit-il s'arranger de manière à ne pas manquer, chaque hiver, d'une certaine provision de betteraves, en rapport avec ses besoins". (47)
Edouard Malingié est enthousiasmé par sa culture ce choux du Poitou qui donne des rendements de 25 à 50 000 kg/ha voire même jusqu'à 100 000 kg. "Ce chou vivace se sème en juillet et se repique en octobre. Il s'élève, mais ne fleurit pas l'année suivante et il présente une ressource précieuse pendant les sécheresses de l'été... Je le sème an mars-avril pour avoir du plant à repiquer en juillet et des choux à consommer en hiver et au printemps. Mes bœufs et mes moutons en consomment 3 000 kg/jour en ce moment." (48)
Ces choux plantés sur un terre qui a porté des céréales et qui a été laissée en jachère en hiver "6 ha sont consacrés à la culture du chou quintal de Strasbourg, 6 ha à celle du chou branchu du Poitou. Le premier est consommé sur place pendant l'hiver ; le second est coupé au pied dès qu'il commence à fleurir, dans le courant du mois de mars, il est haché en morceaux d'un ou deux cm de longueur, tiges, feuilles et fleurs, et il est distribué en cet état aux animaux qui sont en définitive amenés sur le terrain, afin d'utiliser les débris et la végétation spontanée crue à l'ombre des choux..." (49)
Le piétinement des moutons qui ont consommé les choux sur place, assainit le terrain qui peut se labourer très précocement. Edouard Malingié préconise de semer des fèves dont la maturité arrive début juillet. Cette culture nettoie et enrichit le sol, le rendement est de 30 à 40 hl/ha ; les fèves sont très nourrissantes : "il doit être donné aux moutons, lorsqu'ils ont déjà acquis de la viande et de la graisse, et qu'il ne s'agit plus que de leur procurer cette fermeté et ce fini qui achèvent leur perfection. On le leur distribue en gerbes, sans frais de battage, après s'être rendu compte de la quantité de grain qu’elles contiennent. (49). Edouard Malingié sème du maïs estival après la récolte de choux branchus. Des tourteaux de colza et des chiffons de laine constituent le meilleur engrais. Ce maïs constitue une nourriture très substantielle : "elle est recherchée avec une avidité toute particulière par la bête à laine, qui la préfère à tout... Elle paraît avoir pour propriété de pousser fortement à la graisse". (49) Le maïs est également un excellent fourrage vert pour les bêtes à cornes : "la paille elle-même, lorsqu'elle a été récoltée en bon état et sèche, est mangée avec beaucoup de plaisir par les bœufs et par les vaches pendant l'hiver, surtout lorsqu'on la leur présente hachée." (49)
"Les plantes fourragères cultivées à la Charmoise sont par ordre de consommation en vert : le chou, la navette, la luzerne, le trèfle, la dravière (vesces ou pois avec avoine), le maïs, les navets, la pomme de terre ; auxquels il faut ajouter en fourrages secs, le foin naturel, les diverses pailles, et accidentellement le seigle multicaule, la betterave, le trèfle incarnat, le sarrazin etc..." (50)
Grâce au chaulage et à l'abondance de fumier, Edouard Malingié se lance en 1840, dans la culture de céréales : froment, orge et avoine. Ces "céréales ont toujours, depuis 4 ans, obtenu le maximum des prix des marchés environnants, et ont été achetées dans le grenier..." (50). En 1844, 24 ha sont emblavés en froment et 12 en céréales de printemps. "Les trois variétés de céréales introduites sont : le blanzé, productif froment de Flandre, le froment rouge de Kent ; une orge flamande de six rangs, de printemps." (50)
Edouard Malingié cultive également des plantes oléagineuses : le colza et la cameline qu'il a introduite la première fois dans la région. 12 ha sont encore consacrés à la culture du colza en 1844, les importations étrangères font baisser le prix du colza, sa culture est peu à peu abandonnée. Grâce aux rapports que fait régulièrement Edouard Malingié à la Société d'agriculture de Blois, nous avons une petite idée du succès des cutures fourragère et céréalières.


En 1837 : le seigle, l'avoine, le trèfle et les betteraves réussissent. (51)
En 1838 : il cultive de la chicorée. Il récolte des navets, semés en seconde récolte, grâce à des graines rapportées d'Angleterre. Les brebis les mangent sur place. Un hiver très rigoureux détruit en partie les avoines, le blé n'est pas beau, par contre les pâturages sont excellents. (52)
En 1840 il sème beaucoup de luzerne et créé des prairies artificielles. (53)
En 1843, il récolte 5 à 600 hl de graines grasses, 1 000 à 1 200 hl de céréales. (54) Dans une lettre adressée à ses confrères de Lille le 16 juillet 1843 il avoue être "très occupé à une récolte très considérable de colzas, de foins et d'hivernages". (55)


Nous ne connaissons pas exactement le nombre de salariés agricoles employés à la Charmoise. En 1843, l'exploitation fait vivre "20 familles". (54) Edouard Malingié emploie des femmes et des enfants occupés au sarclage eux semences de maïs. Pour ce maïs, trois personnes travaillent en ligne sur le même rang, le premier fait les trous, "l'ouvrier qui suit est le plus faible, toute sa besogne consiste à jeter trois graines dans chaque trou. Un enfant de 7 à 8 ans suffit pour cela." (56) Malingié écrit ceci en 1851, or la loi du 22 mars 1841 interdit le travail aux enfants de moins de huit ans.
Les salariés sont payés au tarif normalement en vigueur dans l'agriculture : les hommes reçoivent 1,50 F/jour, les jeunes gens 75 c/jour. A cette même époque les ouvriers de l'industrie à Romorantin, gagnent 1 F à 2 F/j. Pour diminuer les frais de personnel, Edouard Malingié préconise : "quelques journées de femmes et d'enfants ne sont pas très coûteuses ; elles évitent une dépense d'instruments souvent inutiles." (56)
La Charmoise devient rapidement un modèle : beaucoup d'agriculteurs français ou étrangers "viennent" visiter nos animaux, nos cultures et nos plantations". (56)
C'est une exploitation bien gérée, un contre-maître est embauché ce dont se félicite dès 1844, Edouard Malingié : "L'ensemble de l'exploitation s'en est amélioré, et la comptabilité a acquis le degré d'exactitude convenable dans une exploitation agricole. Elle est à la fois simple et exacte, et elle suffit pour éclairer chaque opération. Un journal est ouvert, où sont inscrites toutes les dépenses et toutes les recettes, lesquelles sont reportées à chaque division établie, telles que : récoltes commerciales, récoltes fourragères, bestiaux de rente, attelages, frais généraux etc... (57)
Une telle réussite ne pouvait qu'inciter le département à ouvrir une ferme-école à la Charmoise.

42 - MALINGIE : Notice sur l'exploitation de la Charmoise op. cit. (Bibliothèque municipale de Romorantin)
43 - MALINGIE : Considérations sur les bêtes à laine... op. cit.
44 - MALINGIE-ROGER : Mémoire sur l'emploi comparatif des chevaux et des boeufs en agriculture op. cit. Mémoires de la Société nationale d'agriculture sciences et arts de Douai 1ère série Tome 3, 1829-1830
45 - MALINGIE : Considérations sur les bêtes à laine... op. cit.
46 - MALINGIE : Notice sur l'exploitation de la Charmoise. op. cit.
47 - MALINGIE-NOUEL : Considérations sur les bêtes à laine... op. cit.
48 - Société des sciences de l'agriculture et des arts de Lille. Publications agricoles. Tome 5, année 1843 op. cit. (lettre du 22 mars 1844)
49 - MALINGIE-NOUEL : Considérations sur les bâtes à laine... op. cit.
50 - MALINGIE : Notice sur l'exploitation de la Charmoise op. cit.
51 - Rapport du 2 septembre 1837. F. LOURDEL op. cit.
52 - Rapport du 30 août 1838. F. LOURDEL. op. cit.
53 - Compte-rendu d'exploitation F. LOURDEL op. cit.
54 - Discours du 27 août 1843. F. LOURDEL op. cit.
55 - Société royale des sciences de l'agriculture et des arts de Lille. Publications agricoles. Tome 5, année 1843. op. cit.
56 - MALINGIE-NOUEL : Considérations sur les bêtes à laine... op. cit.
57 - MALINGIE : notice sur l'exploitation de la Charmoise. op. cit.

 

1839

Journal d'Agriculture pratique. N° 10, Avril 1839
p. 433-438
AGRICULTURE DU CENTRE 
Établissement pastoral de la Charmoise.
Nous avons déjà plusieurs fois entretenu nos lecteurs de l'exploitation que dirige M. Malingié, et des essais de naturalisation qu'il présente avec quelque succès sur la race de mouton anglais de New-Kent. Un rapport fait par cet agronome à la Société d'agriculture de Loir-et-Cher, et qui résume ses travaux passés comme ses expériences à venir, nous a paru mériter d'être mis sous les yeux du public agricole.
Ce n'est pas seulement pour rendre hommage à des efforts qui, infructueux quelquefois, nous paraissent cependant presque toujours habilement dirigés, que nous appelons l'attentions sur ce rapport ; mais c'est parce que nous avons cru y rencontrer de ces enseignements qui ont une portée plus étendue, c'est parce que dans cette étude consciencieuse, cette exposition franche d'une exploitation nouvelle et neuve en même temps, nous trouvons des réflexions utiles pour les hommes qui veulent tenter quelque entreprise de ce genre.
Lorsqu'on traverse les landes de Sologne, ou les landes du Berry, une réflexion involontaire vient au voyageur, si surtout s'il appartient à l'une de ces contrées de France où ce sol est si riche et si morcelé ; il s'étonne de cet abandon, il croit entrevoir une mine oubliée de richesse agricole ; il retourne dans sa pensée ces sombres bruyères, ces fauves joncs, il les couvre de moissons ondoyantes ; rêve séduisant que déjà bien des hommes ont essayé de réaliser, mais qui s'est presque toujours évanoui en laissant après lui la déception et la ruine. Nous pourrions citer de nombreux exemples de ces entreprises malheureuses, dont le souvenir est aujourd'hui enseveli sous la lande, car la terre couvre les fautes du cultivateur comme celles du médecin. Ici des Flamands sont venus apporter leurs fortes races de bestiaux, leurs avoines, leur culture semi-jardinière, là des Briards, plus loin des Picards, ont également tenté d'implanter sur un sol silico-argileux, saturé d'eau et d'acide humique, les cultures de leurs riches plaines : tous ont dû abandonner leur œuvre inachevée ; des cultivateurs d'outre-Rhin, des fermiers anglais ont également passé sur cette terre ; on n'y trouve que le souvenir de leurs désastres. L'agriculture moderne, l'agriculture des livres et des écoles des fermes-modèles y a laissé aussi quelques débris. Ce sont même les agronomes ou plutôt les agrolâtres parisiens (qu'on nous pardonne le mot), ces hommes qui, pour avoir parcouru les Annales de Roville ou erré six mois dans les champs d'une ferme-modèle, se sont crus appelés à régénérer l'agriculture de ces provinces routinières (expressions consacrées) qui ont éprouvé les plus cruels sinistres. Il y a quelque chose de séduisant, en effet, dans cette facilité d'acquérir de vastes espaces pour une somme modique ; cette illusion, qui place la richesse d'un domaine dans son étendue, a provoqué bien des fausses spéculations. Puis il fut un moment où la frénésie des défrichements porta l'attention des capitalistes sur ces grands plaines incultes du centre, et par ce seul engouement, on vit tout à coup la valeur des propriétés monter sans cause raisonnable dans des proportions inconnues jusqu'alors, comme naguère ces actions industrielles qui grandissaient chaque jour, avant même que tout espoir qui devait les faire fructifier eût commencé.
Pourquoi tous ces insuccès ? serait-ce qu'il pèse sur ces contrées une espèce de fatalité qui s'attache à toutes les entreprises ? serait-ce que le sol se refuse en effet à seconder les efforts de la culture ? la première supposition ne mérite pas une attention sérieuse ; la seconde ne nous paraît pas plus admissible. Pour nous, habitués que nous sommes à voir les faits sortir des causes matérielles, nous ne voyons d'autre fatalité dans ces déceptions que l'inexpérience des exploitants. Les uns (les praticiens) ont appliqué les méthodes de leur pays, sans tenir compte des différences de sol, de climat, de travail, de débouchés ; et les autres (les théoriciens), cédant à cette fausse pensée qu'il existait une culture perfectionnée, type absolu, idéal, de l'agriculture, sont venus en tenter la réalisation sur ces bruyères. Les uns et les autres y ont trouvé leur ruine. Il devait en être ainsi ; l'agriculture n'est pas une profession uniforme, toujours identique ; c'est la production économique des êtres organisés, et cette production varie avec les circonstances économiques qui la dominent, circonstances qui naissent elles-mêmes des conditions naturelles ou sociales où l'exploitant se trouve placé. C'est donc à l'appréciation plus ou moins intelligente de ces conditions qu'est attaché le succès d'une entreprise agricole. Plus que tout autre l'art agricole est un art de raisonnement. On a depuis longtemps cherché à établir un parallèle entre les cultures diverses d'un même pays ou de pays différents. On a exalté la culture flamande et rabaissé la culture bretonne (par exemple) ; on a vanté outre mesure le système anglais, allemand, etc. Pour nous, nous ne connaissons dans le monde que deux agricultures, la bonne et la mauvaise : la bonne celle qui donne un produit net ; la mauvaise qui le refuse. Ces vérités sont triviales, et cependant on les méconnaît chaque jour ; et c'est à leur oubli que sont dus ces fâcheux résultats qui jettent tant de discrédit sur les opérations agricoles.
M. Malingié-Nouel est un de ces hommes de bien qu'a séduits le désir de rendre à la fertilité les landes incultes de Sologne. Depuis trois ans [1836] qu'il a entrepris cette tâche, il paraît avoir obtenu quelque succès de culture ; nous ne pouvons ajouter quelques succès d'argent, car cet agronome n'a pas cru devoir mettre sa comptabilité sous les yeux de la Société de Loir-et-Cher. Toutefois ces trois années de travail et d'étude ont eu pour lui un résultat, celui de l'amener peut-être au vrai système économique de sa contrée ; et c'est cette transformation raisonnée dans ses méthodes que nous croyons devoir reproduire comme la conclusion d'un raisonnement suivi pendant trois années, conclusion déduite avec talent et conviction.
"Nous croyons, dit-il, que l'agriculture ne peut éprouver de secours plus efficaces que de la part d'hommes instruits et éclairés ; d'eux seuls partiront les véritables et durables améliorations, qui, insensiblement et avec des modifications infinies, se répandront dans la classe vulgaire des cultivateurs ; car c'est aux yeux de ces derniers qu'il faut parler de préférence à leurs oreilles. Les meilleurs livres leur sont inutiles ; ils ne lisent pas et ne liront point. La parole qui amène à la persuasion est sans effet sur eux, parce qu'ils ne la comprennent pas ou s'en méfient ; le silence, l'exemple, sont les seules armes qui les vaincront avec d'autant plus d'habileté et de certitude qu'ils ne se croient pas vaincus et qu'ils s'attribueront tout le mérite de leurs améliorations. C'est ainsi que les prairies artificielles se sont introduites dans le système triennal. Ils s'y sont attachés comme un ver rongeur, elles amèneraient sa destruction si, mieux comprise, mieux exécutées, et surtout consommées avec plus de bénéfice, elles s'étendaient davantage et s'adaptaient mieux aux localités. Nous finirons ainsi par faire arriver la culture de notre pays au point où est parvenue celle des peuples voisins et rivaux, et je ne veux pas dire par là faire des turneps comme les Anglais et du colza comme les Belges, mais au point où chacun fera dans sa position ce qui est le plus avantageux qu'il fasse, c'est-à-dire faire produire à la terre, dans des circonstances données, le plus de bénéfice possible.
"Mais si d'un côté les hommes instruits sont seuls appelés à opérer cette heureuse et pacifique révolution, de l'autre combien voyons-nous de mécomptes et de revers dans leurs rangs, revers nuisibles à la cause sacrée de l'agriculture, autant par l'esprit rétrograde qu'ils semblent devoir confirmer parmi la classe ignorante, que par l'éloignement qui en résulte pour les jeunes gens bien nés de suivre la carrière où se sont égarés leurs devanciers. Façonnés aux mœurs et aux habitudes des villes, ils sont venus vivre au milieu d'une population dont ils ignoraient les mœurs et les habitudes ; nés dans l'aisance et en portant les insignes, ils se sont entourés d'hommes pauvres, aux yeux desquels ils ne paraissent pas travailler pour acquérir ; habitués à l'étude et aux travaux de l'esprit, ils sont venus diriger une force en grande partie matérielle et inintelligible. Les populations auraient dû les bénir, et, loin de là, ils ont trouvé partout éloignement, désapprobation, insouciance, infidélité. Mais aussi ils étaient mis dans une fausse position, par cela qu'ils ont multiplié atour d'eux les attelages, les domestiques, les agents de toute espèce, véritables sangsues qui volontairement ou par essence et par la seule force des choses, travaillent incessamment à la ruine de leurs bienfaiteurs.
Ces vérités, messieurs, constatées à nos yeux par des naufrages nombreux et déplorables, nous ont persuadé que, pour les éviter, il fallait peut-être suivre une autre route ; que pour tirer profit d'occupations et d'agents essentiellement matériels, il faudrait pour ainsi dire de résoudre à vive comme ces derniers, labourer, moissonner, charroyer soi-même avec eux ; et que, le cas étant donné d'une autre position et d'une autre éducation, et bien des systèmes de culture existant, il était peut-être plus sûr pour réussir, de choisir celui qui exige les moins de main-d’œuvre, le moins de domestiques, le moins d'attelages, en un mot qui réunit le plus de simplicité possible. Il nous a paru que l'exploitation d'une terre par le pâturage devait naturellement exiger peu de frais et de main-d’œuvre ; que le sol s'en améliorait sensiblement ; qu'il y produisait des matériaux de vente aussi utiles au public et aussi avantageux au propriétaire que quelque autre que ce fût, et que l'animal jeté sur cette terre travaillait pour son maître plus fidèlement et d'une manière plus profitable que n'y ferait un ouvrier sarclant des betteraves et du colza.
"En passant en revue les différents animaux domestiques et les variétés qui distinguent leurs races, nous sommes arrivés à nous persuader qu'on pouvait, à l'aide d'un choix judicieux, retirer d'une exploitation agricole, par le moyen des troupeaux, un revenu net beaucoup plus élevé que par les céréales et les plantes textiles ou oléagineuses. Dès lors l'agriculture nous a apparu sous une face nouvelle : nous avons vu diminuer les chances de pertes, de mécomptes et d'infidélité, en en supprimant presque entièrement les causes, et nous n'avons plus hésité, pour l'exploitation de notre terre de la Charmoise, à adopter un système pastoral, qui, dans notre position, n'exigera que deux chevaux et 4 ou 5 employés à demeure.
"Je sais messieurs, qu'on pourra objecter à ce système qu'il est peu favorable à la population, et qu'un autre, où les sarclages et les manutentions de toute espèce sont multipliés, amène avec une certaine aisance le goût du travail dans les classes pauvres de la société.
Cela est vrai ; mais il est également vrai que, pour procurer du travail à l'ouvrier, il faut que l'agriculteur trouve dans le produit de ce travail une juste indemnité de ses avances, de ses risques et de ses peines, et que tout travail cesse, dès le moment que cette condition n'est pas remplie. Une méthode employant moins de bras, mais présentant des bénéfices, sera peu chanceuse dans ses conditions d'existence, donnera du pain à un petit nombre de familles, mais le leur donnera d'une manière durable et assurée, et par cela même, elle conviendra d'autant plus à un pays que ce pays deviendra plus aisé, plus manufacturier, plus commerçant ; et, sous ce rapport, messieurs, il serait certainement à désirer qu'au milieu du mouvement général d'amélioration du bien-être matériel qui distingue notre époque, l'agriculture, tout en faisant face aux nouvelles demandes que lui adressent à la fois l'aisance croissant des classes moyennes, la progression du luxe dans les classes riches, les ateliers de nos fabriques se variant et se multipliant presque à l'infini, laissât des bras disponibles pour les besoins toujours croissants de notre commerce et de notre marine.
"Notre système pastoral est peu propre d'ailleurs à être imité par la masse des cultivateurs, et nul besoin qu'il le soit en totalité. Mais il résultera infailliblement de son exécution la preuve de la puissance des engrais, de l'avantage qu'il y a partout à augmenter le nombre de bestiaux et à perfectionner les races, toutes choses qui tendent à améliorer le sol ; et, dès le moment qu'une puissance de production a été accumulée dans le sol, on peut s'en rapporter à l'avidité de l'homme pour en tirer tout ce qu'il est possible de porter."
Comme conséquence du système pastoral qu'il adopte, M. Malingié s'est déterminé à donner à sa culture un caractère d'extension plutôt que d'intensité, et il le résume ainsi dans l'emploi de ses fumiers :


Fumer la plus grande superficie possible, afin d'arriver, sinon à de belles récoltes, du moins à des produits satisfaisants ;
Diminuer la culture exigeant beaucoup d'engrais ;
Produire de préférence des fourrages, afin d'augmenter promptement le nombre des troupeaux et arrive à fumer le sol à fond ;
Tenir en jachère les terres non fumées plutôt que d'y accumuler des frais qui ne seraient pas payés.


Cette disposition des engrais nous paraît conséquente au plan que M. Malingié s'est tracé.
C'est surtout sur l'espèce ovine que se tournent ses vues ; il a cru devoir introduire, dans son exploitation, une race anglaise, celle de New-Kent ; l'avenir nous apprendra si en effet cette race convient au pays. Voici, du reste, comment cet agronome s'exprime à cet égard : "Nous avons, comme vous le savez, Messieurs, importé depuis deux ans [1837] à la Charmoise la race de brebis anglaises dite de New-Kent. Cette race est remarquable par sa rusticité, sa brillante santé, sa frugalité, la beauté de ses formes, sa facilité à prendre la graisse de bonne heure, et enfin par sa toison, la plus fine qu'on connaisse parmi les longues laines. On peut la considérer comme acclimatée dans le Centre de la France ; elle y prospère comme sur son sol natal. Elle y est moins exigeante que les Dishley, et ne demande point impérieusement comme eux de riches pâturages en été, des racines abondantes en hiver et un repos absolu en tout temps. Elle se prête beaucoup mieux qu'eux aux exigences de notre agriculture française. Beaucoup d'air et nourriture suffisante, voilà les conditions indispensables à sa réussite. Elle supporte parfaitement le parc et les parcours lointains, la rosée, la pluie, la neige et le froid. Quoiqu'elle ait résisté victorieusement aux excès de température que nous avons subi depuis deux ans, nous croyons cependant que, ces excès ne pouvant être pour aucune race de mouton un sujet de bien-être, il est prudent et convenable contre les grandes chaleurs de l'été, et de la soustraire, les jeunes agneaux surtout, à ces torrents d'eau qui nous inondent parfois avec tant d'abondance, et qu'accompagnent ordinairement des vents si impétueux.
Il ne faut pas perdre de vue que le climat de l'Angleterre est beaucoup plus égal que le nôtre, et que, si l'importation des méthodes anglaises est le complément obligé de celle des animaux que nous tirons de ce pays, il est également sage de modifier ces méthodes en raison des circonstances où l'on se trouve.
"Un simple hangar, peu coûteux, que nous utilisons en y superposant nos meules de fourrages et de céréales, suffit en tout temps à notre troupeau ; il y a joui jusqu'à présent d'une santé parfaite, ainsi que les bêtes du pays que nous lui avons adjointes. Ce hangar est au milieu d'une vaste enceinte, défendue par un fossé et fermée par une haie ; deux réverbères en éloignent les loups pendant la nuit. Les animaux en sortent deux fois par jour pour aller aux champs ; ils se tiennent tous à l'ombre pendant que le soleil est sur l'horizon ; pendant l'obscurité ils se couchent indifféremment dans tout l'étendue de l'enceinte, en dessous ou en dehors du hangar, qu'il pleuve ou non ; pendant les fortes averses la plupart se mettent à l'abri.
Au reste, messieurs, il est à remarquer que la méthode de tenir constamment au grand ait les bêtes à laine dans les pâturages, subit, en Angleterre même, quelques modifications, en certaines circonstances et chez quelques particuliers. Le vénérable Richard Goord, régénérateur ou plutôt fondateur de la race de New-Kent, regarde comme un moyen de perfectionnement d'abriter les agneaux contre les vents trop froids et les pluies de longue durée, pendant la première époque de leur existence, et je me suis bien promis, sous ce rapport, comme sous beaucoup d'autres, de suivre les utiles conseils de ce vieillard. J'ai vu et admiré chez lui le pur noyau de cette race que les Anglais estiment tant, et préfèrent désormais aux dishleys dans presque toutes les positions, et je n'ai plus été étonné de la reconnaissance publique à l'égard de cet agriculteur remarquable, le Nestor des pasteurs anglais.
Le jugement, le patriotisme, le goût du bon et de l'utile distinguent d'une manière admirable nos voisins d'outre-mer. Le gouvernement, chez eux, se borne à conserver intacts les droits de tous. En fait d'agriculture, il ne fait rien par lui-même, l laisse faire, il ne se fait pas marchand de moutons, de bêtes à cornes ou de chevaux, mais il protège l'industrie pastorale et toutes les autres industries utiles au pays. L'intérêt privé, souvent seul, quelquefois le patriotisme, ordinairement ces deux leviers réunis sont assez puissants pour faire mouvoir et agir les particuliers dont l'action multipliée amène infailliblement le progrès et la réussite. Dans la spécialité qui nous occupe, 72 prix ont été décernés à Richard Goord, par ses concitoyens, pendant sa longue carrière agricole ; des souscriptions nationales lui ont offert des gages précieux d'admiration et de reconnaissance, et des centaines d'agriculteurs ont acheté ou loué ses béliers.
J'éprouve une bien vive satisfaction, messieurs, à vous annoncer qu'avec bien du mal, et à l'aide d'heureuses circonstances qu'il serait trop long de vous raconter, il m'a été possible de choisir dans son troupeau d'élite deux béliers et six brebis avec leurs agnelles. Cette faveur, que le certificat de M. Goord déclare n'avoir encore été accordé à personne, est apprécié à sa juste valeur. Il est vrai que depuis longtemps il loue des béliers à ses confrères, et qu'ainsi la vieille race du Kent s'et fondue insensiblement à celle de New-Kent chez la plupart des agriculteurs de ce comté, parmi lesquels nous avons fait des achats, mais le pur noyau s'était toujours entretenu et perfectionné entre les mains habiles du fondateur. Les animaux qui le composent réunissent à une disposition étonnante à prendre la graisse, une beauté et une homogénéité de toisons qu'on ne trouve nulle part ailleurs.
"Persuadés, messieurs, à l'époque de notre première importation, de la bonne intention du Gouvernement pour l'agriculture, encouragés par les protestations de dévouement à notre cause et de sollicitude pour nos intérêts, que le ministre, chargé de ce département, émet en toute occasion, nous avions pensé, non pas solliciter des récompenses ou des indemnités pour les démarches et les sacrifices que nous allions faire dans le but utile à la France, mais à demander purement et simplement l'entrée en franchise pour des animaux manquant à nos troupeaux français, et dont les toisons désormais indispensables à notre commerce nous rendent tributaires de l'Angleterre pour des sommes énormes chaque année. Nous nous étions trompés, et nous avons dû nous convaincre que les intérêts du fisc passaient avant ceux de l'agriculture.
Nous faisions en silence les réflexions que nous suggérait naturellement un pareil refus, lorsque votre Société, Messieurs, a bien voulu prendre assez d'intérêt à notre importation pour présenter au ministre une nouvelle demande ; et cette fois, sous les auspices de premier administrateur de notre département, au zèle duquel je me plais à rendre un hommage public, le résultat obtenu par son intervention a été une prompte réponse, mais faite dans le même sens. On nous renvoyait, comme la première fois à Alfort, pour acheter des béliers dishley que le Gouvernement y vend aux enchères, chaque année, à son profit, quoique nous eussions fait conserver que notre demande avait trait à des animaux importés et non pas à introduire ; que la race en question différait beaucoup de celle d'Alfort, bonne en elle-même, mais ne réunissant pas tous les avantages, et que la nouvelle race était à le fois remarquable par sa facilité à prendre la graisse et par la beauté de ses toisons.
Notre première importation, faite avec la prudence d'un premier essai, ayant réussi de manière à encourager nos efforts, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire à la séance de l'année dernière (1838) ; nos laines de cette année (1839), entièrement de crue française, ayant, au jugement des fabricants, conservé tous les caractères anglais ; ces messieurs, de plus, m'autorisant à leur expédier au prix de 5,70 fr. /kg, nous nous sommes déterminés à faire de nouveaux sacrifices et à porter notre troupeau de mères à 200 têtes, afin de pouvoir travailler dans une proportion qui présentât plus promptement des produits de quelque importance.
J'ai donc effectué, après deux ans d'expériences, un nouveau voyage en Angleterre. J'y ai achevé l'étude de la race que nous adoptions, et je m'y suis procuré les animaux qui nous étaient nécessaires, en apportant à cette opération importante toute l'attention et tous les soins dont j'étais susceptible.
Notre intention cette fois était de payer les droits sans la plus petite observation et de ne plus frapper à une porte où nous étions méconnus ; mais précisément à mon passage à Paris la chambre venait, dans l'intérêt du pays, d'ajouter au budget du ministère spécial, qui ne la demandait pas ostensiblement, une augmentation de 30 000 fr. à titre d'encouragement à l'agriculture. L'opportunité du moment m'a engagé à adresser une nouvelle demande ; je me serais reproché de garder le silence, et cela dans notre intérêt comme dans celui du Gouvernement ; mais je comptais si peu, d'après les antécédents, sur sa sollicitude pour la première industrie du royaume, que je ne fis même pas part de ma demande à mon beau-frère, mon associé (1).
Six semaines après, c'est-à-dire 15 jours après mon retour ici, et le jour même de l'arrivée du troupeau à la Charmoise, après une route 141 lieues, M. le secrétaire du ministre s'empressait de me répondre. Ma demande était repoussée, aucune espèce de motif n'adoucissait le refus. De sorte, messieurs, que, tout compte réglé, plus de 2 500 fr. ont été payés à la douane par nous depuis 20 mois, et cela, non pas pour des bêtes grasses destinées à la boucherie, mais pour des animaux perfectionnés, acheté au poids de l'or, manquant à la France et consacrés à la reproduction.
Nous savons dorénavant à quoi nous en tenir sur les faveurs du Gouvernement, qui doit être et se proclame en effet l'ami du pays et le protecteur des intérêts agricoles ; mais la leçon est un peu rude, nous l'eussions retenue à moindre frais.
Je me hâte toutefois, messieurs, de vous déclarer que toute opinion politique est étrangère à mes paroles ; mais, grâce à nos institutions, les actes de l'administration ont besoin, par le temps qui court, d'être appréciés ce qu'ils sont. Ils sont bons ou blâmables en eux-mêmes, abstraction faite des gouvernements et des personnes ; on peut les condamner ou les approuver dès le moment qu'ils sont entrés dans le domaine de la discussion.
Au reste, messieurs, ce sacrifice n'aura été lourd que pour nous, et si la naturalisation de nos précieux New-Kent continue à s'opérer heureusement, elle sera, nous n'en doutons pas, le signal d'une heureuse amélioration dans les laines de cette partie de la France, une consolation aux souffrances de l'agriculture et un soulagement pour le pays, qui, certes, doit éviter de porter ses capitaux à l'étranger. Déjà plusieurs homme recommandables, plusieurs agriculteurs progressifs se sont mis en rapport avec nous ; une généreuse idée ne reste jamais isolée en France ; encore quelques années et une association agricole pour la production et l'amélioration des laines longues et fines aura son centre dans le département de Loir-et-Cher, et ses succès, si la Providence couronne ses efforts, seront d'autant plus chers à ses membres qu'il ne les devront qu'à eux-mêmes et qu'ils seront purs de l'influence de tout secours étranger.
P.S. J'étais loin de m'attendre, lorsque je prononçais ces paroles, que nous devions être incessamment honoré d'une marque d'intérêt de M. le ministre. M. Yvart, inspecteur général des écoles vétérinaires et des bergeries du Gouvernement, que j'avais l'honneur de connaître comme un homme extrêmement zélé pour les progrès de l'agriculture et comme une de nos premières notabilités agricoles et scientifiques, avait, à mon insu, recommandé nos efforts à l'attention de M. le Ministre, lequel, en termes flatteurs et honorables à la fois, m'engagea à lui faire passer nos quittances de droits de douanes, manifestant l'intention de nous les rembourser.
Je répondis comme je le devais à cette marque de sympathie du Gouvernement. Je prenais, dans ma lettre, l'engagement de consacrer l'intégralité de la somme qui nous serait remboursée à de nouveaux essais et à de nouveaux croisements ; ces fonds, ajoutai-je, seront placés, nous l'espérons, à de hauts intérêts pour le pays.
En réponse à cette lettre contenant nos quittances, on nous a écrit par l'entremise de M. le Préfet que le quart à peu près des droits de douane nous serait remboursé (700 fr. sur 2 600), et depuis trois mois nous n'avons plus entendu parler de rien.
Je m'abstiens de toute réflexion, je pose des chiffres et j'expose des faits ; chacun peut en déduire les conséquences."
Malingié-Nouel
Cultivateur, à la Charmoise, près Pont-le-Voy (Loir-et-Cher)


(1) M. Nouël, ancien élève de l'Ecole Polytechnique, professeur de physique et mathématiques au collège de Pontlevoy, beau-frère de M. Malingié-Nouel,
 

1842

Journal d'Agriculture pratique. Juillet 1841 à juin 1842
Avril 1842
Etablissement pastoral de la Charmoise. II.
p. 441-447
Signé : Comte de la Villarmois, propriétaire-cultivateur à Montgoyer à Saint-Epain (Indre-et-Loire)


La terre de la Chamoise, telle que M. Malingié en a fait l'acquisition, ne contient pas tout-à-fait, je crois, 200 ha ; elle avait été fort négligée et était en partie composée d'un mauvais bois usé, dans lequel les bonnes essences étaient remplacées par le houx, la ronce, la bruyère, etc. ; le sol, fort médiocre en lui-même, ne pouvait faire espérer de bons résultats qu'après des travaux dirigés avec activité, habileté, et de grandes dépenses. L'ardeur et l'habileté, qualités éminentes du nouveau propriétaire, firent bientôt des miracles ; le bois fut défriché, le sol fut profondément remué et nettoyé partout ; de grands moyens de fumure furent réunis, un four à chaux fut construit, et les mauvais débris de bois, objets de mince valeur comme combustible à livrer au commerce, servirent à confectionner la chaux, si indispensable dans un sol éminemment argileux, humide et imprégné de tanin.
Après quelques années de patience, de travaux de tous genres et de grands sacrifices, M. Malingié commença à recueillir le fruit de ses soins et de son intelligence. D'abondantes récoltes le récompensèrent ; les sacrifices, d'abord nécessaires, diminuèrent petit à petit ; son sol se fonda véritablement, et il put arriver à son principal but, à une culture essentiellement pastorale. Il cessa de se livrer à l'engrais des bêtes à cornes ; les fumures étant devenues suffisantes, il forma artificiellement des pâturages d'élite, et finit par appeler les bêtes à laine qui, aujourd'hui, font surtout la richesse de la Charmoise. Le but de cet habile cultivateur n'était pas seulement d'avoir des moutons, mais, suivant de l'œil les progrès et les besoins de nos manufactures, et aussi l'avantage de la boucherie française, il résolut de tenter de ravir à l'Angleterre la belle race de moutons que la patience et le génie un sut y créer, et à laquelle aucune autre ne peut être comparée, soit sous le rapport de la finesse et de la longueur de la laine, soit pour la facilité de l'engraissement et la supériorité de la viande.
 

1848

Voyage agricole en Belgique et dans plusieurs départements de la France, suivi de quelques articles extraits des journaux d'agriculture anglais ; par M. le comte Conrad de Gourcy, Imprimerie de Mme Vve Bouchard-Huzard, 1849, 200 pages, Cote A237
BELGIQUE, CHER, LOIR-ET-CHER, INDRE, INDRE-ET-LOIRE, VIENNE, OISE
Visite de quelques fermes du centre de la France en 1848


p.129-136
Le 27 juillet 1848, je me rendis à la Charmoise, près Pontlevoy, département de Loir-et-Cher.

M. Malingié, un de nos plus habiles cultivateurs français, était en pleine moisson. Ses froments blancs de Bergue et rouge de Kent sont extrêmement beaux ; les avoines sont très épaisses, mais peu élevées, les orges bien, les froments de mai trop clairs : l'extrême humidité du printemps et l'horrible sécheresse de l'été en sont la cause. Les froments ont reçu, au printemps, 500 kg de tourteaux de colza ; les épis en sont d'une longueur très remarquable, ils sont très propres : on les fauche, mais on ne ratisse pas après avoir enlevé les gerbes, et il reste beaucoup de grain sur le champ.

Les pommes de terre, toutes de l'espèce Shaw, ont été plantées en juin ; elles ne font qu'entre en fleur et ne commenceront à former des tubercules que lors des premières pluies ; elles donneront ainsi, par une année très sèche, une récolte plus abondante que si on les avait plantées plus tôt, pourvu que la maladie ne les atteigne pas.

Les betteraves sont très nettes et sans manque ; la partie qui a été défoncée est admirable et vaut bien le double des autres qui, du reste, ont été traitées de même, moins le défoncement : c'est une variété cultivée dans le nord sous le nom de demi-blocq. On fume ici le champ à plat pour les betteraves ; on recouvre le fumier par un labour, puis on forme les billons, qu'on roule ensuite. Un homme trace, avec le pied, en le posant sur le billon et le tirant à lui e pesant dessus, des marques éloignées de 33 cm les unes des autres, sur lesquelles une femme ou un garçon dépose 3 graines ; vient ensuite une troisième personne qui recouvre la graine avec le contenu d'une cuiller à bouche d'un compost formé de cendres, suie, vidange et tourteaux, et, ce qui est certain, c'est que les betteraves ont complètement levé et qu'il n'en manque pas un pied.

Le troupeau a été formé par le croisement suivant : M. Malingié a donné à des brebis berrichonnes un bélier provenant d'un bélier mérinos et d'une brebis solognote ; les brebis provenues de ce triple croisement ont reçu ensuite un bélier New-Kent ou un bélier Dishley, et cela donne un très beau résultat dont on marie les produits ensemble. Les quarante moutons, âgé de 17 mois, dont les 20 les plus beaux devaient concourir à Poissy, ont été vendus 50 fr. la pièce et ont donné un poids de viande nette de 70 à 80 livres ; la laine s'est vendue, les années dernières, 1,50 fr. la livre en suint, pour la fabrique d'Amiens. On nourrit ici fort bien les agneaux, afin de les vendre gras à l'âge de 18 mois. Les 40 qui étaient destinés au concours ont coûté, étant évalués comme agneaux à 10 et 12 fr., 1 200 fr., et ont produit 2 000 fr., les autres, de la même année, vendus au même âge, gras, mais qui avaient été moins bien nourris, n'ont produit que 30 fr. au lieu de 50.
Les hivernages, composés de vesce, seigle et avoine, produisent, année commune, 7 500 kg/ha. Les bêtes préfèrent beaucoup les dravières ou vesces mêlées d'avoine qui avaient été semées au printemps ; mais celles-ci manquent fréquemment à cause des sécheresses si habituelles dans le centre de la France. Son troupeau se compose de 1 500 bêtes à laine. Il dit que ses brebis, étant bien engraissées, à l'âge de 5 ans pèseront de 30 à 35 kg., viande nette.


M. Malingié a partagé sa culture en trois assolements différents :

Dans ses terres ordinaires il est comme suit :
1° Fèves,
2° Froment de Bergues blanc,
3° Vesces d'hiver mêlées de Seigle et d'Avoine, suivies par des Pommes de terre, Choux cavaliers et navets,
4° Haricots et Maïs,
5° Froment rouge de Kent,
6° Orge,
7° Trèfle,
8° Avoine
 
Dans ses terres fraîches et un peu humides,
1° Avoine sur défrichement de pré,
2° Colza ou autres récoltes commerciales,
3° Froment dans lequel il sème des graines de pré qui devront être fauchées pendant cinq ans.
 
Dans les meilleures terres, qui sont saines, il plante
pendant cinq ans, des Betteraves ;
il met ensuite ce champ pour cinq ans en Luzerne.

Il a une manufacture d'instruments aratoires ; sa charrue américaine est excellente ; ses triples herses, attelées de deux chevaux qui marchent dans les deux rigoles bordant les planches larges de prés de 3 mètres, couvrent d'un seul trait la planche, elles sont fort bonnes ; sa herse triangulaire, qui sert à cultiver la terre entre deux lignes de récoltes sarclées, est un petit instrument que je voudrais voir dans toutes les fermes, tant il est bon, simple et peu cher. Il fabrique aussi plusieurs semoirs pour grains et récoltes sarclées ; tout le fourrage, vert ou sec, qui est consommé par son bétail, est coupé par un hache-paille qui va au moyen d'un manège attelé d'un vieux cheval acheté pour cet usage.

Il se sert d'une machine à battre qu'il a fait venir de Bordeaux.

Deux de ses fils et le même nombre de neveux, dirigent, sous ses ordres, cette belle ferme que tous les nouveaux directeurs et employés des fermes-écoles devraient, dans leur intérêt et celui de leurs élèves, voir et étudier, afin de suivre son bon exemple d'aussi près que possible.

M. Malingié cultive la vigne d'une manière tout à fait remarquable et surtout profitable ; il a planté tris espèces de ceps : d'abord du Raisin rouge de Bouzy, en Champagne, du Cô [Côt] et de l'Auvernat blanc ; il emploie du plant élevé en pépinière et le plante dans des fossés larges et profonds au fon desquels il a mis des pierres afin d'assainir ce terrain à sous-sol argileux et, par conséquent, fort humide ; il met au-dessus des pierres, des fagots de menu bois ou de bruyère qu'il recouvre de gazon pour empêcher la terre de se mêler aux pierre ; il rebouche ensuite le fossé et plante le chevelu à 2 m de distance dans la ligne ; les fossés sont faits parallèlement et espacés de 4 m ; au bout de trois ans, il couche ou provigne à gauche et à droite de chaque cep et perpendiculairement sur la ligne, en portant le provin à 1,33 m, cela place les nouvelles lignes à cette distance de l'ancienne et aussi l'une de l'autre ; trois ans plus tard, on met un grand échalas d'acacia à côté de chaque pied de vigne, on cloue sur ces échalas trois traverses en bois de peuplier ou autre bois blanc fendu ou scié ; il lie deux sarments aux deux traverses les plus rapprochées de terre ; la traverse supérieure set à consolider le treillage. M. Malingié a adopté une taille qui fait produire énormément de raisin, je vais essayer de la décrire : il allonge des nouvelles pousses de vigne le long du vieux bois, et laisse ensuite monter perpendiculairement des yeux de ce nouveau bois, qui se couvrent de fruit ; l'année suivante, il coupe tous ces montants ainsi que la baguette d'où ils étaient partis, en se réservant le premier montant qui se trouve placé près du cep et qui est couché, pour cette année, le long di vieux bois, et ainsi de suite. Il fait ainsi beaucoup de fort bon vin, en ayant le soin de fertiliser le sol en proportion des produits qu'on en a retirés. Il nous a fait remarquer que le raisin était d'autant plus sucré que sa position l'éloignait de terre.

M. Malingié nous a fait voir un fort beau champ de maïs, ce qui m'a étonné à cause de l'extrême sécheresse de l'été. 
 

1850

Second voyage agricole en Belgique, en Hollande et dans plusieurs départements de la France par M. le comte Conrad de Gourcy, Librairie d'agriculture de Mme Bouchard-Huzard, Paris 1850, 387 pages, Cote A238
p. 63-64

Je suis allé à la ferme-école de la Charmoise, dont M. Malingié est le propriétaire et le directeur. Il a été horriblement grêlé cette année ; heureusement il était assuré, excepté pour le colza, pour lequel les assureurs exigent 15 %. Il m'a dit que le froment de Bergues avait bien mieux résisté à la grêle que le froment du pays. Il a une grande étendue en fèves, qui eussent été fort belles sans ce fâcheux évènement.

Les 30 antenois préparés pour le concours de Poissy, dont 20 ont concouru et obtenu une prime, ont donné, étant âgés de 15 mois, 51 livres de viande nette, qu'on a payée 75 centimes la livre. M. Malingié a un troupeau de 700 bêtes à laines provenant toutes de la même origine, dont voici l'historique. Il a pris un bélier né d'un métis mérinos et d'une brebis de Sologne, et l'a donné à un troupeau de brebis berrichonnes ; il a fait saillir les brebis provenant de ce triple croisement par un bélier Dishley, et maintenant on accouple ensemble les mâles et femelles qui sont le résultat du dernier croisement, et ce troupeau est réellement fort beau.

M. Malingié ayant visité plusieurs fois depuis 2 ou 3 ans la culture de M. Chambardel [à Marolles commune de Genillé, Indre-et-Loire], a été si content des résultats provenant des défrichements de bruyères ensemencés avec des grains mélangés de 450 litres de noir animal, qu'il a acheté de compte à demi avec un de ses amis, riche habitant du Nord [M. Faure], une propriété de 500 hectares [Céré-la-Ronde en Indre-et-Loire] dont une bonne partie est bruyères ; il ne l'a payée qu'environ 200 fr/ha. Il a déjà défriché 100 ha de bruyères, et va les ensemencer d'après cette méthode. Il compte former, avec les terres cultivées qui existent dans cette nouvelle acquisition, de petites fermes d'une étendue de 20 à 30 ha. Il pense les louer à de petits cultivateurs des environs, auxquels il fera les avances nécessaires ; il se réservera le droit de les diriger dans leur culture, jusqu'à l'époque où ils se seront libérés envers lui. Mon avis est que si on mettait dans ces petites fermes des gens bien choisis, pris dans le département du Nord ou dans le Hainaut, on serait bien plus sûr de réussir, car ils connaissent la bonne culture, tandis qu'il faudra l'apprendre aux Berrichons. Le commanditaire fournit les fonds nécessaires à cette opération, tant pour l'acquisition que pour l'exploitation et ne prend que 3 % d'intérêt jusqu'au partage des bénéfices.

 

Second voyage agricole en Belgique, en Hollande et dans plusieurs départements de la France par M. le comte Conrad de Gourcy, Librairie d'agriculture de Mme Bouchard-Huzard, Paris 1850, 387 pages, Cote A238
p. 360-363
Manière économique et très profitable de défricher les bruyères.
On fait produire à une bruyère, au bout d'une année ou 18 mois au plus, du moment où le premier labour a été donné, une récolte de 20 à 25 hl en froment, méteil ou seigle, suivant le plus ou le moins de légèreté du sol défriché, en adoptant la manière d'employer le noir animal, imaginée par M. de la Selle [Léon Gaullier de la Celle] fils, propriétaire demeurant à 12 lieues de Tours, près de la ville de Preuilly.
Il y a six ans [1844] qu'il suit cette méthode, qui lui a si bien réussi, que beaucoup de cultivateurs l'ont adoptée et qu'il y a déjà plus 100 ha de [Léon Gaullier de la Celle] bruyères défrichées d'après cette méthode, près de chez lui.
Voici comment procède M. de la Selle [Léon Gaullier de la Celle]  : il fait piocher à tranche ouverte la bruyère, après en avoir fait faucher la surface pour litière, ou l'avoir fait brûler, en y mettant le feu par un temps sec. Ce piochage coûte dans ce pays, aux époques où les travailleurs ne sont pas employés à la fenaison ou moisson, 60 fr/ha. Il fait ensuite réduire ce grossier piochage au moyen de herses armées de coutres et à coup de rouleau. En septembre, on donne un labour assez profond pour amener de la terre sur les gazons qui n'ont pu être réduits entièrement ; on herse encore un couple de fois, et puis on sème le grain, mêlé aussi bien que possible avec 360 litres de noir animal bien pulvérisé. Afin de répandre également [uniformément] sur le champ la semence et le noir, il fait passer le semeur trois fois sur l'emplacement où il ne serait passé qu'une, s'il n'avait semé que du grain pur. Une fois la récolte enlevée, M. de la Selle [Léon Gaullier de la Celle] fait donner un seul labour et sème lorsque le temps est venu, une seconde fois du grain d'hiver, en y mettant la même quantité de noir. Cette deuxième récolte produit ordinairement de 30 à 35 hl.
La troisième année produit, toujours avec la même quantité de noir mêlé à la semence, une trentaine d'hl de colza ou de 6 à 8 000 kg de vesce d'hiver mêlée de seigle.
La quatrième année, on sème de l'avoine qui devient superbe et qui peut donner ayant reçu aussi du noir, de 40 à 45 hl.
On se trouve alors, au moyen de l'argent et du fumier produits par les 4 premières récoltes, en état de drainer les terres humides, de les marner et de les fumer ; de cette manière, on continuera à obtenir de ces terres d'aussi bonnes récoltes que dans les bonnes terres cultivées depuis longtemps. M. de la Selle [Léon Gaullier de la Celle] a déjà défriché ainsi plus de 70 ha.
M. Dubreuil-Chambardel, propriétaire de la terre de Marolles, près Loches, où il vint d'établir une ferme-école, a été un des premiers à imiter M. de la Selle [Léon Gaullier de la Celle]. Il a déjà défriché une centaine d'hectares, il ne donne que deux labours ou un piochage et un labour à ses bruyères ; il ne herse que deux fois avant et deux fois après la semaille, et quoique sa terre se trouve ainsi infiniment moins bien préparée que celle de M. de la Selle, il obtient des récoltes encore plus belles, ce qui vient de ce que M. Chambardel met 450 litres de noir au lieu de 360.
J'ai vu, cette année, chez M. Chambardel, 3 ha en froment et 3 en seigle, qui produisent leur troisième récolte du même grain ; elle nous a paru encore plus belle que la deuxième récolte sur défrichement que nous venions de voir et qui était très belle. Nous avons estimé qu'une première récolte de grain méteil, qui avait été semée sur une bruyère qui n'avait reçu que deux labours et quatre hersages, devait produire de 28 à 30 hl ; la palle en avait près de 2 mètres de haut ; la récolte était très épaisse et les épis très longs et bien garnis.
M. Malingié, propriétaire de la terre de la Charmoise, près Pontlevoy, département de Loir-et-Cher, qui a établi une ferme-école il y a trois ans, a défriché cette année 100 ha de bruyères pour les emblaver de cette manière.
M. Desloges, fermier près de Manthelan, route de Tours à Preuilly, a plus de 50 ha de bruyères traitées de même, et les récoltes de froment et colza y sont admirables.
M. Lupin, au château de Loroy (Cher), ayant essayé sur 10 ha cette méthode, s'en est bien trouvé, qu'il vient d'emblaver ainsi 50 ha de bruyères défrichées.
M. Mariotte, au château de Trécy près Romorantin, après avoir essayé sur 4,5 ha, vient d'en défricher 20 autres qui ont été semés de même. Il va défricher toutes ses bruyères.
Il faut que j'ajoute que M. Mariotte ayant fait l'essai de semer sur 1 ha, 10 hl de noir animal sans le mélanger avec la semence, sur l'hectare voisin 5 hl mêlés à la semence, le froment du second hectare a été aussi beau que celui du premier. Le noir animal devra être acheté dans les grandes raffineries d'Orléans ou de Paris ; dans celles-ci, il valait cet été, 8 fr/hl, qui pèse ordinairement de 80 à 90 kg. Les cultivateurs, qui n'ont jamais défriché ou vu défricher des bruyères comme il y en a une immense étendue dans le centre de la France et en Bretagne, bruyères qui, malgré le bon sol qu'elles couvrent, peuvent encore s'acheter dans quelques endroits au-dessous de 100 fr/ha, pourront penser qu'une fois que le noir aura été employé pendant 4 ou 5 ans, ce terrain se trouvera épuisé et inerte ; ils devront se tranquilliser là-dessus, en voyant les belles récoltes que M. de la Selle obtient à la cinquième et sixième année, après avoir employé une fumure ordinaire [fumier], ou de 300 à 400 kg de guano du Pérou. J'ajouterai que j'ai défriché, il y a 25 ans [1825], des bruyères qui ont été cultivées depuis ce temps par de pauvres métayers des environs de Blois, et que cette terre continue à être infiniment meilleure que les anciennes terres de la même ferme qui l'entourent.

1850

Mélanges agricoles, (Paris vers 1850), par Conrad de Gourcy,  16 pages, Cote A252


M. Malingié, un de nos meilleurs cultivateurs de France, a adopté dans sa terre de la Charmoise (Loir-et-Cher), où se trouve une ferme-école, ce genre d'attelage ; il ne met jamais plus d'un cheval à une charrette ou à un tombereau, et il en est on ne peut plus satisfait.

1851

Notes extraites d'un voyage agricole dans l'Ouest, le Sud-Ouest, le Midi et le Centre de la France, et le Nord de l'Espagne, exécuté par M. le comte Conrard de Gourcy, Librairie d'agriculture de Mme Bouchard-Huzard, Paris 1851, 84 pages, Cote A239

p. 1-8
J'ai commencé mon voyage en visitant la culture de M. Malingié [15 juin 1851] ; il a de fort beaux herbages, qui lui donnent une assez grande quantité d'excellent foin ; 12 ha de beaux colzas, qu'on achevait de rentrer au moyen d'un grand tombereau à cheval tout garni de voliges, qu'il avait fait construire exprès pour cette opération. L'enlèvement du colza se fait avec de grandes fourches à 4 dents fort longues, dont la quatrième, qui forme le V avec les autres, empêche la plante de couler sur le manche. Quoiqu'il fît très chaud et que la récolte fût très sèche, il m'a semblé qu'elle ne s'égrenait pas en la chargeant. M. Malingié étant très satisfait de la grande activité des deux chargeurs et des charretiers, les invita à venir le soir chez lui, pour y recevoir une bouteille de vin ; son habitude est d'encourager les ouvriers à bien faire, soit par de bonnes paroles, soit par de petits cadeaux. Il possède en outre, 24 ha de fort belles avoines, qui viennent après pâturages de trois ans ; ses vesces avaient gelé.

Son intention est d'adopter un nouvel assolement de huit années, qui devrait se composer ainsi qu'il suit, chaque sole comprenant 12 ha ; [surface totale de 92 ha]

1ère année, avoine sur pâturage rompu ;
2ème année, vesces ou jarrosse ;
3ème année, colza semé en lignes et fumé avec 30 tombereaux ; on sèmera entre les lignes au printemps, après sarclage, des carottes qui recevront un engrais pulvérulent ;
4ème année, froment ;
5ème année, trèfle incarnat fumé par-dessus en hiver, avec 25 tombereaux, après lequel on sème des haricots en ligne ;
6ème année, fèves mêlées de pois, en lignes, avec 25 tombereaux de fumier ;
7ème année, froment ;
8ème année, herbages composés de trèfle rouge, lupuline et ray-grass d'Italie.
Ensuite on recommence la rotation.

En ajoutant les 18 ha qui sont en prés, M. Malingié complète 34 ha de fourrage, dont 30 sont pâturés après fauchage ; 12 ha de carottes ; 12 de fèves et pois pour le troupeau ; 24 ha de froment, 12 d'avoine et 12 de colza pour vendre ; en tout 48 ha produisant de la litière. Il prétend qu'il lui faudrait 24 ha de plus ; ce terrain serait divisé en 12 soles, dont 5 de luzerne ; on en défricherait une tous les ans pour la mettre en avoine, l'année suivante en froment, puis une culture consécutive de betteraves pendant 4 ans, enfin on terminerait en semant du froment de mars et de la luzerne pour recommencer l'assolement. Si j'étais à sa place, je mettrais mes prés en terres, ce qui, je crois, pourrait se faire sans inconvénient, et j'aurais 18 ha choisis parmi les terrains qui conviennent le mieux à la luzerne, lesquels pourraient être partagés en 12 soles de 1,5 ha chacune.

J'ai vu chez lui un échantillon de fort belles fèves, qui ont été faites sur un terrain engazonné de la manière suivante ; il n'a pas labouré, mais il a fait faire, de 12 en 12 pieds, des fossés larges de 3,5 pieds, profonds de 2 pieds ; il a répandu la terre sortant du fossé à droite et à gauche pour recouvrir les planches, en ayant soin que la terre du champ fût bien mélangée à celle du fond du fossé ; comme la terre était de bonne qualité et qu'elle avait été, pendant plusieurs années, en pépinière, il ne l'a pas fumée, et les fèves sont devenues magnifiques. Il a fait de même pour planter des châtaigniers, et, la deuxième année son plant était admirable. C'est encore de cette manière qu'il a repeuplé les clairières de ses soins.

Sa plus belle bergerie, a 200 pieds de long sur 40 pieds de large ; elle est fermée autour par des planches goudronnées ; sa toiture est en ardoise. Le grenier, très élevé est très spacieux, commence à 4 pieds dans l'intérieur de la basse-goutte et renferme des meules de foin très bien entassées ; il est parfaitement éclairé de distance en distance, par de grands carreaux de verre placés sur les faîtières. Dans cet énorme bâtiment, il n'y a que les deux pignons qui soient en pierre ; contre l'un des deux se trouve adossée une vacherie, contenant 12 petits bœufs qui consomment le fourrage rebuté par les moutons. Cette bergerie peut contenir 600 bêtes ; elle lui a coûté, y compris l'arrangement de la cour dont elle est entourée, 14 000 francs ; de larges fossés, dont les ados sont plantés en acacias très rapprochés, forment une palissade vivante et empêchent les loups d'y pénétrer.
M. Malingié vient de recevoir d'Angleterre, de M. Goord, un bélier New-Kent qui est beau, mais inférieur je crois, au premier, qu'il avait acquis du même éleveur. Il lui revient à 1 000 fr., ayant coûté 800 fr. sur place et 200 fr. de frais de transport ; on l'a amené de Boulogne ici en voiture, et son berger, qui est allé le chercher ne sachant pas l'anglais, a dû prendre un interprète, et comme il n'a acheté que deux béliers, ces circonstances ont de beaucoup augmenté leur prix. Il a fait venir 6 petites brebis mérinos provenant de béliers de Saxe [Mérinos de Saxe] et de brebis de Naz [Mérinos de Naz] ; elles lui ont coûté près de 200 fr. par tête. Il a reçu, en outre, 70 brebis d'Artois ; elles sont moins hautes sur jambes, plus fines d'os et de toison que celles de sa première importation ; il s'en trouve parmi elles qui ont d'assez belles formes ; elles lui reviennent, rendues ici, à 30 et 55 francs la pièce. J'ai vu des bêtes croisées anglo-flamandes fort belles ; c'est ce résultat qui a déterminé M. Malingié à faire venir des bêtes artésiennes. Il m'a fait voir un assez bel échantillon de leur laine, qu'il m'a dit ne valoir que quelques sous de moins par livre que celle des Kent. La laine kento-sologne est assez belle.
M. Malingié prétend que les agneaux anglais élevés en commun dans une bergerie, ne prennent jamais leur entier développement, et, pour remédier à cet inconvénient, il a imaginé un expédient qui lui a réussi à merveille, mais qui ne convient à cause de sa cherté, que pour élever des béliers qu'on puisse vendre âgés d'un an, au moins 100 écus. Il choisit des manouvriers jouissant d'un peu d'aisance et ayant une ou deux vaches ; il leur confie une brebis qui a un agneau mâle très bien fait et bien venant ; les conditions sont qu'il pourra retirer ses bêtes le jour qu'il lui plaira, mais il devra retirer la brebis à la sèvre de l'agneau au plus tard à l'âge d'un an. Il paye pour la pension de ces béliers, lorsqu'il les reprend, 1 fr. par livre de poids vif de l'animal ; - ordinairement il les retire âgé de 7 à 8 mois ; ils pèsent alors de 75 à 100 livres, et ils arrivent à l'âge d'un an, jusqu'au poids de 150 livres ; en prenant pour poids moyen celui de 100 livres, chaque bélier doit être vendu au moins 120 fr., avant de donner du bénéfice.
Je n'ai pu voir qu'un agneau né au mois de septembre dernier ; il avait dont au 15 juin, qu'environ 9 mois. Cet animal est déjà vendu 300 fr. et doit être enlevé sous peu.
M. Malingié a 25 agneaux pensionnaires dans ce moment ; mais une partie de ses brebis commencent à agneler, et il en placera bientôt d'autres qui sont retenus par bien des concurrents. Pendant que j'étais chez lui, une femme est venue le prier instamment de lui en donner un aussitôt qu'il le pourrait. Il recommande à ses éleveurs de fortement nourrir ses élèves béliers, ainsi que les mères qui allaitent ; doivent leur donner de l'avoine, de l'orge ou du pain ; mais cette recommandation est superflue, car il est trop dans leur intérêt de bien nourrir, afin d'augmenter le nombre de livres qu'on paye 1 fr. chacune, pour qu'ils ne le fassent pas d'eux-mêmes.
Je pense qu'on arriverait au même but et à moins de frais, si l'on avait de petits enclos garnis d'ombrage, avec un petit hangar où l'on élèverait quelques bêtes qui sortiraient et rentreraient à volonté, et qui seraient bien pourvues de bons fourrages et d'une provende abondante, accompagnées d'eau fraîche et de sel ; c'est ce qui du reste, a lieu en Angleterre. les vachères emmènent ordinairement la brebis attachée en laisse par un licou, et l'agneau suit.
M. Malingié a voulu changer il y a 2 ans, l'époque de monte, afin d'avoir ses agneaux en août et septembre, comme cela se fait depuis un certain nombre d'années en Allemagne chez des éleveurs distingués ; mais il n'y a eu que 70 brebis, sur un grand nombre, qui aient voulu s'accoupler en mars et avril, les brebis ne prenant ordinairement le bélier qu'en octobre et novembre. Il m'a montré une partie de ces agneaux de septembre qui étaient déjà plus forts que leurs aînés de cinq mois. Il paraît qu'on se trouve très bien de cette méthode en Allemagne.

Nous avons admiré chez lui des marsaults [saule des chèvres] qu'il a apportés de la forêt de Momale, en Flandre, qu'il a arrachés tout petits et venus de graines. Ils ont été plantés dans un assez mauvais terrain fort sec, à côté de marsaults du pays, d'ormes, de sycomores et d'autres espèces ; eh bien, les marsaults flamands, après avoir été recepés l'année dernière, ont aujourd'hui 10 pieds de haut, des feuilles très larges et d'un vert foncé ; ils paraissent être d'une vigueur extraordinaire, tandis que les autres arbres et surtout les marsaults su pays, sont chétifs et rabougris.

Les plantations considérables de peupliers faites à la Charmoise viennent en général fort bien ; mais une de ces plantations se trouvant périr par la tête et rejetant vigoureusement par le pied, M. Malingié a jugé convenable de les couper au pied ; il y en a qui ont poussé plusieurs belles tiges dont les bouts ont été pincés, à l'exception de celle qui doit rester pour former l'arbre ; mais une partie d'entre eux jettent une quantité de brindilles qui ne s'élèvent pas, et je ne sais ce que cela deviendra ; en tous cas la dent des moutons leur sera funeste, comme elle l'a été à la plupart des jeunes haies, qui avaient été élevées avec tant de soin à la Chamoise.

M. Malingié a détruit sa tuilerie, qui ne lui était plus profitable depuis que ses racines avaient été consommées et qu'il lui fallait acheter du bois ; le four à chaux a été conservé, mais il st loué. Son chaufournier vend la chaux 5 fr. les 220 litres au public et 4 fr. à son maître, ce qui est un prix fort élevé, attendu que sur les bords du Cher à 2 lieues de chez lui, on peut faire la chaux à raison de 1 fr. l'hectolitre, au moyen du charbon de terre de Commentry. La terre des environs du four, qui était très mauvaise, est couverte de la plus belle récolte de froment qu'on puisse voir, par les soins du chaufournier à qui l'on a abandonné la jouissance, et qui y emploie depuis 7 ans beaucoup de chaux et de cendre de son four.
Une chose très remarquable, selon moi, c'est que, partout où en creusant des fosses ou fossés, on a déposé de la terre au pieds d'arbres de diverses espèces, ils sont devenus d'une grosseur double et triple, de celle de leurs voisins qui n'en ont pas eu, et cette grosseur était proportionnée au plus ou moins d'élévation de cette terre, quoique souvent celle-ci fût d'une très mauvaise qualité.

M. Malingié a acheté il y a 18 mois [janvier 1850 ?], 200 ha de bruyères dont le fond est excellent, à 5 lieues de chez lui de l'autre côté du Cher, pour une somme de 40 000 fr., sans compter les frais. On avait déjà exécuté sur ce terrain, avant l'acquisition, un commencement de défrichement et construit quelques bâtiments. Le nouveau propriétaire a fait écobuer l'année dernière, la moitié de l'étendue des bruyères, et il se propose d'achever le reste de cette année. Une vingtaine d'hectares ont été ensemencés de colza et ont donné de très beaux résultats. Cette graine étant fort chère maintenant, on peut évaluer que cette récolte payera le fond, les frais d'écobuage et ceux de culture. Le reste du terrain a été semé en seigle, méteil et froment, qui ont donné de fort bonnes récoltes, à l'exception de la dernière, qui est assez maigre ; aussi M. Malingié ne fera-t-il plus de froment dans cette position ; au lieu de froment, il sèmera plus de colza sur le nouvel écobuage et de l'avoine sur l'ancien. Il compte semer une seconde avoine partout où la première aura bien réussi, et il plantera ensuite ces terres défrichées en bois.
L'intention du propriétaire est de tracer ce terrain, qui est assez rond, en étoile ; il a construit au milieu une tour assez élevée, dans laquelle se trouvent le logement du garde et une chambre pour lui. De ce point central doivent partir des allées qui partageront le bois en coupes. Du haut de sa tour, le garde peut voir en un instant toutes les allées d'un bout à l'autre, ce qui lui facilitera singulièrement la surveillance des bois.
Les bruyères qui ne sont pas encore écobuées, annoncent par leur hauteur, leur épaisseur, les ajoncs et herbes qui y sont mêlés en grande quantité, la fertilité du sol. L'écobuage est parfaitement fait. On sème dessus sans labourer ; on trace ensuite des rigoles parallèles avec une charrue qui n'a pas de socs, mais seulement des coutres ; des hommes vident alors ces rigoles, qui sont larges de 1 pied et aussi profondes, en répandant la terre sur les planches qui ont 4 pieds de largeur. Cette manière d'ensemencer coûte une trentaine de francs par hectare ; on emploie un attelage pendant deux heures et on sème 1,5 ha de grain.
M. Malingié a planté les terres qui étaient cultivées, principalement en acacias, châtaigniers, bouleaux, érables, platanes, etc. Il a formé, à 80 pieds les unes des autres, des plantations larges de 5 pieds, relevées de 18 pouces au moyen de deux fortes rigoles qui bordent chaque planche ; il les a plantées de peupliers du Canada qui sont aussi à 80 pieds les uns des autres et qui ont été recepés au pied un an après leu plantation. Il doit cultiver pendant trois ans toute cette plantation à la houe à bras.
 

1853

Notes agricoles extraites des divers journaux d'agriculture anglais , par M. le comte Conrard de Gourcy, Imprimerie et Librairie d'agriculture et d'horticulture de Mme Vve BOUCHARD-HUZARD, Paris 1853, 76 pages, Cote A240
p. 4-5
- Choux. - M. Malingié dit qu'un homme et quatre garçons à qui un charretier amène un tonneau d'eau peuvent arroser, dans un jour, 2 ha de choux repiqués à 50 cm l'un de l'autre, en lignes distantes de 1 m. Le tout revient à 10 fr. M. Malingié conseille d'arracher les plants de choux quelques jours avant le repiquage et de les mettre en jauge, en ayant soin de les arroser, afin qu'ils puissent pousser de nouvelles racines qui ne soient pas privées de leurs extrémités, où se trouvent les suçoirs ; car ceux-ci ont été séparés des anciennes racines par l'arrachage. Il trempe le plant dans une bouillie fertilisante, composée de terre, d'eau et de bouse de vache ; je pense qu'il faudrait y ajouter du noir animal, des tourteaux pulvérisés, de la suie, des cendres, etc.

1854

Le comte Conrad de GOURCY visite La Charmoise

Voyage agricole en France par la Cte de Gourcy, année 1854, Librairie de la Maison Rustique, Paris 1859, 351 pages, Cote A241
 

1855

Voyage agricole en France en 1855 par M. le comte Conrad de Gourcy, Paris 1859, 303 pages, Cote A242
p. 56-58
Ferme-école de la Charmoise, tenue par M. Paul Malingié [fils d'Edouard Malingié]
J'ai fait une visite à M. Paul Malingié, directeur de la ferme-école et fermier de la Charmoise. Sa culture s'étend maintenant sur 160 ha, ce qui lui permettra d'augmenter le nombre de ses bêtes à laine.
La moyenne du loyer de la Charmoise s'élève à 50 fr/ha. Ses froments ont souffert cet hiver, mais les hivernages et ses dravières ou vesces d'hiver et de printemps sont très belles. Les avoines et les sarrasins sont de même, mais ses colzas n'ont pas été beaux, car son replant s'était trouvé trop petit à cause de l'extrême sécheresse de l'été précédent. J'ai vu de beaux champs de maïs et de sarrasins mêlés ensemble pour fourrage, et ayant été semés à 8 ou 1à jours de distance. J'ai aussi aperçu du maïs et du sarrasin pour graine.
M. Malingié a une douzaine de béliers anciens et 36 de l'année. Il a acheté une douzaine de petites vaches bretonnes qui lui reviennent, rendues à la charmoise, à 150 fr. ; il y a aussi un taureau breton, comptant élever cette race en la grandissant par la bonne nourriture. Je l'ai, au contraire, engagé à la croiser avec un taureau bien écussonné de la race Durham qui lui donnera, avec ses petites vaches bretonnes, des vaches de bonne taille, s'engraissant facilement après avoir donné beaucoup de lait.
M. Malingié emploie beaucoup de chiffons de laine qu'il paye 90 fr. le 1 000 kg, et en mettait 1 500 kg/ha ; il m'a dit qu'il ne comptait dorénavant n'en mettre que 1 000 kg en ajoutant 500 kg de chair desséchée et pulvérisée. Il compte adopter l'assolement suivant :

1. Avoine.
2. Colza fumé à raison de 40 mètres cubes.
3. Froment.
4. Hivernage, suivi la même année de choux branchus, recevant 1 500 kg de chiffons de laine.
5. Dravières fumées.
6. Froment.
7. Trèfle, mêlé de ray-grass d'Italie.
8. Pâturage.


Le nouveau propriétaire de la Charmoise étant survenu, il a été question de drainage, et j'ai engagé fortement ce monsieur à faire drainer d'abord les terres les plus humides, M. Malingié consentant à lui payer l'intérêt à 5 % de la somme employée à cette première de toutes les améliorations pour les terres à sous-sol imperméable ; il a dit qu'il pourrait en essayer.
 

1867

Excursions agricoles faites en France en 1867 suivi de notes agricoles diverses de lettre et rapports par Le Comte Conrad de Gourcy. La Maison Rustique, Paris 1869, 579 pages, Cote A251

p. 231
J'ai quitté le château de Chissay, pour me rendre chez ma belle-soeur, à la Basme, et de là, je suis allé faire une visite à Mme Malingié, belle et jeune veuve, [veuve de Paul Malingié] restée avec cinq enfants, elle a conservé la culture de la ferme ; elle a conservé la culture de la ferme de la Charmoise, et son beau troupeau de 300 bêtes, dont les béliers sont vendus 200 fr. ; de la route, j'ai pu voir de beaux champs de choux et de betteraves ; j'ai voulu, en passant à Pontlevoy etc...

p. 18
"M. Poullain exploite la ferme des Bordes, près Pontlevoy. Ses cultures fourragères sont remarquables, et plusieurs de ses champs présentent ce magnifique aspect qu'on n'est habitué à rencontrer que sur des terres d'une fertilité supérieure. Sa vacherie contient des croisements durham-manceaux bien conformés ; sa bergerie renferme un troupeau de la race Charmoise, cette belle création de M. Malingié. etc.
 


 

 

Publié dans Domaine agricole

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