BÉTHUNE-CHÂROST Armand-Joseph, duc de (1738-1800)
Les bienfaits d'Armand-Joseph Duc de Béthune-Chârost. Extrait de "L'Histoire du Duché-Prairie de Chârost et de la Seigneurie de Mareuil" par L. Cartier Saint-René. Imp. Laboureur, Grolleau et Filloux, Issoudun 1925. 14 pages.
p. 3-11
Armand-Joseph, duc de Béthune-Chârost, pair de France, lieutenant-général des provinces de Picardie et Boulonais, gouverneur des villes et citadelles de Calais, fort Nieulay et pays reconquis, président né des Etats de Bretagne, gouverneur des villes de Chârost et Saint-Amand (Cher), chevalier de l'ordre militaire de Saint-Louis, etc., etc., naquit, à Versailles, le 1er Juillet 1738.
Sa vie et sa fortune furent consacrés à la bienfaisance et au bonheur de son pays. En 1760, il épousa Louise-Suzanne-Edmée de Fontaine-Martel, qui lui donna un fils et mourut le 6 octobre 1779. En 1783, il épousa Henriette-Adélaïde-Joséphine du Bouchet de Sourches de Tourzel, qui lui survécut, mais n'eut pas d'enfants.
Sa carrière commença à 16 ans ; il devint colonel de cavalerie, puis maréchal de camp. Les moins fortunés de ses officiers et soldats étaient ses protégés, et souvent il paya de sa bourse les gratifications qu'il avait inutilement sollicités pour eux, en laissant croire qu'il les avait obtenus. Lors de la prise de Munster, pendant la guerre de Sept ans, il resta six heures à découvert dans une tranchée, à la tête de ses troupes, et montra un courage héroïque.
Près de Francfort, où l'armée fut ravagée par une affreuse épidémie, il fit établir à ses frais un hôpital qui sauva 4 000 malades.
En 1758, à la demande du Gouvernement, il envoya le premier à la Monnaie sa superbe argenterie de famille en disant : "Si la patrie me demandait mon sang, je le lui donnerai jusqu'à la dernière goutte. Cette vaisselle m'est-elle donc plus précieuse ?"
Plus tard, Louis XV disait de lui ces belles paroles : "Cet homme n'a pas beaucoup d'apparence, mais, à lui seul, il fait vivre trois de mes provinces".
La paix de 1763 rendit le duc de Chârost à son véritable caractère.
Ses bienfaits en Berry
Propriétaire des terres de Meillant, Charenton, Orval, Saint-Amand, Chârost et Mareuil, en Berry, il fit particulièrement sentir à cette province les effets de son amour du bien et de son attachement.
En 1778, il devint membre de l'Assemblée provinciale du Berry, la première établie, à titre d'essai, par Louis XVI ; il y siégea jusqu'à la fin et y fut l'initiateur des principales routes que possède le pays.
C'est lui aussi qui, en 1780, réveilla le projet du canal de Berry, qui existe aujourd'hui. Enfin, ses Ordonnances prouvent que les "chemins vicinaux" ne l'occupèrent pas mois que les grandes voies de communication.
Vingt ans avant la Révolution, il forma un plan d'amortissement de ses sens et rentes, convertit les banalités en abonnements modiques, et supprima les droits seigneuriaux qu'il avait sur le commerce des grains dans les foires et marchés.
Mendicité et secours
En 1768, le duc de Chârost fit dans ses terres des règlements remarquables sur les pauvres et la mendicité, et il envoyait chaque année 30 malades à l'hôpital des Eaux-de-Bourbon-l'Archambault.
En 1772, il créa aussi un mode de secours dans les malheurs imprévus, tels que grêle, incendies, inondations, épizooties, etc. Avant de promulguer ses Ordonnances sut tant de sujets, il voulut s'entourer de tous les renseignements possibles ; et ce n'est pas sortir du cadre restreint que nous nous sommes tracé dans cette biographie, que de publier la Lettre qu'il écrivit au clergé de ses terres. Etc.
Orphelins
Les orphelins et les enfants trouvés de Chârost et de Mareuil, auxquels, disait-il, il devait tenir lieu de père, furent particulièrement l'objet de la sollicitude du duc de Chârost. Il plaçait les enfants valides, avec pension et trousseau, chez des cultivateurs, auxquels il donnait des gratifications à des époques déterminées par ses règlements. Quant aux petits infirmes, il les mettait à la maison des Incurables d'Issoudun.
Instruction - Bibliothèques
Le duc de Charôst établit des écoles dans la plupart de ses terres, en Berry, en Bretagne et ailleurs, et, en 1771, il fonda des bibliothèques à Chârost et à Mareuil, pour aider les curés dans l'instruction des populations.
Agriculture
En Berry, en Picardie, à calais et partout, ses actes d'dministration publique ou privée témoignent de l'importance qu'il attachait au développement de l'agriculture. Il fut le vrai fondateur des comices agricoles et des sociétés d'agriculture (il fonde la Société d'agriculture de Meillant en 1795), et institua des prix de tout genre pour encourager les cultivateurs.
Il s'offrit de créer une école de bergers près de Chârost, et commença pour cela une ferme modèle à Mazières.
Mais il ne se présenta pas d'élèves, et ses vues bienfaisantes restèrent sans effets. Le Berry demande encore (1925) une école de bergers.
Enfin, il protégea avec ardeur la culture des prairies artificielles, du colza, du mûrier et de la garance, et y dépensa des sommes énormes.
1793. Captivité du Duc de Chârost
La Révolution anéantit une partie de ses efforts et de ses tentatives à élever le niveau de son pays.
Son fils et lui n'émigrèrent pas ; mais il eut la douleur de voir périr sur l'échafaud ce fils unique (Connu sous le nom de comte de Chârost).
Lui-même fut jeté en prison, à La Force (Dordogne), et y séjourna plusieurs mois. Il ne dut son salut qu'aux pétitions et à la pression de nombreuses communes qui avaient senti les effets de sa bienfaisance, et qui ne cessèrent de réclamer sa liberté.
Le duc de Chârost mourut maire de Paris, le 5 brumaire an IX (27 octobre 1800), de la variole, dont il fut pris en visitant l'établissement des Sourds-Muets ravagé par cette épidémie.
Resté sans enfants, petits-enfants et ascendants, il laissa son héritage à la duchesse de Chârost, sa veuve, femme remarquable, qui prit à toutes ses peines et à tous ses bienfaits.
Sa Mort
Sa mort fut un deuil pour la France, et surtout pour le Berry. Le département du Cher ouvrit aussitôt une souscription pour ériger un monument à sa mémoire, et on lui éleva à Bourges, une colonne en forme d'obélisque, ave cette inscription : "Optimo civi Arm.-Jos. Béthune-Chârost Grati Bituriges Anno x reip. fund." Ce monument a été réparé, en 1843, par Mme la duchesse de Mortemart, nièce du duc de Charôst. Le duc de Charôst repose en Berry, dans la chapelle du château de Meillant, qu'il a longtemps habité.
1800
Notice biographique sur Armand Béthune-Chârost, lue au Lycée Républicain (*), le 3 Frimaire an IX (24 novembre 1800), par A. F. Silvestre (**), Membre de plusieurs Sociétés Savantes, Nationales et Etrangères.
p. 105-128
Dès 1765, il commença à faire des essais d'agriculture, il s'occupa de la confection de plusieurs routes qui traversent la ci-devant province de Berry, il établit divers ateliers de charité (à Ancenis, département de la Loire), et contribua à l'amélioration de l'instruction publique dans sa province, en réunissant à un collège un bénéfice qui était à sa nomination, en acquérant et réparant une maison à cet effet, et en dirigeant l'instruction sur les objets d'utilité publique, alors trop négligés.
Il ne considéra jamais la prééminence que lui donnait ses grandes propriétés seigneuriales, que comme l'obligation sacrée de remplir les devoirs de père envers ceux qui se regardaient comme ses vassaux. Il sentit l'importance de faire un choix d'agents probes pour diriger ses affaires, et surtout de juges intègres dans les lieux où il avait le droit de justice seigneuriale ; aussi, pour être plus libre dans ce choix, ne balançait-il pas à rembourser la finance des charges de tous les officiers qui dépendaient de lui.
Vingt ans avant la révolution, il conçut le projet de supprimer les restes de féodalité, avant même qu'on eût osé les attaquer en France, il écrivit contre elles, il fit plus, il forma un plan d'amortissement de ses cens et rentes, il détruisit les corvées seigneuriales dans ses domaines, convertit les banalités en abonnements, et ne conserva avec des droits modiques que celles des fours communs dont l'utilité fait encore presque partout à désirer le rétablissement. Enfin, il supprima le droit de minage (à Chârost et à Mareuil, département du Cher), qu'il reconnût injuste, quoiqu'en ce moment même on lui en offrit 10 000 francs de fermage ; et il indemnisa (à Ancenis, département de la Loire-Inférieure) des censitaires qui, par erreur à cause de la bizarre multiplicité des mesures employées, avaient payé à ses prédécesseurs une somme plus forte que celle qu'ils doivent légalement.
Mais, pour cet homme vertueux, c'était trop peu d'être juste ; il fonda dans chaque commune des secours annuels pour les indigents, il se chargea (à Chârost et Mareuil) d'enfants abandonnés ; et les confiant à des Cultivateurs, il pourvût constamment à leur entretien et à leur instruction par des pensions décroissantes. Dans d'autres communes (à Roucy et à Meillant) il établit des sages-femmes, des chirurgiens, des pharmaciens pour les malades, des secours extraordinaires (à Mareuil et à Charenton-sur-Marmande) contre les grêles, les inondations et les incendies. Bien avant la révolution, il avait fondé un hôpital à Meillant et l'avait richement doté ; l'indigent y trouvait une retraite tranquille, des soins assidus, une existence honnête, son humanité en avait fait un séjour de bonheur.
Sa bonne foi et son respect pour la propriété étaient si connus, qu'on le vit plus d'une fois se refuser à être lui-même arbitre dans sa propre cause ; sa parole était sacrée ; elle était, pour les gens qui le connaissaient, aussi sûre que l'engagement le plus authentique. Un jour il fit volontairement le sacrifice de 100 000 écus pour ne pas manquer à la promesse verbale qu'il avait faite d'acquérir un domaine. Dans une autre occasion, il remboursa en numéraire, la somme de 60 000 francs qui lui avait été prêtée ; quoique des circonstances particulières l'eussent déjà forcé à déposer cette somme en papiers, à la trésorerie nationale.
Après tant de justice et d'humanité, Béthune-Chârost ne croyait pas avoir rempli tous ses devoirs de citoyen, il pensa qu'il devait encore employer, pour la chose publique, une grande partie de ses facultés à l'amélioration des pays dont le sort lui était confié par le Gouvernement. Ses actes d'administration publique ne font pas moins d'honneur à ses lumières qu'à la bonté de son cœur ; gouverneur de Calais, dans une année de disette, il encouragea, de ses propres deniers, l'importation de grains dans ce port ; lieutenant-général de Picardie, il fit les fonds d'un prix sur les moyens de préserver les campagnes du fléau des incendies, et d'un prix contre le fléau non moins désastreux des épizooties ; d'un autre prix sur l'utilité des dessèchements en général et de ceux du Laonnais en particulier ; enfin, d'un prix pour la culture du coton dans nos provinces méridionales, et de plusieurs autres, particuliers à celle du Berry.
C'était avant la révolution qu'il avait donné toutes ces preuves de son amour pour le bien public. Des travaux aussi soutenus et aussi utiles n'avaient point échappé à l'attention du Gouvernement ; Louis XV savait l'apprécier ; un jour que Béthune-Chârost s'avançait vers lui, il dit aux courtisans qui l'environnaient : regardez cet homme, il n'a pas beaucoup d'apparence, mais il vivifie trois de mes provinces. Heureux l'administrateur qui a pu mériter un semblable éloge, et celui-ci n'était pas mendié.
Malgré la faiblesse de sa constitution, Béthune-Chârost conservait beaucoup de fermeté dans le caractère, et il s'était fait une idée juste du point d'honneur. Lorsque madame Dubarry devint en faveur, on fit de vains efforts pour qu’il sacrifiât à l'idole devant laquelle les courtisans se faisaient alors un devoir de courber la tête ; il préféra risquer de perdre ses places et la faveur du prince, à les conserver par cette action, qu'il regardait comme une bassesse. L'assemblée des notables, dans laquelle il se crut appelé à la régénération de son pays, le trouva prêt à des sacrifices dont il avait le motif dans son propre cœur (1). Il y établit avec fermeté ses principes sur la justice de l'égalité dans les répartitions des charges publiques, comme il avait combattu la corvée dans ls assemblées provinciales, et que depuis il en a entrainé la proscription ; enfin, il était tout préparé aux pertes qu'il fut obligé de supporter dans la suite, et il dit lui-même qu'il n'a pas éprouvé de regrets pour la diminution de son revenu, dans un moment où les besoins de la patrie exigeait de si grands efforts de la part de tous les citoyens (2).
Lorsque la terreur pesait sur la France entière, les vertus de Béthune-Chârost ne garantirent pas pas son nom et sa fortune, il fut, avec d'autres victimes innocentes, traîné dans les cachots, sa conduite irréprochable même fut un crime aux yeux des bourreaux ; en vain, pour éviter l'orage, il s'était retiré à Meillant, où ses bienfaits l'avaient rendu si recommandable. Un ordre supérieur vint l'en arracher ; les prières des malheureux, qui voulaient le retenir, ne purent adoucir cet arrêt ; le gendarme lui-même qui l'accompagnait fut forcé de mêler ses larmes à celles de tous les indigents qui regrettaient leur père ; Béthune-Chârost, sensible à ce témoignage d'humanité, ne parlait jamais sans attendrissement de ce gendarme.
Dans les prisons de La Force (Dordogne), où il séjourna six mois (Janvier à Juillet 1794), il porta le calme d'une conscience pure et la tranquillité d'un homme vertueux ; il était le consolateur de tous ceux qui partageaient son sort ; il s'entretenait surtout avec eux du bien qu'il se proposait de faire encore, lorsqu'il aurait recouvré sa liberté. Le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794) ouvrit son cachot, il sortit de La Force en pardonnant à ceux qui l'avaient si mal traité. (3).
Il avait l'habitude de chercher un bon motif dans les actions même les plus blâmables ; il ne pouvait pas croire qu'il existât un homme méchant. C'est un défaut sans doute, mais on se plait à le lui pardonner ; d'ailleurs, il n'entre pas dans mon projet de dissimuler ses erreurs, il fallait bien qu'il participât, de quelques côtés, aux faiblesses de l'humanité.
A peine il fut rendu à la liberté, qu'il signala cette époque par de nouveaux bienfaits, il se retira sur ses propriétés dans le département du Cher. Il trouva les travaux qu'il signala cette époque par de nouveaux bienfaits, il se retira sur ses propriétés dans le département du Cher. Il trouva les travaux qu'il avait entrepris suspendus, les améliorations qu'il avait faites dans un état de stagnation qui les rendait rétrogrades ; l'hôpital qu'il avait établi était détruit par la confiscation du bénéfice qu'il y avait affecté ; il entreprit de tout réparer et s'y livra avec zèle et succès. On croit voir l'abeille industrieuse mettant une nouvelle activité à rétablir l'édifice et les provisions dont l'instrument tranchant vient de la priver, ou plutôt on se représente l'image du génie réparateur qui veille à l'entretien et à la perpétuité des êtres, s'occupant sans cesse à féconder les germes, et à remplacer, par de nouvelles productions, celles qui, déjà, ont été entraînées par les ravages du temps.
Tous les perfectionnements à faire en Agriculture tiennent moins à des inventions nouvelles qu'à l'introduction de pratiques , reconnues utiles dans certains pays, et qui peuvent s'appliquer avec avantage dans d'autres cantons semblables, où leur usage est encore ignoré, aussi Béthune-Chârost fut plus utile en créant une Société d'Agriculture à Meillant, en y répétant des expériences (4) sur la quantité et la qualité ses semences, sur l'emploi du chaulage pour détruire la carie qui attaquait la plus grande partie des grains du département, sur les avantages qui peuvent résulter de l'usage de la faulx sur celui de la faucille pour les récoltes, en rédigeant un vocabulaire des termes ruraux en usage, et une description topographique, rurale et industrielle de son district ; que s'il avait trouvé un procédé particulier de culture, ou s'il avait inventé une machine nouvelle.
Il avait observé que l'araire, espèce de charrue employée dans le département du Cher, et qui ne fait qu'effleurer la terre, ne convenait pas au sol compact de ce département ; il y substitua la charrue de la Brie, et pour répandre l'usage, il en donna plusieurs comme récompenses à divers cultivateurs.
Les prairies artificielles étaient alors peu cultivées dans son canton, le morcellement et le mélange des propriétés était un obstacle à leur propagation, il fit venir des graines qu'il répandit dans le pays, et proposa un prix sur les moyens de concilier leur emploi avec le respect dû aux propriétés. Les meules à courant d'air étaient inconnues, il montra l'usage de ce procédé, qui remédie aux inflammations spontanées (5). Enfin, il donna le premier, en France, l'exemple utile de consacrer un domaine à des expériences d'économie rurale ; il avait senti le bien que de pareils établissements pouvaient procurer à l'Agriculture, et il avait prévenu le vœu que les hommes les plus éclairés de l'Angleterre et de la France viennent de développer sur cet important objet ; mais son exemple ne fut pas suivi, et la Société d'Agriculture de Meillant, à laquelle il en confia la direction, est encore la seule en France qui ait à sa disposition ce moyen d'établir, d'une manière efficace, la solidité des principes de la théorie agricole.
Les laines étaient une des plus importantes productions du Berry ; on sait que de tout temps la partie haute de cette province retira, des produits de ses moutons, la plus grande partie de ses ressources pécuniaires (6) ; mais des brebis faibles et de petite stature, des laines grossières, des bergeries malsaines et point aérées, une ignorance absolue du croisement des races, firent sentir au Citoyen Béthune-Chârost tout l'avantage que pouvait promettre une amélioration dans cette partie ; il fit venir un troupeau de race espagnole, il étudia la manière de le nourrir, de le conserver, de le naturaliser dans ce pays, et d'obtenir de prompts résultats par un croisement dont il propageait la méthode dans son voisinage, en prêtant gratuitement ses béliers, et en donnant même pour prix à ceux des propriétaires qui avaient le plus belles brebis ; on lui doit d'avoir le premier renversé, par des expériences exactes, ce préjugé ou cette assertion malveillante, que les moutons espagnols ne peuvent pas, dans nos climats, prendre l'embonpoint nécessaire, et qu'il y sont plus sujets à la mortalité. Et il éprouva peut-être une des plus douces jouissances lorsqu'il vit les moutons qu'il avait élevés devenir, à la quatrième génération, presque aussi beaux que les mérinos d'Espagne (7).
Ce n'était pas assez pour lui d'améliorer la qualité des laines, son esprit administrateur voyait avec peine que les départements voisins les achetassent brutes et vinssent ensuite les revendre fabriquées, faisant ainsi sur celui du Cher, le profit de l'industrie ; il forma le projet d'établir, dans l'arrondissement de la Société de Meillant, une filature et une fabrique de couvertures, pour employer, sur les lieux, les matières premières, et fournir du travail aux indigents. Il avait déjà fait venir plusieurs métiers, connus sous le nom de Jennys ; bientôt après il proposa un prix pour l'ouvrier qui aurait fabriqué, sur les lieux, le plus grand nombre de couvertures de laine ; il ne réservait pour lui que la satisfaction de faire toutes les avances de l'établissement.
Ce même exemple si précieux et d'une application si utile à l'Administration générale de la République, il le donna aussi pour la fabrication des toiles à voiles, dont il existait très anciennement une manufacture à Bourges ; (8) cette manufacture avait le double avantage d'employer sur les lieux mêmes les chanvres que la province fournissait abondamment, et de soutenir des familles pauvres, auxquelles ont confiait les matières premières. La loi du maximum, en dégarnissant les ateliers, avait ruiné les entrepreneurs ; ils attendaient du Gouvernement un secours provisoire que le Citoyen Béthune-Chârost, sollicitait vivement pour eux, et qu'une fabrication abondante les eût bientôt mis en état de remplacer (9).
Il savait qu'un pays ne devient riche que par l'échange de son superflu contre du numéraire, ou contre les objets qui lui manquent, aussi, s'appliqua-t-il particulièrement à favoriser les moyens de communication (10). Les routes et les canaux de navigation excitèrent son zèle, et lui firent faire les plus grands sacrifices (11). Un député de ce département disait dernièrement que l'administration était honteuse d'avoir si peu contribué à la confection des routes, pour lesquelles le Citoyen Béthune-Chârost avait employé des sommes considérables. Enfin, dans le département du Cher, il n'existe pas un établissement public, pas une route praticable auquel il n'ait contribué, ou qu'il n'ait entreprise à ses frais. On peut être étonné que sa fortune suffit à répandre tant de bienfaits ; mais il faut observer qu'il en consuma une grande partie à cet usage, que d'ailleurs, c'était sa seule dépense.
On a répété plus d'une fois que les hommes ne manquent jamais aux circonstances ; ne serait-il pas plus vrai de dire que les circonstances ne manquent jamais aux hommes qui savent les faire naître ? En effet, Béthune-Chârost n'ayant que sa fortune et son bon cœur, trouva le moyen de vivifier un département tout entier ; peut-être que s'il eût été à la tête de l'administration générale, ses vues se seraient agrandies, et le Gouvernement aurait profité des idées d'utilité publique qu'il concentrait dans un canton, et qui étaient pour la plupart susceptibles d'être généralisées.
Paris a été souvent témoin de son humanité ; il fut un des fondateurs de cette Société philanthropique, dont l'existence trop courte promettait de si beaux jours aux indigents. Il a contribué à former l'Institution des aveugles travailleurs, dont cette Société doit s'honorer d'avoir jeté les fondements. Il était aussi l'un des fondateurs de l'Association de bienfaisance judiciaire qui fut l'aurore des bureaux de conciliation, et qui aidait, de ses conseils et de sa bourse, le faible à soutenir de justes droits contre l'oppresseur opulent.
Lorsque la barbarie semblait déchaînée contre les monuments les plus précieux des beaux-arts, tandis que quelques hommes, qui connaissaient l'influence des arts sur la gloire et la civilisation des peuples, se réunissaient pour conserver ce feu sacré prêt à disparaître au milieu des ténèbres entassés par la stupide ignorance, Béthune-Chârost fut un des premiers à se joindre à cette utile association, et après la mort de de Wailli (Charles de Wailly 1730-1798 architecte), fondateur de cette Société (Lycée républicain) des amis et des arts, il en devint le plus ferme soutien. Dès qu'un établissement présentait des vues utiles, il devenait un des appuis ; le Lycée républicain a été pour lui l'objet d'une continuelle sollicitude.
A peine le nom et l'exemple de Rumfort eut-il rappelé l'usage des soupes économiques, qu'on devait de nos jours aux efforts charitables des dignes pasteurs de Sainte-Marguerite et de Saint-Roch, et qui déjà avaient été indiquées et pratiquées par Vauban ; à peine cette œuvre de bienfaisance, à la faveur d'une livrée étrangère, eut-elle excité quelque intérêt, qu'on vit Béthune-Chârost faire de puissants efforts pour la fixer enfin parmi nous. Il a été, jusqu'à sa mort, président de cette administration.
Au 18 Brumaire an VIII (Le coup d'État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), souvent abrégé en coup d’État du 18 Brumaire, organisé par Emmanuel-Joseph Sieyès et exécuté par Napoléon Bonaparte, avec l'aide décisive de son frère Lucien, marque la fin du Directoire et de la Révolution française, et le début du Consulat. Si les événements déterminants se produisent le 19 brumaire au château de Saint-Cloud, où le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens sont réunis, c'est le 18 que la conjuration met en place les éléments nécessaires au complot.), il fut nommé maire de la municipalité du dixième arrondissement de Paris ; sans doute, dit modestement un de ses collègues, il pouvait occuper une place plus éminente ; mais, toujours ami du peuple, la place qui convenait le mieux à son caractère était celle qui l'en rapprochait davantage.
Il fut aussi un des administrateurs de cette maison d'éducation où deux hommes, également célèbres, ont, par un art dont le développement et l'application exigeaient autant de dévouement que de lumières, suppléé à l'écart de la nature, étendu et utilisé l'existence d'êtres malheureux, privés en naissant, des moyens les plus nécessaires de communication avec leurs semblables.
Souvenir d'administration et de douleur ! c'est dans l'exercice de cette œuvre de charité que Béthune-Chârost devait trouver la fin de sa carrière ; la petite-vérole (variole) exerçait ses ravages sur ces jeunes infortunés, Béthune-Chârost ne l'avait point eue et la craignait, mais il peut être utile, rien ne l'arrête ; il entre dans cette enceinte, il y est atteint par la contagion, et succombe bientôt après l'effet de cette cruelle maladie le 5 Brumaire an IX (27 octobre 1800).
La mort de cet homme de bien fit répandre des pleurs à tous ceux qui l'avaient connu, et causa, dans cette immense cité, une sensation honorable pour celui qui était l'objet de si justes regrets. Le préfet de Paris, les maires, plusieurs membres des sociétés savantes, une foule d'autres citoyens crurent devoir mêler leurs larmes à celles de la famille ; et quatre discours, prononcés dans cette seule cérémonie, attestèrent le respect que l'homme qui en était le sujet avait inspiré.
Mais ce fut surtout cette famille qui ressentit plus vivement cette perte douloureuse ; Béthune-Chârost, qui savait répandre le bonheur loin de lui, savait aussi le fixer dans sa maison ; il avait réuni autour de lui ses parents, avec tous ceux d'une épouse vertueuse, et il en vivait adoré. Cette famille, isolée au milieu du tourbillon des passions et de la corruption, conséquence funeste des principes erronés, conservait ces mœurs patriarcales, qui sont la base la plus sûre de l'union durable ; quoique nombreuse elle vivait dans la plus étroite intelligence ; l'amour et la vénération pour son chef, le désir de lui plaire et de l'imiter faisait sa constante occupation. La perte qu'elle a éprouvée dans cette circonstance sera pour elle un souvenir d'éternels regrets.
Le corps du Citoyen Béthune-Chârost fut transporté à Meillant, où il avait fait son séjour de prédilection ; sa maladie y était à peine connue, lorsque la présence de son cercueil vint enlever tout espoir aux habitants. La douleur était à son comble, les temples se sont remplis de malheureux qui venaient prier pour leur père ; les communes voisines ont voulu se réunir afin de donner des témoignages de vénération pour sa mémoire ; les habitants qui se rencontraient sur les chemins n'osaient s'interroger, des larmes involontaires apprenaient bientôt que Béthune-Chârost n'existait plus.
Le jour où la terre a recueilli les restes de cet homme bienfaisant a été, pour le pays, un jour de deuil public ; le peuple, accompagné de ses magistrats et d'un nombre considérable d'hommes qui avaient été attachés au Citoyen Béthune-Chârost, s'est porté en foule pour lui rendre les derniers devoirs, chacun voulait se charger de l'honorable fardeau de sa dépouille mortelle ; tout ce que l'attachement et la reconnaissance peuvent inspirer de piété et de recueillement a été apporté à cette cérémonie lugubre ; des larmes abondantes arrosaient le sol de sa tombe, il semblait qu'avec Béthune-Chârost tout espoir de bonheur était évanoui. Pendant cette journée les boutiques ont été volontairement fermées, les travaux publics ont été suspendus, la douleur était générale, et tous les cœurs se disputaient le mérite d'en produire les signes les moins équivoques. Une souscription volontaire a été ouverte par le préfet du département du Cher, et bientôt un monument sera élevé à sa mémoire ; mais le monument le plus digne de lui est celui que ses vertus ont gravé dans le cœur de ceux qui l'ont connu ; sa cendre repose à Meillant, puisse son esprit être présent partout, pour inspirer ceux qui, avec de grands moyens, peuvent, comme lui, s'honorer de grands bienfaits.
Notes :
(*) Articles intéressants sur le Lycée Républicain
GUÉNOT Hervé. Musées et lycées parisiens (1780-1830). In: Dix-huitième Siècle, n° 18, 1986. Littératures françaises. pp. 249-267; doi : https://doi.org/10.3046/dhs.1986.1600
https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1986_num_18_1_1600
VIEL Claude. Fourcroy et les Lycées. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 98e année, N. 329, 2011. pp. 13-30; doi : 10.3406/pharm.2011.22273
http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2011_num_98_369_22273
CHAPPEY Jean-Luc, "Utopies en contexte. Questions sur le statut du pédagogue sous le Directoire", La Révolution française [En ligne], 4 | 2013. Editeur : IHMC - Institut d'histoire moderne et contemporaine (UMR 8066)
http://journals.org/lrf/874 ; DOI : 10.4000/lrf.874
(**) Augustin-François SILVESTRE (1762-1851), Baron de Silvestre, Secrétaire perpétuel de la Société d'Agriculture
http://israel.silvestre.fr/augustinfrancois/augustinfrancois.php
https://fr.wikipedia.org/wiki/Augustin-Fran%C3%A7ois_de_Silvestre
(1) Un don volontaire de 100 000 francs précéda le décret relatif à la contribution patriotique ; il était au moins double de la proportion qui, depuis, devint exigible.
(2) En 1792 et 1793 l'émission des assignats, jointe à plusieurs autres circonstances, ayant augmenté considérablement le prix des bois, comme beaucoup d'autres denrées, il eut le soin d'affecter, sur ses coupes, un triage pour la commune de Saint-Amand ; il donnait son bois au prix modique de 40 sols la corde, sous condition expresse que les marchands ne le revendraient pas plus cher que les années précédentes. Il a donné des mémoires sur les moyens de détruire la mendicité, sur ceux d'améliorer, dans les campagnes, le sort des journaliers, sur le projet d'une caisse rurale et de secours ; il proposa la réimpression des bons ouvrages d'Agriculture, afin de les répandre à bas prix dans les campagnes.
(3) On est étonné, en parcourant la multitude de certificats que le C. Béthune-Chârost (son fils) fut obligé d'obtenir des administrations, des sociétés populaires et des comités révolutionnaires avant d'être mis en liberté. Tous ces certificats rendent (dans le style du temps) hommage à sa soumission aux lois, à son civisme et à sa bienfaisance ; quelques-uns attestent qu'il a toujours été le père de l'humanité souffrante ; d'autres qu'il s'est montré l'homme bienfaisant.
(4) Pour connaître l'emploi qu'il devait faire des diverses terres de sa propriété, soit comme engrais, soit pour la fabrication des poteries, il en fit faire l'analyse et l en trouva de très bonnes pour cet usage. Un de ses projets favoris était de parvenir à reconnaître la nature et la composition des terres par une analyse à la portée de tous les cultivateurs, et de déterminer, d'après la connaissance et l'inspection des végétaux qui croissent spontanément, qu'elles étaient les espèces de plantes économiques qu'on pouvait cultiver avec le plus d'avantage. Il s'est servi, pour rechercher les terres propres aux poteries, d'une sonde d'environ 50 pieds, dont le pays n'avait aucune connaissance, et dont il a fait présent la Société d'Agriculture de Meillant.
(5) Aucun objet n'était étranger son zèle ; ses forges, dont il perfectionna la manutention, devinrent, par ses soins multipliées, un modèle pour toutes celles de la République ; il fit des plantations sur les grandes routes ; il étendit, dans le département du Cher, la culture de la vigne et celle du chanvre, il y introduisit celle du lin, du colza, de la rhubarbe, de la gaude, de la garance et du tabac ; il s'occupa aussi avec succès de l'éducation des abeilles, de celle des porc et de celle des oiseaux de basse-cour, soit relativement au choix des races, soit celui de leur nourriture. La multitude des chèvres, ce fléau du cultivateur, désolait le département du Cher, comme il désole surtout les pays à grande culture ; avant de prononcer la destruction de ces animaux, qui sont souvent le patrimoine du pauvre, il rechercha avec soin s'il existait quelque moyen de s'opposer au dégât qu'elles causent en profitant de tout ce qu'elles peuvent présenter d'utile.
(6) La race chétive des chevaux du Berry réclamait aussi ses soins ; il fit venir de beaux étalons et des juments de choix ; il prêtait les premiers, il en a placé dans plusieurs communes, et en a même donné à ceux des cultivateurs qui s'occupaient particulièrement de cette branche importante ; il a cherché à détruire l'usage où l'on était de faire accoupler ces animaux dès l'âge de deux ans, pratique trop usitée dans les campagnes, et qui est la plus propre à abâtardir promptement la race.
(7) Les loups, multipliés dans ce département, y faisaient de grands dégâts ; la récompense promise par l'administration, à ceux qui en délivreraient le pays, n'était pas payée, Béthune-Chârost, aux sollicitations qu'il adressa à cet égard au Gouvernement, joignit une addition de récompense, qui détermina à faire de nouveaux efforts pour détruire ces animaux redoutables.
(8) Suivant Pline le Berry fournissait des toiles à voiles à toute la Gaule ; Bituriges imo vero Gallioe universavela texunt (Plin. L. IX. c. I).
(9) Cette manufacture seule, fabriquant chaque année 30 000 à 40 000 aunes de toiles à voiles, les propriétaires s'engageaient à rendre, en matières fabriquées, et dans l'espace d'un an, l'avance qu'il auraient reçue.
(10) Les chemins sur lesquels il n'a cessé de fixer l'attention du Gouvernement, sont deux routes dont l'une traverse le département du Cher, de l'orient à l'occident, depuis Moulins, où tris grandes routes aboutissent, formant une communication de Lyon à Bourges, à la Rochelle et à Tours, points sur lesquels les routes sont finies. Il reste encore, de cette route tracée, environ dix lieues à faire. L'autre est celle de Clermont, département du Puy-de-Dôme, à Paris ; elle traverse le département du Cher du nord au midi, elle est plus courte de douze lieues que celle fréquentée aujourd'hui, avantage important pour le commerce ; il n'en reste plus que trois lieues à faire. Puisse la mémoire du Citoyen Chârost, fixant l'attention du Gouvernement sur cet objet, hâter le moment qui doit faire la prospérité du département du Cher. Déjà les communications, ouvertes dans ce pays par les soins de ce citoyen, ont augmenté sensiblement sa population depuis quinze ans (1785-1800), et doublé celle de la ville de Saint-Amand ; celle de la sous-préfecture dont cette ville est le chef-lieu, et augmenté même depuis la guerre, malgré le départ des guerriers. Le prix des denrées a haussé dans une proportion étonnante ; il existe un marché conclu en 1766, par lequel mademoiselle de Charolais a vendu, à des marchands de Saint-Amand, 60 000 cordes de bois, à 12 sols la corde ; ce même bois se vend aujourd'hui 6 à 7 francs, à quelques lieues de Saint-Amand ; tandis que les bois de la forêt de Tronçay, qui ne sont pas exploités pour la marine, sont donnés pour 20 sols la corde, et le propriétaire ne peut pas toujours s'en défaire à cause de la difficulté des communications.
(11) Un canal important avait été projeté du bec d'Allier à la rivière du Cher, il devait, en traversant le département, rendre la navigation, jusqu'à Nantes, possible pendant neuf mois, tandis que la Loire seule n'est navigable que six mois au plus. Ce canal aurait été une source de prospérité pour le département du Cher, aussi sa construction devint-elle l'objet de l'attention soutenue du Citoyen Chârost. En 1785, il fit lever les plans à ses frais, et ce canal, l'objet de ses sacrifices et de ses démarches constantes, est le vœu le plus ardent des habitants du département du Cher ; il rendra ce département entrepôt nécessaire au commerce intérieur ; tandis qu'aujourd'hui le défaut de communication jette de la défaveur sur toutes les spéculations de commerce. Le Citoyen Béthune-Chârost assurait des fonds supplémentaires très considérables, lorsque la construction de ce canal de navigation serait commencée. ll a donné, sur toute la navigation intérieure du département du Cher, un vaste projet dans lequel les points correspondants avec des moyens généraux de communication se trouvent indiqués. La nature y offre une abondance d'eau bien favorable à ces entreprises.
1795
Béthune-Chârost précurseur de l'enseignement agricole
CHARMASSON Thérèse (*). Agriculture, économie rurale et histoire naturelle dans l'enseignement : projets et réalisations de la période révolutionnaire. In: Revue du Nord, tome 78, n° 317, Octobre-décembre 1996. Les débuts de l'Ecole républicaine (1792-1802) pp. 753-769.
doi : https://doi.org/10.3406/rnord.1996.5154
https://www/perse.fr/doc/rnord_0035-2654_1996_num_78_317_5154
Extrait :
p. 767-769
Seul le plan que le citoyen Béthune-Chârost propose à la Convention en l'an III (1795) envisage l'ensemble des besoins de formation pour l'agriculture et propose un ensemble d'établissements répondant à ces différents besoins. Le citoyen Béthune-Chârost est en réalité Armand-Joseph de Béthune, duc de Chârost, agronome et philanthrope, disciple des physiocrates, qui, retiré à Meillant dans le Cher, y a organisé un domaine modèle (60).
Pour Béthune-Chârost, "l'instruction rurale de la République, pour être digne d'une grande nation, doit atteindre toutes les parties du territoire, embrasser tous les objets de l'économie rurale. C'est au gouvernement à donner l'impulsion primitive. C'est aux propriétaires aisés à la propager et à la suivre. C'est aux cultivateurs à la suivre et à en profiter (61)".
Il préconise donc "trois degrés d'instruction ; trois classes d'établissements ; trois dénominations propres à les distinguer". Le premier niveau est constitué, dans chaque canton, par des champs d'expériences, en aussi grand nombre que possible, afin qu'ils soient aussi proches que possible des cultivateurs. Au second niveau, dans chaque chef-lieu de district, seront établies des fermes expérimentales ou écoles rurales, comportant à la fois "des champs d'expériences pour faire des essais en petit, et des exploitations rurales pour en perfectionner tous les détails et présenter aux cultivateurs des leçons pratiques". Enfin, le troisième niveau est constitué par huit "institutions rurales", regroupant des champs d'expériences, des jardins "légumiers, fruitiers et botaniques", une pépinière d'arbres exotiques, un muséum rural constitué d'herbiers, de dessins de plantes, d'arbres et d'animaux et de modèles d'instruments, et une bibliothèque. A ces institutions rurales, dont le modèle est sans doute, là encore, le Muséum d'histoire naturelle, sont en outre attachés quatre professeurs : un professeur d'histoire naturelle, un professeur de chimie, un professeur de physique et un professeur de mécanique. A côté de ces huit institutions rurale, installées sur différents points du territoire afin de tenir compte des différents types de sols, Béthune-Chârost propose la création de trois institutions spécialisées dans la culture de la vigne et de trois autres consacrées à l'élevage des moutons.
A ce réseau d'établissements qui mêlent expérimentation, démonstration et enseignement, viennent s'ajouter des conférences agricoles et des sociétés d'économie rurales chargées de diffuser largement les procédés nouveaux.
La plupart de ces idées seront reprises, développées et parfois mises en œuvre au cours du XIXe siècle, mais il semble que ce plan n'ait reçu que peu d'écho lors de sa présentation.
En dépit de ce foisonnement de plans, de projets, de débats et de tentatives, l'œuvre de la Révolution en matière d'enseignement des sciences de la nature apparaît on l'a dit assez modeste. Le Muséum d'histoire naturelle, au sein duquel est créé, en 1793, une chaire de culture, ne fait, pour le reste, que se substituer au Jardin du roi, tandis que les écoles vétérinaires, malgré plusieurs tentatives de réforme, continuent de fonctionner sur le modèle hérité de l'Ancien Régime. De la même manière, la première classe de l'Institut reprend les structures de l'Académie ses sciences, sans en avoir le rayonnement culturel.
Il semble que, pour beaucoup de révolutionnaires, et comme le soulignait déjà Talleyrand, l'agriculture, conçue comme un ensemble de pratiques, ne puisse, pas plus d'ailleurs que les autres arts, s'enseigner à l'école, et que ses projets passent par une appropriation lente des découvertes de la science, dont la diffusion est laissée aux soins de grands propriétaires terriens et des sociétés d'agriculture.
Fourcroy expose parfaitement cette conception dans le préambule de la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) :
" L'agriculture, que la tradition seule communique, que l'exemple, les expériences et les méthodes, étendues peu à peu dans les campagnes, perfectionnent avec lenteur, mais avec certitude, n'a pas paru de nature à être enseignée dans des écoles spéciales, parce qu'elles seraient fréquentées par ceux qui ne cultivent pas, et parce que ceux qui travaillent aux champs ne les suivraient point ou les suivraient sans les entendre ; c'est aux propriétaires à professer ce grand art dans leurs possessions, et aux sociétés d'agriculture à répandre les bonnes pratiques dans leurs départements respectifs. D'ailleurs les principes des sciences naturelles qui sont applicables à toutes les branches de l'économie rurale, seront donnés dans un assez grand nombre d'établissements, pour que ceux qui ont à cœur les progrès de cet art nourricier en puisent les moyens dans les lycées et les écoles spéciales (62)".
Ce n'est qu'à partir de 1820 qu'on voit se manifester un nouvel intérêt pour l'enseignement de l'agriculture, qui se concrétisera, à la fin de la Restauration, par la création d'établissements privés. Il revient à la Monarchie de Juillet d'avoir proposé un plan général d'organisation de l'enseignement agricole, qui sera repris et mis en œuvre par la Deuxième République, dans le décret du 3 octobre 1848, qui organise pour la première fois un enseignement spécifique de l'agriculture.
(*) Thérèse CHARMASSON, Conservateur en chef du patrimoine, CRHST, CSI, Paris.
(61) A-J. BETHUNE-CHAROST, Vues générales sur l'organisation de l'instruction rurale en France présentés aux comités d'instruction publique de la Convention nationale et à la commission d'agriculture et des arts, Paris, de l'imprimerie de la feuille du cultivateur, an III (1795), Bibl. centrale du Mus. d'his. nat.
(62). "Loi sur l'organisation de l'instruction publique, du 11 floréal an X de la République française, une et indivisible", Bulletin des lois, n° 186, Paris, de l'imprimerie du dépôt des lois, s. D., 19 p., p. 15.
HARTMANN Claude, Henry-Louis Duhamel du Monceau : un savant au siècle des Lumières, sa place dans la bibliothèque de quelques personnalités marquantes de l'époque
Commémoration du troisième centenaire de la naissance d’Henry-Louis Duhamel du Monceau
Mémoires de l’académie d’Orléans, Agriculture Sciences, Belles-Lettres et Arts, VIème série, Tome 10, 2000, p. 223-242
Extrait p. 227
Les gentilshommes cultivateurs
Autre personnage considérable, Armand Joseph de Béthune, duc de Charost est l'un des "nobles les plus sagement progressistes du Siècle de lumières". Il se distingue par de nombreux actes de charité et de philanthropie. Dans ses vastes domaines, il introduit la culture du tabac, de la garance, de la rhubarbe, du colza, étend celle de la vigne et du lin, vivifiant ainsi - aux dires de Louis XV - trois provinces du royaume. il a été inhumé dans la chapelle de son très beau château de Meillant [Cher]. Sur la dalle, on peut lire cette épitaphe : "Dernier de son nom, soldat ou citoyen, il fit tenir son nom, admirer son courage. Magistrat, grand seigneur, en tous lieux, à tout âge, il ne fit que du bien".