DOMAINE AGRICOLE DE CÉRÉ-LA-RONDE (Indre-et-Loire)

Publié le par histoire-agriculture-touraine

1855

Voyage agricole en France en 1855 par le comte Conrad de Gourcy, Paris 1859, 303 pages, Cote A242
p. 49-56
Ferme de la Ronde, régie par M. Mirel.
Je me suis rendu le 21 juillet (1855) à la grande ferme de la Ronde, habitation de M. Mirel, régisseur de la terre de ce nom, qui a environ 1 100 hectares d'étendue. Cette grande propriété a été achetée depuis huit ou neuf ans (1846-1847) de bien des propriétaires divers, et a coûté, en moyenne, à peu près 300 fr. l'hectare ; il ne s'y trouvait qu'une très petite étendue de bois ; elle en contient maintenant plus de 500 hectares plantés en grande partie par M. Malingié, qui s'était associé pour la former à M. Faure, le même qui est propriétaire des Hubeaudières. Ce dernier vient d'acheter récemment deux petites fermes contenant 104 ha pour 39 500 fr., et une autre de 78 ha pour 24 560 fr. ; les deux propriétés réunies portent pour environ 8 000 fr. de bois bon à couper; 15 ha de taillis, 8 ha de prés et un peu de vignes : c'est à peu près 350 fr. l'ha en ne donnant point de valeur aux bâtiments et aux bois bons à prendre.
M. Mirel a encore plus de 100 a de bruyères à défricher, ce qui se fait de la manière suivante :
On attelle aux charrues Dombasle renforcées et sans roues, 4 bon chevaux ou 6 bœufs de pays ; les premiers retournent un hectare de bruyères en trois journées d'hiver, et les bœufs y mettent quatre jours ; le labour à 22 cm de profondeur, ce qui fait qu'on n'a pas besoin de faire arracher préalablement les grosses racines de la grande bruyère blanche.
On estime ce travail à 60 fr/ha.
Lorsque les morceaux de bruyères sont petits ou de forme irrégulière, ou enfin lorsqu'elles sont remplies de creux, on les fait pioche par des tâcherons, qui reçoivent 92 fr/ha et on le droit d'emporter les souches de grosse bruyère, dont ils se chauffent ou font du charbon.
Une herse de fer attelée de deux chevaux peut, en un jour, réduire les mottes du piochage suffisamment pour l'ensemencement ; il faut enterrer la semence : on compte 20 fr. pour les deux journées de herse.
On sème 3 litres de colza qui, à raison de 30 fr./hl, font une dépense de 1 fr., et autant pour le semeur qui prend la graine avec deux doigts, mais passe en long et en large.
La moisson et le battage coûtent 15 francs.
Si le colza se trouve trop épais, on l'éclaircit lorsqu'il peut se repiquer.
La valeur du replant équivaut à la dépense de l'arrachage, lors même qu'il ne servirait que de nourriture aux vaches.
On ne sarcle pas, car il ne vient point de mauvaises herbes dans un défrichement.
On sème 5 hl de noir animal, résidus de raffinerie de sucres et non pas de sucrerie ; à 13 fr/hl à la ferme, cela fait 65 fr. ; on compte 2 fr. de semailles.
M. Mirel suit l'usage qu'avait M. Malingié, de faire piocher très menu une tranche de labour, sur 6 ou 7, à 30 cm de profondeur, qu'on jette à la pelle par-dessus la semence ; ces rigoles, à distance d'environ 2 mètres, sont nécessaires pour faire égoutter l'humidité, qui détruirait une bonne partie de la récolte.
Si on commençait par drainer les bruyères avant de les labourer, comme cela se fait en Angleterre, on épargnerait la façon de ces rigoles, qui coûtent de 45 à 50 fr., suivant la force de la terre, et le défrichement se ferait bien plus facilement, enfin la récolte serait bien plus belle.
Voilà une dépense de 214 fr., mettons 220 fr., : le produit sera en moyenne de 20 hl, à 25 fr. ou 500 fr., le terrain acheté 200 fr., dépense 220 fr., forme une somme de 42 fr., este 60 fr. de bénéfice et la terre pour rien.
Le froment vient à merveille la seconde année avec 5 hl de noir ; lorsqu'on possède une herse de Norvège, on fait bien de ne pas labourer pour cette deuxième récolte, afin de laisser au gazon de la bruyère le temps de se pourrir complètement.
Le deuxième labour est bien plus facile après la seconde récolte, et la terre s'émiette alors parfaitement : le rouleau Crosskill est aussi un instrument inappréciable dans toute culture, mais surtout pour les défrichements.
On récolte de 20 à 25 hl de froment ; il y a cette année 70 ha de froment dans cette culture, dont 50 environ sont de toute beauté ; ces froments se composent blanc d'Amérique et de rouge de Kent. Les épis du premier sont surtout d'une beauté remarquable.
On revient au colza la troisième année, et il produit ordinairement plus que la première.
La quatrième année comme la précédente doivent chacune recevoir 5 hl de noir ; on peut alors y semer du froment, des vesces ou de l'avoine d'hiver, suivant le besoin, ou même des pommes de terre et des rutabagas.
J'ai conseillé à M. Mirel de se procurer le gros rouleau Croskill avec scarificateur Ducy, qu'on transforme en herse de Norvège : ce sont des instruments chers, d'environ 11 à 1200 fr.; mais il ne faut pas longtemps pour qu'ils soient payés, par les services éminents qu'il rendent, et ils durent toujours, ne contenant que du fer et de la fonte.
M. Mirel m'a fait voir un champ de 32 ha, qui a rapporté cette année sa sixième récolte, sans avoir reçu d'autre engrais que du noir ; le colza qu'il a produit est battu mais pas nettoyé entièrement ; il compte sur 1 000 hl, et, s'il ne se trompe pas, en le vendant 32 fr l'hectolitre, prix de cette année, cela fera un produit but de 1 000 fr/ha ; et je me rappelle avoir vu une partie de ce champ en fort beau colza, dans les années 1849 et aussi 1850, lorsque M. Malingié me fit visiter cette exploitation deux années de suite.
Je ne pensais pas que l'emploi du noir animal pût faire un si bon effet pendant six années de suite ; cela donne, dans une ferme où se trouvent à côté des défrichements d'anciennes terres usées, le moyen d'améliorer les dernières par un redoublement de fumure.
M. Mirel a 19 ha en superbes avoines d'hiver et 40 en avoines de printemps ; 17 en sarrasin, 12 en hivernage et récoltes sarclées, dont 2 en œillette et un en topinambours, qu'il destine à être tous plantés, voulant étendre cette culture le plus possible.
Il a aussi 2 ha de lin, qui est d'une grande longueur et d'une grande finesse ; il n'a reçu comme engrais que 120 kg de guano et 1,5 hl de noir.
Les trèfles qui sont for beaux mais dont j'ai oublié l'étendue, sont venus en cinquième récolte sur des bruyères défrichées qui n'ont encore reçu que du noir. Les récoltes sarclées reçoivent des fumiers provenant d'une bonne douzaine de bon chevaux très forts, d'une vingtaine de bœufs, et d'autant de vaches, venues de Vendée, qui ont nourri chacune deux veaux qui auraient pu être vendus, à 15 mois en moyenne, 130 fr. Mais ici on élève tout ce qui est bien fait, à cause du très haut prix du bétail. On augmentera même le nombre de vaches jusqu'à 80 têtes.
Le troupeau se compose de 400 bêtes provenant de béliers Charmoise et brebis Solognotes.
Les bâtiments de la principale ferme qu'habite M. Mirel sont construits en pierres de taille tendres ; ils sont fort beaux ; on va les augmenter de beaucoup et principalement d'une maison pour le régisseur et sa famille, qui maintenant est logée petitement.
Le propriétaire [M. Faure de Lille] doit se faire arranger un pied à terre, quoiqu'il ait une habitation à l'autre bout de la terre et une autre aux Hubeaudières.
M. Mirel a fait, depuis qu'il est là, une quarantaine d'hectares de prés dans les vallons sur les bruyères défrichées depuis 3 ou 4 ans ; elles ont reçu 15 à 20 hl /ha de noir depuis qu'on les cultive ; il sème ses prés, dans une céréale de printemps, avec des poussiers de greniers à foins pris sur les bords du Cher, où il y a de bons prés, et il y ajoute des graines de trèfle rouge et blanc, de la lupuline, etc. Il ferait bien d'y semer aussi du trèfle hybride, qui aime les terres humides, ne craint point trop les pauvres terres et dure plusieurs années ; le thimoty ou la fléole des prés y feraient aussi merveille.
M. Mirel, après avoir enlevé la céréale, y met avant l'hiver de 8 à 10 mètres cubes de balles de céréales qu'il fait étendre par hectare ; ces prés lui donnent de 4 à 5 000 kg de foin qui est, à la vérité, un peu mou.
M. Mirel fait étendre sur ses anciens prés des composts formés avec des terres, des vases, des fumiers et de la chaux ; il projette de continuer de former ainsi une grande étendue de prés.
Il a déjà planté 8 ha de vignes, et compte en planter d'autres.
Il veut aussi planter une centaine d'hectares d'anciennes terres usées en bois taillis, ne réservant que les bruyères défrichées pour ses cultures qui feront 500 ha de terre labourables ou prés lorsque les 100 ha de bruyères récemment acquises auront été défrichées.
Les taillis plantés en chênes, en châtaigniers et en bouleaux par M. Malingié père sont superbes, mais une assez grande étendue de terres labourées en planches très bombées, sur lesquelles il a planté des acacias, ne fait pas bonne figure ; on va les receper.
M. Mirel a fait former sur plusieurs hectares de ces plantations d'acacias, au moyen de deux labours, une planche bombée entre deux lignes d'acacias, et il a obtenu là avec du noir animal des froments d'une beauté très remarquable ; ce froment blanc, à très gros et longs épis, provenait de chez M. Reiset, qui cultive, je crois, en Normandie ; au bout de quelques années de la culture de ces entre-deux des plantations d'acacias, il y plantera des rangées de glands et de châtaigniers, et y sèmera aussi un peu de graine de pins, afin de bien garnir tout ce terrain et en faire un taillis, car tel qu'il est, il dépare la propriété.
 

1865

Voyages agricoles dans le Nord et le Centre de la France en 1865. par Le comte Conrad de Gourcy, Paris, Ed. Bouchard-Huzard,1867. 268 pages, Cote A250


p. 172-182
Je suis allé, de Chissay, passer deux jours chez M. Faure, qui habite une jolie maison nommé le Mesnes [Mareuil-sur-Cher, Loir-et-Cher], posée sur un joli coin de terre, près d'un ruisseau, à 140 m au-dessus du niveau de la mer : M. Faure était fabricant de céruse à Lille ; M. son fils le remplace maintenant. M. Faure a commencé, il y a 18 ans [1847], à former dans ces environs une terre qui maintenant dépasse 2 000 ha, dont la plus grande partie est de bonne nature.
On payait alors une couple de 100 fr de terres éloignées de quelques km de la vallée du Cher ; les bruyères ne valaient que de 50 à 100 fr/ha ; maintenant ce que M. Faure achète, touchant sa terre, du côté éloigné du Cher, se paie 7 à 800 fr ; il a payé, il y a deux ans [1853] 140 000 fr une ferme de 100 ha, [ferme du Bas-Guéret à Mareuil-sur-Cher] située sur les coteaux qui bordent la vallée du Cher ; les terres n'en sont pas bonnes ; mais il y s'y trouve 22 ha de vignes nouvellement plantées pour la plupart ; le reste est en bois, et quelques ha sont en prés. M. Faure y a mis, comme régisseur, un cultivateur des environs de Lille, M. Daveluy ; il lui avait loué, il y 18 ou 20 ans [1846], la terre des Hubeaudières, où M. Daveluy avait établi une ferme-école, que M. Nanquette, ancien régisseur de la ferme impériale de Vincennes, vient de reprendre [1864]. Il en est devenu fermier pour 18 ans, à raison de 7 000 fr ; elle se compose de 200 ha de terres bien cultivées et fumées depuis longtemps, et 80 ha de terres calcaires sans fonds, pleines de roches ; ces dernières ne sont jamais fumées ; on le laboure tous les trois ans pour y semer de l'orge d'hiver avec du sainfoin et du trèfle blanc, qu'on fauche une fois si cela en vaut la peine ; le reste sert de pâture au beau troupeau Charmoise, que M. Daveluy y avait formé ; M. Nanquette a acheté une partie des brebis à raison de 46 fr la pièce.
M. Daveluy a avec lui son fils, jeune homme d'une vingtaine d'années, qui se destine à la carrière agricole ; le père et le fils ne sont arrivés au Bas-Guéret, nom de cette ferme, qu'au mois d'avril dernier [avril 1865]. M. Daveluy a trouvé les terres dans le plus mauvais état ; il a pu cependant nous faire voir deux très beaux ha de betteraves globes jaunes, fort bien sarclées ; elle ont été semées sur billon contenant une bonne fumure, avec 200 kg de guano par ha ; pour pouvoir les dune immense quantité de mauvaises herbes, il a dû les cultiver souvent à la houe à cheval, deux fois les sarcler à la main, et les butter deux fois à la houe à cheval ; ses choux vache seraient bien venus, si l'extrême sécheresse n'en avait détruit beaucoup. M. Daveluy a fait une bonne récolte de haricots ; mais ce qui lui a rendu le plus grand service pour faire vivre son bétail, ce sont des semis successifs de maïs fourrage qui dureront encore pendant un mois ; il a un bon champ de pommes de terre chardon.
M. Faure fait venir chaque année, un élagueur des environs d'Hazebrouck, ville du Nord, où l'élagage des arbres forestiers est très bien entendu ; je l'ai engagé à f1849aire enduire les blessures des arbres avec du goudron de gaz, qui empêche la pourriture d'attaquer le corps des arbres ; cet homme reçoit, ses voyages payés, et nourri, 2,25 fr/jour. Cette immense terre que M. Faure a créée, est administrée depuis 16 ans [1849] par M. Mirel, qui en a acheté les deux tiers au moins, pour le compte de M. Faure ; il habite la ferme de Cosson, une des plus centrales ; j'ai vu là un cham de choux de Poitou, de toute beauté, et qui fournira pendant longtemps le bétail de la ferme d'une excellente nourriture, une fois que la maïs fourrage sera consommé ; ces choux ont eu une fumure de 25 000 kg, avec 200 kg de guano/ha. Il existe sur cette propriété une très grande étendue de bois, dont M. Mirel a semé ou planté au moins moitié ; il m'a dit que l'essence la plus productive était l'acacia ou robinier ; comme les sous-sol est imperméable sur ce plateau, on a planté les acacias sur une ligne, à deux mètres les uns des autres au milieu de planches très bombées et larges de 9 pieds ; on les coupe tous les six ans, ce qui produit des touffes de taillis donnant des brins dont on fait des échalas ; les habitants des environs de Volle-en-Troie, commune située non loin de la ville de Selles-sur-Cher, viennent les acheter fort cher, par parcelles ; le produit annuel d'un hectare de ce genre de plantation va jusqu'à 50 ou 60 fr, quoique cette terre argilo-sablonneuse soit loin de convenir à l'acacia, aussi bien qu'un sable calcaire et sain.
Sur les terres plantes en taillis et châtaignier, on coupe tous le 8 ans et le produit de la coupe servira à faire du cercle ; le produit est inférieur à celui des terres plantées en acacias.
M. Mirel sème ses plus mauvaises terres en pins maritimes, qu'il coupe avec plus d'avantage à 8 ans, que plus tard ; il les défriche ensuite et prend deux récoltes de seigle, en semant 40 kg de graines de pins, en même temps que le second seigle ; il achète cette graine au Mans et il la paye de 30 à 50 fr, les 100 kg.
Il y a sur la terre qui est partagée en métairies, cinq familles flamandes, dont deux récemment arrivées ; les trois premières arrivées, cultivent fort bien ; j'ai vu chez eux des choux branchus, des vesces d'hiver, des trèfles de Hollande, de l'incarnat hâtif, et du tardif, du ray-grass d'Italie, du maïs fourrage, du sarrazin, des betteraves, des pommes de terre. M. Mirel qui demeure à la ferme de Cosson et la cultive, m'a fait voir un beau champ de maïs fourrage, qui le conduira jusqu'au 15 octobre, des choux branchus de toute beauté, qui ont reçu à l'hectare, 25 000 kg de fumier et 200 kg de guano.
Ce que je reproche à la culture de cette immense terre, et ce qu'on peut reprocher à presque toutes les cultures de France, c'est la trop petite quantité de fumier accordée aux terres ; pour l'employer, il faut d'abord en faire et beaucoup ; pour y parvenir, il faut acheter du guano ou d'autres engrais dont le petit poids, permet de les faire venir de loin ; tels le nitrate de soude, beaucoup employé dans la Grande-Bretagne, et que nous ne connaissons pas comme engrais en France ; les os pulvérisés, les chiffons de laine, dont 2 ou 3 000 kg/ha produisent plusieurs fortes récoltes, et dont l'effet fertilisant se voit encore 8 ans après leur application ; les tourteaux de mauvais goût ; la chair desséchée et pulvérisée, les déchets de filature de laine, etc.
On n'emploie pas non plus assez de chaux sur cette terre ; il faudrait acheter une carrière de pierre calcaire sur les bords du Cher, y construire un grand four à chaux, et le chauffer avec du charbon de terre ou de l'anthracite, venu de Montluçon ; cette chaux coûterait prise au four, au plus 60 centimes/hl, et son port par bateau jusqu'aux routes qui conduisent sur le plateau, occupé par les 2 000 ha formant la terre de la Ronde, ne l'augmenterait assurément pas de plus de 25 centimes ; mettons l'hectolitre de chaux à 1 fr, répandu sur la terre ; 100 hl de chaux par hectare, et 100 fr en guano, en sus des fumures pour froment, produisent des récoltes de 25 à 30 hl, au lieu de récoltes de 15 à 20 hl seulement ; 10 hl de froment de plus, payeraient, en y comprenant l'augmentation de valeur de la paille, le guano, dont la durée est de deux ans ; quant au chaulage, son effet s'étend au moins sur 10 ans. Si l'on mettait sur chaque hectare semé en avoine, pour 50 fr de guano, on en récolterait 20 hl de plu, qui à 6 fr/hl vaudrait 120 fr.
200 kg de guano, formant une dépense de 70 fr, mis sur chaque hectare semé en trèfle, ou en vesces, produiraient au moins 40 000 kg de fourrage de plus, à 50 fr les 1 000 kg, cela donnerait presque trois fois la dépense faite pour l'engrais ; en ajoutant à une fumure ordinaire de 50 000 kg pour betteraves, 300 kg de guano, la récolte serait de 60 000 kg, au lieu de 30 000, 10 fr seulement, le prix des 1 000 kg, la valeur gagnée serait de 200 fr, en sus de la dépense en engrais. Si on m'objectait l'exagération du produit des récoltes, je dirais qu'en réduisant ces prétendues exagérations, l'augmentation des récoltes due à l'augmentation de l'engrais, le bénéfice dépassera toujours de beaucoup la dépense faite pour l'engrais.
Si j'étais le propriétaire de la terre de la Ronde, au lieu d'appliquer mes économies à l'agrandissement de cette propriété, je construirais de modestes métairies, auxquelles j'attacherais 30 ha, au lieu de 60 ou 80, j'imiterais M. le marquis de Pierre, près de Lezoux, dans le Puy-de-Dôme, qui a dépensé 5 000 f pour chacune des 15 métairies, construites en pisé ; je fournirais le cheptel utile aux métayers, et comme M. Liazard près Grand-Jouan [Loire-Inférieure], l'a fait avec un succès si remarquable, j'attacherais à chaque métairie, un cheptel d'engrais de 1 000 écus ; c'est-à-dire j'achèterais chaque année pour cette somme d'engrais, pour chaque métairie ; avant de partager les récoltes avec le métayer, je prélèverais une valeur de 3 000 fr ; je pourrai ainsi continuer chaque année à acheter de nouveaux engrais, et chaque année, j'aurais d'excellentes récoltes à partager avec mes métayers ; je les prendrais pauvres, pourvu qu'ils fussent honnêtes, actifs, pas ivrognes, et ayant de nombreux enfants travaillant ; je les prendrais pauvres afin qu'il fussent soumis, dans les commencements ; car une fois qu'ils auraient fait une ou deux belles récoltes, dont moitié serait à eux, leu confiance et par suite leur obéissance me serait acquise. Tout propriétaire fixé dans un pays où la culture n'est pas bonne, et qui n'aurait pas comme moi, visité trois fois les métayers de M. Liazard, ferait bien d'essayer sur une de ses métairies partagées en deux, la méthode de M. Liazard ; après 12 années de cet arrangement avec 8 métayers, auxquels sa culture de réserve donnait l'exemple, M. Liazard a vendu pour 470 000 fr à un monsieur du département voisin du sien, 300 ha qu'il avait payés 150 000 fr, et dans lesquels il avait dépensé 50 000 fr en améliorations ; ses métayers, de misérables qu'ils étaient, sont maintenant propriétaires de la moitié de leur cheptel, et ils sont bien meublés et bien outillés.
Après avoir essayé pendant un couple d'années sur un ou deux domaines, du cheptel à engrais, le propriétaire, s'il en est satisfait, et suivant son capital disponible, ferait bien de diminuer le plus tôt possible l'étendue de ses métairies ; car les métayers qui disposent de plus d'une trentaine d'hectares, en négligent assurément la culture, ils n'ont pas suffisamment de fumier, même pour donner des demi-fumures ; ils laissent en friches et mauvaises pâtures une partie de leurs terres qui se garnissent de chardons et de chiendent ; les bestiaux y répandent leurs déjections en pure perte, au lieu d'être bien nourris à l'étable, et d'y faire beaucoup de bon fumier.
M. Mirel a une machine à battre et sa locomobile, avec laquelle il bat les récoltes des métayers ; on partage ensuite, cela empêche les abus de confiance et évite la tentation des détournements.
Il faudrait à M. Mirel un bon taureau Durham, auquel toutes les vaches des métairies devraient être amenées.
Il n'y a que des béliers croisés Charmoise ; il devrait en avoir de purs ; il lui faudrait un ou deux verrats de race anglaise, et deux truies par métairie ; des pommes de terre, de betteraves et des feuilles de choux, les élèveraient et les mauvais grains les engraisseraient. Un bon étalon Percheron, devrait exister dans la ferme qu'il cultive, une ou deux bonnes juments par domaine, entretiendraient au moins les attelages de la terre.
M. Faure m'a conduit dans une autre de ses propriétés voisine de la vallée du Cher ; son étendue est de 86 h, dont 25 sont en vignes ; il l'a payée 140 000 fr, il s'y trouve un peu de prés et de bois. Il y a mis un de ses amis et compatriotes, M. Daveluy, qui a été pendant 25 ans son fermier dans la terre des Hubaudières [à Chédigny] et y avait monté la ferme-école du département d'Indre-et-Loire ; son âge avancé l' engagé à recéder cette ferme, dont l'étendue est de 200 ha de terres fort bien cultivées, et 80 ha de terres calcaires sans fond, remplis de roches ; pour cette portion des plus difficiles à cultiver, ll faut des bœufs patients, qui s'arrêtent lorsque l'araire s'accroche à une roche ; ces terres n'ont jamais reçu de fumier, on y sème de l'orge d'hiver et du sainfoin qui est labouré après trois ans de semailles, pour renouveler ce même et pauvre assolement.
Le fermier actuel des Hubaudières, M. Nanquette, était sous-directeur de la ferme-école de Belle-Eau dont le propriétaire, le baron de Veauce, était le directeur ; il avait quitté Belle-Eau, pour la régie de la ferme impériale de Vincennes, qu'il a quittée pour prendre la ferme-école des Hubaudières [en 1864] ; il l'a louée pour 18 ans, à raison de 6 000 fr pendant 6 ans, avec une augmentation de 1 000 fr après chaque série de 6 années ; en comptant 7 000 fr comme prix moyen le 18 ans, et en négligeant les 80 ha de pauvres sainfoins pour pâtures, le prix de l'hectare revient à 35 fr.
M. Daveluy avait créé un beau troupeau de 200 brebis et leur suite, en donnant à des brebis du Berry, des béliers Charmoise ; ces brebis ont été en partie achetées par M. Nanquette, à raison de 40 fr la pièce.
M. Daveluy n'est dans la ferme du Bas-Guéret que depuis 8 mois, il y a trouvé tout dans le plus mauvais état ; il est parvenu à faire 2 ha de betteraves globes jaunes, des plus grosses et des plus nettes qu'on puisse voir ; il les a semées sur billon contenant une forte fumure et 200 kg/ha de guano ; pour les tenir propres, il les a sarclées plusieurs fois à la main ; il a de beaux maïs fourrage qui entretient son bétail en bon état, des choux branchus bien venus, mais trop clairs, et des pommes de terre chardon, les haricots lui ont donné une récolte très abondante, j'ai admiré chez lui une grande bande de gros canards blancs, de race Aylesbury, il les vend 5 fr la paire ; son fils, tout jeune homme, veut aussi devenir cultivateur.
Nous sommes retournés à pieds au Mesne, nom de la jolie petite maison de M. Faure, qui vient chaque année de Lille y passer 2 mois, pour la chasse ; son élévation au-dessus de la mer est 180 m, ce qui n'empêche pas la culture de la vigne dans ses environs, et même sur les points encore plus élevés ; les terres y sont de bonne qualité, mais pleins de cailloux et petits morceaux de grès ; elle ne produisent que 8 à 10 hl/ha de froment, entre les mains de misérables petits propriétaires, ou métayers, manquant de fumier ; ces terres doubleraient facilement leur produit, si on leur donnait de 100 à 150 kg de guano, cet engrais coûterait 52 fr, 8 ou 10 hl de froment à 15 fr, très bas prix de l'époque vaudraient 120 ou 150 fr. Quel dommage qu'on ne cherche pas à faire voir cela à ces pauvres gens !
M. et Mme Faure m'ont conduit dans une ferme qu'ils viennent d'acheter à l'autre bout de leur propriété. La ferme de Lasnière se compose de 80 ha, dont 6 de prés, et 16 de bons bois, le tout d'un seul morceau, qui entoure la ferme.
Ils viennent d'y installer une famille de fermiers, venus de Hazebrouck ; un des deux frères de M. Vicart, qui sont curés, dans le département du Nord, était venu voir leur nouvelle habitation, à laquelle M. Faure ajoute quelques bâtiments. M. Vicart va être pendant les trois premières années, fermier à moitié, afin de savoir s'il doit prendre la ferme pour 12 ans, aux conditions suivantes : 4 ans à 30 fr, 4 à 35 fr, et 4 à 40 fr ; on lui fournit, pour le temps du métayage, un cheptel convenu. La ferme a coûté 84 000 fr, le paysan qui en était propriétaire, s'y était endetté, et vendait des chênes, pour vivre.
M. Faure est un excellent homme ; il accorde facilement à ses fermiers, leurs demandes, lorsqu'elles sont raisonnables ; il est très bienfaisant ; en voici un exemple : En revenant le soir chez lui, nous vîmes près d'une petite ferme isolée plusieurs jeunes gens qui sont souvent occupés par lui ; il leur souhaita le bonsoir ; un d'eux, fort joli garçon, lui dit qu'il partait dimanche pour Brest, car il avait été désigné pour l'infanterie de marine ; en nous en allant, je dis à M. Faure combien il est fâcheux d'entrer dans cette arme ; le mauvais air de nos colonies enlève la plus grande partie des jeunes gens qu'on y envoie. M. Faure, en se levant le lendemain, fut trouver le fermier dont il connaissait la position embarrassée ; il lui proposa de lui acheter une vingtaine d'hectares lui appartenant, qu'il cultive en même temps que 20 autres hectares dont il est fermier ; le prix que M. Faure proposait de ses terres me parut très raisonnable ; il devait servir à racheter de la conscription le fils du fermier et aussi de rembourser en dette de 6 000 fr, dont le fermier payait 5 %. M. Faure laissait à cet homme les terres qu'on lui cédait, et qui ne joignaient pas sa propriété, à 3 % du capital qu'il lui donnait, mais à condition que le jeune homme qu'on exemptait, entrerait au service d'un parent de M. Faure, fabricant de sucre et cultivateur dans le département du Nord ; c'était afin qu'il pût se perfectionner en agriculture ; la famille accepta avec reconnaissance cette proposition.
M. Mirel m'a dit que la manière d'ensemencer des terres en bois, qui lui réussissait le mieux, était la suivante :
Il emploie à cet ensemencement 1,5 hl de glands, autant de châtaignes, 30 l de semence de pins maritimes, et 500 gr de semence d'acacias ; je l'ai engagé à y mettre de la semence de pins laricios et de pin noir d'Autriche, qui ont plus de valeur que les pins maritimes.
J'ai quitté M. Faure qui a été des plus obligeants, pour retourner à Chissay, d'où l'on allait partir pour les courses à Tours. Je me suis rendu de bonne heure à Pontlevoy. Le cocher de louage de Montrichard qui m'y a conduit, m'a dit qu'il passait deux nuits par semaine, à transporter à la station d'Amboise environ 70 carcasses de moutons, qu'un boucher de Montrichard expédie à Paris.
 

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