Manufacture de draps de laine : Château du Parc à Châteauroux
Châteauroux et le Concours régional de 1882. Revue du Centre., 4e année, n°5 15 mai 1882.
p. 184-184
Extrait (période 1751-1857) :
MANUFACTURE DE DRAPS DE LA FAMILLE BALSAN.
La manufacture de draps de Châteauroux est assurément un des plus beaux établissements de France et l'on pourrait même dire d'Europe. On nous saura gré d'en retracer ici l'histoire et on nous pardonnera les détails dans lesquels nous allons entrer.
Louis XV a fondé cette manufacture dans le but d'employer les laines du Berry. Par arrêt du conseil du 17 août 1751, il permit au sieur Jean Vaille, fabricant de draps de la ville de Lodève, d'établir à Châteauroux, au château du Parc, qui était une dépendance du château Raoul, une manufacture de draps, tant en blanc qu'e couleur, une teinturerie, une savonnerie et tout ce qui peut être nécessaire pour l'apprêt des draps, le tout sous le titre de manufacture royale et privilégiée, et il lui avait accordé, à cet effet, à compter du 1er octobre de la même année, la jouissance de tous les bâtiments du château du Parc et de leurs dépendances, ainsi que différents privilèges, exemptions et encouragements.
Cette manufacture ayant été abandonnée par le sieur Vaille, Louis Delarue, fabricant de draps de la ville d'Elbeuf, lui fut subrogé par arrêt du 9 septembre 1755, sous le cautionnement des sieurs Dupin [Claude Dupin et Louis Dupin de Francueil], Jean Delacour et Leclerc, auxquels il fut accordé de nouvelles grâces.
Jean Delacour, qui avait principalement la direction de ces établissements, étant décédé au mois de juin 1765, le sieur François Leblanc de Marnaval offrit de s'en charger et ses offres furent acceptées. Il lui fut accordé, par arrêt du conseil et lettres patentes des 14 mars et 4 mai 1766, à titre d'arrentement, entre autres objets, le château du Parc et ses dépendances, aux charges, clauses et conditions y énoncées ; et par un autre arrêt du conseil de 5 juillet 1767, il fut subrogé, sous le nom de Nicolas Révelte, aux privilèges desdits Jean Vaille et Louis Delarue, lesquels furent renouvelés pour quinze années à compter de la date dudit arrêt. ll lui fut, en outre, accordé de nouvelles grâces.
M. de Marnaval, n'ayant pu soutenir ladite manufacture à cause du dérangement de ses affaires, fit à ses créanciers l'abandon de ses biens, en sorte que la manufacture aurait été entièrement anéantie, si le gouvernement ne se fût occupé du moyen de la relever.
Le sieur Quatremère-Disjonval, s'tant présenté à cet effet, traita avec les créanciers de M. de Marnaval du prix de la cession de leurs droits ; mais ayant reconnu que le château du Parc t les dépendances affectées à la manufacture provenaient de l'ancien domaine du duché du Berry et se trouvaient dans l'apanage du comte d'Artois il s'adressa au conseil du prince pour s'assurer de son agrément et de la solidité de la jouissance des bâtiments et emplacements nécessaires à l'établissement.
Ce prince, dans la vue de conserver une manufacture de draps faisant la consommation des laines, principal objet du commerce de cette partie de son apanage, ordonna, par arrêt de son conseil du 16 décembre 1781, toutes les dispositions convenables pour assurer au sieur Quatremère-Disjonval la jouissance du château du Parc et de ses dépendances. Muni de ce titre, Disjonval présenta la requête au conseil du roi, et y obtint, le 5 mars 1782, un arrêt qui, en le subrogeant au privilège de la manufacture pour le faire valoir pendant 15 années, lui accorda différentes grâces et des encouragements.
Enfin, cette manufacture ayant été de nouveau abandonnée par Disjonval, et le comte d'Artois en étant en possession, ainsi que de ses dépendances et des constructions, en vertu du droit qu'il s'était réservé, les sieurs François et Jacques Grillon frères, de la ville de Châteauroux, s'étant présentés et ayant offert de la rétablir, le prince, par arrêt du 15 mars 1787, céda et aliéna aux suppliants, sous le cautionnement du sieur Grillon des Chapelles, leur oncle, secrétaire du roi et payeur des rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, pour quinze année, à compter du commencement de la jouissance, les bâtiments, emplacements et dépendances, aux charges, clause et conditions portées audit arrêt. Ils devaient obtenir des bontés du roi Louis XVI le renouvellement du privilège, ainsi que les grâces et encouragements dont ils avaient besoin pour soutenir la manufacture.
En conséquence, vu la requête, les arrêts du conseil et les lettres patentes, ouï le rapport du sieur Laurent de Villedeuil, conseiller ordinaire au conseil royal des finances et du commerce, contrôleur général des finances, le roi, et son conseil, subrogea les sieurs François et Jacques Grillon, frères, aux privilèges des Jean Vaille, Louis Delarue, Nicolas Révelte et Quatremère-Disjonval, et leur concéda de nouveau, pour quinze ans, à compter de la date du présent arrêt, le droit de fabriquer et de faire fabriquer, dans le château du Parc, des draps, ratines et autres étoffes de laine, tant en blanc qu'en toutes sortes de couleurs, d'y avoir une teinturerie, une savonnerie, des machines à fouler, et tout ce qui est nécessaire pour l'apprêt des étoffes, à la charge d'avoir toujours, dans ladite manufacture, au moins 40 métiers battants pour l'entretien desquels ils auront la liberté d'employer tous les ouvriers nécessaires, sans que ceux-ci puissent être troublés par les communautés d'arts et métiers sous prétexte du défaut de maîtrise.
La manufacture a été en pleine activité depuis la fin de 1787 jusqu'en 1793 ; elle s'est soutenue jusqu'en novembre 1799 ; à cette époque elle a cessé. La concession ne devait expirer qu'en 1802.
Les circonstances de la Révolution avaient déterminé la compagnie Grillon à l'acquérir. L'acquisition fut faite en 1796, l'estimation et portée à 130 000 francs. La compagnie Grillon s'attendait à compenser jusqu'à due concurrence les 90 000 francs qu’elle avait payé aux créanciers Disjonval en l'acquit de l'apanagiste, et dont elle devait être remboursée à la fin de la jouissance ; mais, par décision du ministre des finances, elle fut déclarée créancière d'émigrés et liquidée en conformité de lois. Par cette décision et cette liquidation, elle fut obligée de payer le prix de son acquisition er de perdre une grande partie du remboursement sur lequel elle comptait. Cette différence fut une des premières causes de la suspension de ses travaux. Le désastreux traité de commerce avec l'Angleterre lui fit ressentir aussi ses funestes effets. Ses ventes furent suspendues. De 1 700 pièces de draps fabriquées en 1787, 1788 et partie de 1789, elle n'en put vendre que deux cents. Une telle stagnation exigea d'elle des fonds nouveaux. Les réquisitions lui enlevèrent 2 à 3 000 pièces de drap au prix du maximum. Ses sources furent ainsi épuisées. Les intérêts des emprunts s’élevèrent au-dessus de toute proportion avec les bénéfices. Ainsi fut amenée et nécessité la dissolution de la société, et avec elle la cessation de tous les travaux de la manufacture. Le local et les ustensiles restèrent à la famille Grillon.
De la famille Grillon, la manufacture passa, le 7 prairial an XIII (1805), aux mains de M. Teisserenc, puis à celles de son beau-frère, M. Muret de Bort, qui en fit l'acquisition en 1816. Depuis cette époque jusqu'en 1830, ce dernier s'occupa exclusivement de relever cet établissement, qu'il avait pris en mauvais état. Il y introduisit les procédés nouveaux de fabrication et mit son industrie sur le premier rang. Elu député sous le règne de Louis-Philippe, il s'associa MM. Lataille et Duchan.
Un an avant le décès de M. Muret de Bort, arrivé en 1857, la manufacture avait été vendue à M. Balsan père. A l'expiration de la société, M. Balsan associa ses deux fils et la maison eut pour raison sociale MM. Basan et fils. etc...