STATION VITICOLE DES HUBAUDIÈRES à Chédigny (Indre-et-Loire), 1876-1880

Publié le par histoire-agriculture-touraine

Pierre DESBONS, La ferme-école des Hubaudières à Chédigny 1851-1880, BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOURAINE, Tome LX, 2014, p. 273-290

Extrait p. 283-284
Création d’un grand vignoble.
L’augmentation de la consommation de vin rouge ordinaire en France et la destruction du vignoble méridional par le phylloxéra à partir de 1865, génèrent des débouchés importants. Dans l’Indre-et-Loire, qui ne sera touché officiellement par le puceron qu’en 1882, de nouvelles surfaces sont plantées en vigne. Citons ici, ce que dit Jean-Henri Randoing, élève de l’Ecole de Grignon, en stage aux Hubaudières en 1872 (ADIL, cote 1J1390) : « Les vins de la localité sont connus dans le commerce sous le nom de Vins du Cher, et sont très estimés pour faire des coupages à cause de leur couleur foncée. Je connais même un vin qui est le plus mauvais de la localité (Luzillé) et qui cependant a une prime de 4 ou 5 francs par barrique (250 litres) parce qu’il est plus coloré. Ce commerce est du reste parfaitement organisé, et il y a des représentants des grandes maisons de commerce de Paris dans chaque village, de sorte que la vente est faite et complètement assurée ». Le vignoble des Hubaudières va progressivement atteindre une quarantaine d’ha vers 1875 avec pour objectif 50 ha. Trois cépages rouges, rustiques et à haut rendement sont cultivés : le Côt, le Grolleau, le Gros noir de Villebarou. Afin de réduire au maximum les frais de main-d’œuvre, Victor Nanquette plante avec des écartements de 3 mètres entre rangées, met des piquets de bois et un rang de fil de fer. Il peut ainsi travailler le sol avec des attelages et même cultiver  dans les interlignes : orge, avoine, haricots, choux, trèfle incarnat. Les rendements moyens en vin atteignent 30 hl/ha. Il transforme la vieille distillerie en chai, et installe un pressoir Richard & Cassin, (constructeurs à Bléré).

Extrait p. 285-286
Création d’une station viticole.
Durant deux années consécutives (1873 et 1874), l’Assemblée Nationale vote une réduction de 100 000 francs de la dotation aux fermes-écoles. Ceci entraîne la fermeture de huit établissements au niveau national. Le ministre demande si les départements en possession d'une ferme-école pourraient prendre en charge, tout ou partie des dépenses d'entretien des apprentis. 
La loi du 30 juillet 1875, promulguée le 4 août, vient de réorganiser l’enseignement élémentaire pratique de l’agriculture. Les écoles pratiques d’agriculture sont instituées avec pour vocation de donner un enseignement scientifique plus substantiel, destiné aux fils des fermiers aisés et des petits propriétaires.  Le 12 août 1875, le ministre demande au préfet d’Indre-et-Loire d’étudier la question de transformer la ferme-école des Hubaudières en école pratique d’agriculture. 
Selon V. Nanquette cette transformation brutale, serait hasardeuse et prématurée. Souhaitant suivre une démarche plus progressive, il propose d’annexer à la ferme-école une station viticole.
Cette station est créée par arrêté ministériel du 13 juin 1876. L. Vassillières, ancien stagiaire aux Hubaudières et de retour d’un séjour de quatre années aux Etats-Unis, est nommé directeur. 
Cette station viticole est en continuité avec le développement du grand vignoble créé par V. Nanquette. Signalons aussi que depuis le 1er janvier 1870, le Ministre de l’agriculture accorde une subvention spéciale annuelle de 500 francs pour l’enseignement de la viticulture à la ferme-école des Hubaudières.
V. Nanquette met en place une pépinière pour évaluer l’adaptation des cépages aux Hubaudières. Plusieurs d’entre eux proviennent des restes de la célèbre collection du défunt comte Odart (1778-1866) à la Dorée (commune d’Esvres-sur-Indre).
Des essais de fumure potassique sont conduits sur les vignes avec les substances suivantes : nitrate de potasse, chlorure de potasse, carbonate de potasse, sels de potasse concentrés quintuple de Stassfurt à raison de 500 grammes par cep. Le Conseil général octroie 200 francs par an pour acheter les engrais.
V. Nanquette et L. Vassillière plantent des vignes en chaintre, estimant que les vignes vigoureuses et à fort développement, seraient plus tolérantes au phylloxéra.
Un laboratoire d’œnologie est équipé grâce à une subvention de 3200 francs allouée par le conseil général. L. Vassillière y conduit des recherches. Il obtient une médaille d’argent au Concours régional de Moulins le 9 mai 1877 pour un colorimètre à vin, mis point dans son laboratoire. Cependant, le conseil général lui refuse une subvention de 800 francs pour frais d’entretien de divers appareils du laboratoire et le perfectionnement du colorimètre. Le conseil considère qu’il s’agit d’une opération commerciale dans laquelle il n’a pas à intervenir et préfèrerait que cette somme aille à des cours de vulgarisation de la viticulture.
V. Nanquette, sollicite plusieurs tous les départements viticoles de France pour envoyer des élèves à la nouvelle station viticole des Hubaudières et leur attribuer une bourse de 365 francs.  Les réponses sont toujours négatives. 
V. Nanquette vulgarise les résultats de ses expériences auprès des agriculteurs. Il donne en 1876, deux conférences à Amboise : La viticulture tourangelle et La culture et la taille de la vigne en chaintres. Il publie aussi des articles dans le Journal pratique d’agriculture. 
Les compétences de L. Vassillière sont reconnues : il est élu membre de la Société d’agriculture d’Indre-et-Loire le 13 janvier 1877, les membres de la Société d’agriculture soulignent sa connaissance des cépages américains, acquises lors de son séjour aux USA, il est nommé à la commission du Comice agricole chargée de visiter les vignes dans l’arrondissement de Tours et d’étudier la question du phylloxéra.
Mais L. Vassillière, probablement découragé par le difficile démarrage de la station, démissionne au bout de 18 mois. En janvier 1878, il est nommé professeur départemental d'agriculture de la Vendée. En 1880 il sera nommé Inspecteur général de l’agriculture à Paris où il fera une brillante carrière. L. Vassillère est remplacé par Antoine Dugué, lui aussi diplômé de L’Ecole impériale d’agriculture de Grignon.


Fermeture de la ferme-école et de la station de viticulture.
Par décision ministérielle du 22 décembre 1880, la ferme-école et la station viticole des Hubaudières sont définitivement supprimées. Le matériel du laboratoire d’œnologie est transféré à l’Ecole normale d’instituteurs à Loches. 
Les raisons de cette suppression sont multiples : 
•    le recrutement de la ferme-école n’est pas bon et celui de la station viticole est désastreux.
•    la récolte de vin de l’année 1880 est anéantie, et le vignoble est très endommagé par les fortes gelées survenues dès le mois d’octobre 1879,
•    le phylloxéra rôde, les attaques sont déjà signalées dans la Vienne et le Loir-et-Cher,
•    l’État, accélère le mouvement de suppression des fermes-écoles et l’ouverture des écoles pratiques. En 1875, V.Nanquette a décliné la demande de transformer la ferme-école en école pratique, préférant ouvrir une station viticole. Ce fut probablement une erreur de stratégie !

En 1881, V. Nanquette part en Nouvelle-Calédonie.
A. Dugué est nommé professeur de la chaire d’agriculture d’Indre-et-Loire. Il sera la cheville ouvrière de la reconstitution des vignobles détruits par le phylloxéra à la fin du XIXe siècle.
Les héritiers de L. Faure vendent le domaine des Hubaudières en 1883. En 1887, le conseil général refuse la proposition des nouveaux propriétaires d’ouvrir une école pratique d’agriculture. 
Il faudra attendre 70 ans, pour qu’un établissement d’enseignement agricole rouvre ses portes en Indre-et-Loire. En 1950, le Conseil Général achète le château de la Plaine à Fondettes et l’école d’agriculture démarre en 1951 avec 15 élèves.
 

1873

Archives départementales d'Indre-et-Loire, cote 1J1390
Mémoire sur la ferme-école de Chédigny, rédigé par Jean Henri RANDOING, stagiaire de l’École nationale d’agriculture de Grignon d’octobre 1872 à octobre 1873. M. Randoing fit ensuite une brillante carrière d’Inspecteur général de l’agriculture à Paris de 1880 à 1918. M. Victor Nanquette qui, était directeur de la ferme-école des Hubaudières, utilisa ce mémoire pour faire ses cours aux apprentis-élèves.


Extrait :
"Création et culture des vignes.
Considérant la richesse et l’aisance que la culture de la vigne donne aux populations de la Touraine qui s’y donnent, M. Nanquette eut l’idée en s’établissant aux Hubaudières de fonder sur elle sa spéculation principale. Il stipule donc dans son bail Art. 19, qui le garanti de ses avances en lui assurant une reprise à la fin de sa jouissance, dans une proportion de 30 hectares d’abord et de 50 hectares ensuite. L’idée spéculative de l’opération agricole des Hubaudières repose donc sur les vignes. Au moment de son entrée en ferme, M. Nanquette ne trouva aux Hubaudières que trois hectares de vignes, ce qui était bien peu si on considère le bien-être dont elle est la source dans les pays environnants. Les trois hectares existants étaient composés de Pinot [Chenin], variété blanche qui donne le Vouvray et reposaient sur la Molasse marine et les 7 hectares en création étaient composés de Folle blanche ou Bordelais, sur les terres de Champeigne. En cela, le prédécesseur de M. Nanquette avait suivi les errements de la localité qui sont que le Côt ne peut pas venir sur les terres de Champeigne, parce que disent les cultivateurs environnants, les Champeignes sont calcaires et que le Côt veut de l’argile. 
Or, la vérité est que la vigne est assez indifférente sous le rapport de la nature du sol, et que même cette opinion eut été vraie la raison qu’on en donnait ne pouvait être exacte puisque comme nous l’avons vu les terres du plateau sont argileuses.
En entrant, l’expérience de M. Nanquette n’était pas suffisante pour juger cette manière de voir ; ainsi se contente-t-il l’année de son entrée de faire encore 4 hectares de Folle blanche, 5 hectares de Côt, et 3 hectares d’une nouvelle espèce dite Grollot de Cinq-Mars, variété rouge qui donne beaucoup de fruit et du vin d’assez bonne qualité. Les choses  en restèrent là jusqu’en 1869, époque à laquelle commencèrent à donner les vignes crées en 1864 et 1865 : ce fût alors que M. Nanquette put s’assurer de la réussite du Côt et du Grollot ; et que la Folle blanche donnait beaucoup il est vrai, mais un vin blanc de médiocre qualité dont on trouve difficilement l’écoulement. En effet, pour le commerce, les vins blancs doivent être très bons, et les vins rouges de couleur très foncée pour faire les coupages.
Etant désormais édifié sur les dires des paysans de l’endroit, M. Nanquette reprit la plantation du Côt et du Grollot avec assiduité, dans une proportion de 6 hectares ; et il importa une nouvelle variété, le Gros noir de Vilbarou (Villebarou est à côté de Blois) qui donne les vins du Cher les plus estimés, non pour leur qualité, mais pour leur couleur foncée. Ils sont tellement foncés que les marchands disent qu’ils ont trois couleurs, c’est-à-dire qu’en les mélangeant à deux fois leur volume d’eau, on obtient un mélange qui a encore une couleur marchande. On pourra donc faire avec lui des coupages avec les vins de la Folle blanche et obtenir des vins marchands acceptés par le commerce parisien. Les plantations de Gros noir et de Côt ont été continuées en 1871, 1872, 1873, de sorte qu’aujourd’hui le chiffre des vignes est arrivé à 40 hectares et atteindra 50 hectares l’année prochaine. Je ferai remarquer en passant l’infériorité de l’agriculture dans ses opérations qui sont toujours de longue haleine, par cet exemple d’un cultivateur instruit et expérimenté qui attend 5 ans pour asseoir son jugement et qui doit en attendre 5 autres pour commencer à recueillir les fruits de ses travaux." etc...
 

Archives départementales d'Indre-et-Loire, cote 1J1390, Texte complet en PDF Rapport 1873

1876

Journal d’agriculture pratique, premier semestre, 1876
P. 828

La ferme-école des Hubaudières, dirigée par M. Nanquette, est située commune de Chédigny, près Loches, au milieu d'un pays essentiellement viticole, s'occupe, depuis plus de dix ans [1865], d'études variées sur tout ce qui a trait à la viticulture. Cette situation spéciale a désigné cet établissement à M. le Ministre de l'agriculture pour être le siège d'une station de viticulture comme annexe à la ferme-école. D'importants vignobles de création récente existent sur la propriété et les différents systèmes connus, de plantation, de taille, de culture, etc., sont appliqués sur des surfaces qui dépassent trente hectares. Une collection ampélographique importante, ne comprenant pas moins de neuf cents [900] variétés de cépages, ainsi qu'un matériel complet de tous les instruments propres à la culture de la vigne, un laboratoire d'analyse et de micrographie viticoles, etc., vont se compléter par le fait de cette importante annexe à la ferme-école. L'enseignement de la ferme-école et de la station de viticulture a pour but de former des praticiens instruits connaissant toutes les opérations agricoles, horticoles, et plus spécialement toutes celles qui se rattachent à la viticulture. Cet enseignement est théorique et pratique ; il se compose à la fois de cours et d'applications pratiques dont les élèves trouvent de nombreux sujets dans les travaux de l'exploitation auxquels ils prennent une part active. Des examens d'admission auront lieu le 10 juillet [1876)]prochain à la ferme-école des Hubaudières. Le nombre des candidats à admettre est fixé à 15. Ils devront avoir 17 ans accomplis dans l'année de leur admission. Les demandes d'admission doivent être adressées au directeur de la ferme-école.
 

1878

Journal d’agriculture pratique, premier semestre, 1878

p. 541
La ferme-école des Hubaudières, située près de Loches (Indre-et-Loire), dans une localité essentiellement viticole, s'occupe tout particulièrement de ce qui a rapport à la vigne. Cet établissement possède des collections ampélographiques et autres et un laboratoire spécial. Indépendamment des élèves ordinaires, agriculteurs et jardiniers, on y reçoit des apprentis vignerons et tonneliers ayant également droit à une prime de sortie. La date des examens de sortie et d'admission a été fixée au 3 juin prochain. Les demandes de renseignements doivent être adressées à M. le préfet du département d'Indre-et-Loire ou directement au Directeur des Hubaudières (Indre-et-Loire).
 

1879

Journal d’agriculture pratique, premier semestre, 1879
p. 664. 
Un concours sera ouvert à la ferme-école des Hubaudières, arrondissement de Loches (Indre-et-Loire), le jeudi 5 juin pour l'admission des élèves apprentis. Sont admis à concourir les jeunes gens ayant accompli leur seizième année et ayant acquis les premières notions de l'enseignement primaire. Cet établissement, dirigé par M. Victor Nanquette, est situé dans une localité essentiellement viticole, et s'occupe tout spécialement de ce qui a rapport à la vigne. Il possède des collections ampélographiques et un laboratoire spécial.


p. 835. 
25 stations agronomiques ont été subventionnées en 1878, savoir : […] Station viticole des Hubaudières (Indre-et-Loire), 2 286,66 francs […] Station viticole de Lyon (Rhône), 3 000 francs …
 

1880

Journal d’agriculture pratique, premier semestre, 1880
p. 674, 
Un concours sera ouvert à la ferme-école des Hubaudières, arrondissement de Loches (Indre-et-Loire), le 4 juin prochain (4/6/1880) pour l'admission d'élèves apprentis, horticulteurs et agriculteurs. Sont admis à concourir les jeunes gens ayant accompli leur seizième année et ayant acquis les premières notions de l'enseignement primaire. La ferme-école des Hubaudières, dirigée par M. Nanquette, est située dans une localité essentiellement viticole et s'occupe tout particulièrement de ce qui a rapport à la culture de la vigne et à la vinification. Elle possède des collections ampélographiques pour l'étude comparée des différents cépages et un laboratoire spécial d'analyses où les jeunes gens sont alternativement exercés.
 

Publié dans viticulture

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