MADELAIN Louis Ernest (1850-1893)
MADELAIN Louis Ernest, directeur des Jardins publics de la Ville. (DST p. 289) MADELAIN (E.),
Auteur : Les parasites de la vigne en Touraine : phylloxéra et mildiou, Tours, Rouillé-Ladevèze, 1887, 48 p. ADIL 8°Bh260
1886
Société tourangelle d'horticulture
Les parasites de la vigne en Touraine
Phylloxéra & Mildiou, leurs traitements
L'incision annulaire, ses résultats
Mémoires destinés à la Société tourangelle d'horticulture
par Er. MADELAIN, Directeur des Jardins publics de Tours, rapporteur-trésorier de la Société.
1886-1887
Tours, imprimerie Rouillé-Ladevèze Deslis frères successeurs 1887
ADIL 8°BH260
p. 5-21
Le phylloxéra en Touraine et les vignes américaines.
Mai 1886
Messieurs,
J'ai l'honneur de réclamer votre attention sur un sujet qui semble, au premier abord, être pris complètement en dehors de ceux que nous traitons habituellement, mais qui n'en constitue pas moins une question importante sur laquelle plusieurs d'entre vous ont été appelés déjà, j'en suis sûr, à donner leur avis. Je veux parler de l'invasion du phylloxéra en Touraine.
C'est aussi pour répondre aux demandes qui m'ont été adressées que j'ai rédigé ce rapport dont la plupart des faits qui y sont relatés sont le résultat de mes travaux et de mes observations personnelles Je le soumets à votre appréciation, vous priant de le discuter et de lui donner votre approbation si vous le jugez à propos.
Notre association n'a-t-elle pas été une des premières à s'occuper des questions qui touchent de près, aussi bien l'agriculture que l'horticulture et à émettre par le travail de ses membres son appréciation ? Il y a deux ans, la situation malheureuse que nous a créé le mildiou (peronospora viticola) qui tend à s'aggraver d'une manière fâcheuse, avait été l'objet d'une discussion de plusieurs de nos réunions, et certes, le résultat a éclairé plus d'un propriétaire, plus d'un viticulteur soucieux d'atténuer les ravages causés par ce cryptogame.
Quoique la question du phylloxéra soit autrement importante que celle du mildiou (Depuis la lecture de ce rapport (mai 1886), je suis convaincu que le mildiou doit être plus redouté de nos viticulteurs que le phylloxéra.), quoiqu'elle semble devoir être résolue exclusivement par la Société d'agriculture, qui comprend parmi ses membres les plus grands propriétaires de la Touraine, éclairés par M. Dugué, le sympathique professeur d'agriculture du département, qui, depuis deux ans, fait preuve d'un activité remarquable, je crois qu'il est de notre devoir de rechercher et de publier les moyens les plus efficaces pour parer aux ravages qui s'accentuent davantage.
Il ne faut plus se faire d'illusion, Messieurs, mais se rendre à l'évidence, la majeure partie des vignobles tourangeaux sont attaqués par ce redoutable puceron du Nouveau-Monde qui, il y a une dizaine d'années, a presque anéanti les cultures du Midi dans un laps de temps relativement restreint.
Malgré les syndicats et les commissions qui se sont formés pour en entraver la marche ; malgré les remèdes que les chimistes et les viticulteurs les plus distingués ont recherchés et appliqués ; malgré la récompense promise par le Gouvernement à celui qui détruirait ce parasite de la vigne, le phylloxéra n'en poursuit pas moins sa marche ascendante avec une intensité incroyable.
Il va se passer, ou plutôt, il se passe en Touraine les mêmes faits qui se sont accomplis dans la Gironde, les Charentes, il y a une dizaine d'années. Espérons que sans plus attendre et profitant des essais faits par nos concitoyens du Midi, nos viticulteurs vont prendre leurs dispositions pour parer, dans la mesure du possible, à la suppression du meilleur produit de notre contrée.
Quels sont donc les procédés qui ont été employés et qui ont donné les meilleurs résultats ? L'expérience nous démontre que le greffage de nos variétés françaises sur les espèces américaines, où de tout temps a vécu le phylloxéra, et la recherche de variétés américaines à production directe doivent être la base de nos opérations.
Si nous examinons ce que les viticulteurs du Midi, principalement ceux de l'arrondissement de Libourne, ont tenté depuis l'invasion phylloxérique dans leurs vignobles et les produits qu'ils ont obtenus dans ces dernières années, nous sommes en droit d'être convaincus que les deux procédés que je viens d'indiquer sont les seuls, pour le moment que nous devons rechercher. Je laisse de côté l'immersion, dont les résultats sont fort appréciables, mais qui, pour nous, seraient très coûteux et presque impraticables dans la majeure partie de nos plantations, ainsi que le traitement au sulfure de carbone que je considère impuissant, malgré la grande publicité et l'application obligatoire de ces dernières années (1).
Lorsqu'il fut démontré que les vignes américaines résistaient aux piqûres du phylloxéra, les premières tentatives furent faites pour reconstituer par greffage les vignobles détruits. Les résultats ont surpassé toute attente. Mais ce n'est, croyez-le, Messieurs, qu'après de longs essais, souvent infructueux, que l'on est parvenu à pouvoir déterminer, sur la grande quantité d'espèces que l'on avait à sa disposition, quelles étaient les plus favorables à l'adaptation et au développement de nos variétés françaises.
Les espèces et les variétés américaines sont fort nombreuses, c'est bientôt par centaines qu'elles se comptent ; sur ce nombre, d'après les expériences faites avec le plus grand soin, cinq seulement ont donné des résultats satisfaisants et sont employés en grand dans les départements de la Vienne, des Charentes, de la Gironde, etc. Cette quantité vous paraîtra évidemment bien restreinte ; cependant, pour moi, qui ai examiné et jugé les essais de quelques viticulteurs tourangeaux, un seul semble réunir toutes les conditions désirables au point de vue de l'adaptation et des terrains. C'est le Vitis Riparia, que l'on divise en Riparia tomenteux (V. Riparia tomentosa) et Riparia à larges feuilles (V. Riparia latifolia).
Je crois qu'il est de mon devoir de vous faire connaître le premier qui, en Touraine, s'est occupé de rechercher la meilleure des espèces américaines propre au greffage du Côt, du Groslot, du Gamay teinturier, etc., si répandus dans notre région. C'est un de nos collègues, M. Pierre Gerberon-Nau, viticulteur à la Roche, commune de Cinq-Mars, à qui la Société tourangelle d'horticulture décernait un premier prix en 1882, pour les plants américains qu'il exposait au comice de Langeais. Puis sont venus des grands propriétaires qui, à l'heure actuelle, sont prêts à reconstituer leurs vignobles s'ils étaient atteints par le phylloxéra. L'un d'eux M. Jacques Drake, propriétaire à Candé (Monts), a même installé une école de greffage où se sont rendus les propriétaires et les vignerons soucieux de leur exploitation.
J'engage donc à multiplier, pour le moment, cinq vignes américaines seulement comme porte-greffes, me basant sur les résultats acquis et sur les témoignages publiés dans les comptes rendus des pays phylloxérés, le Libournais entre autres.
1° Le Vitis Riparia tomentosa, riparia tomenteux, pour les terres fortement argileuses ;
2° Le Vitis riparia latifolia, riparia à larges feuilles, et le Vitis York Madeira, pour les terrains argilo calcaires ;
3° Le Solonis, pour les terres calcaires ;
4° Le Vialla, pour les terrains siliceux.
Je ne puis quitter ce sujet si important sans vous faire connaître l'opinion que nous avons maintenant sur trois cépages qui, pendant ces dernières années, ont été fort renommés. Je veux parler du Clinton, du Taylor, et du Rupestris.
Le Clinton est à peu près abandonné partout, quoique, sur cette variété, le greffage soit facile ; mais il ne végète bien que dans les terres riches en silice. Il en est de même du Taylor. Quant au Rupestris, les résultats n'ont été que fort peu appréciés sous le rapport de la végétation.
C'est donc sur le Riparia, le York-Madeira, le Solonis et le Vialla que doivent se concentrer tous les efforts que vont tenter nos viticulteurs.
Mais, je le répète, le préférable est sans contredit le Riparia, quoiqu'on lui ait reproché de végéter peu vigoureusement dans les terres imprégnées d'eau pendant une partie de l'année ou de couleur blanchâtre. Je l'ai vu atteindre des dimensions considérables en Touraine, dans l'un et dans l'autre de ces sols.
Le greffage de la vigne n'est pas à son début. Cependant ce n'était que par hasard qu'il était employé et plutôt dans les jardins fruitiers que dans les vignobles où un mauvais plant est vite remplacé par le marcottage pu la bouture. Il en était ainsi de même dans le Midi jusqu'à l'invasion phylloxérique ; mais on peut dire que depuis une dizaine d'années ce mode de multiplication a pris une extension considérable, extension due aux résultats obtenus.
En pourrait-il être autrement ? Il était certain que le greffage des cépages français sur les vignes américaines donnerait de bons résultats au double point de vue de la résistance au phylloxéra et à la production comme quantité et qualité. Le vin fait avec les vignes greffées est identique au cépage qui a fourni les greffons, de même que le greffon d'une poire Williams placé sur un poirier franc ou sur un cognassier fournit des fruits comme s'il était franc de pied. Je dirai plus, la production est et de beaucoup supérieure. Je ne veux pour le prouver que citer le fait suivant : en 1885, au printemps, j'ai greffé plusieurs Riparia avec du Gamay teinturier ; au mois de septembre 1886, c'est-à-dire à la deuxième végétation, les greffons avaient produit de trois à quatre sarments atteignant 2,50 m de hauteur, malgré un pincement et étaient munis de huit à dix grappes de raisins parfaitement mûrs. Le même résultat a été obtenu à Candé, par M. Audebert, qui avait greffé des Groslots de Cinq-Mars sur des Riparias.
Bien des viticulteurs se demanderont peut-être quelle longévité pourrait avoir un vignoble ainsi créé. J'avouerai que moi-même le premier j'ai un instant douté du succès que l'on obtiendrait par ce mode de reproduction ; j'avais peu d'espoir sur sa durée quoique ne doutant pas de son rendement pendant plusieurs années.
Les comptes rendus du Libournais sont des plus satisfaisants et des plus concluants. Voici ce que dit M. Poiteau conseiller général de Gironde, sur les résultats constatés en 1885 dans l'arrondissement de Libourne ; "Au cours de nos excursions, nous entendions dire par un praticien sérieux que si ses vignes greffées duraient de quinze à seize ans, cette période de temps lui permettrait non seulement de couvrir toutes ses dépenses, mais encore de réaliser des bénéfices importants. Or il résulte de nos visites, que cet espoir ne sera pas déçu, puisque nous avons observé des greffes qui ont accompli leur neuvième année et qui non seulement se portent à merveille, mais qui semblent augmenter de vigueur. Il est indiscutable que les vignes greffées dont nous parlons, devraient-elles succomber contre toute attente et tout probabilité dans un avenir relativement prochain, ce qui nous paraît absolument impossible, ce ne sera jamais avant cinq ou six ans, c'est-à-dire que leur longévité viendrait satisfaire le propriétaire."
Par l'opération de greffage, je constate un double avantage : conserver intacts nos produits, dont plusieurs, le Bourgueil, le Joué, le Saint-Avertin, le Vouvray, font depuis un temps immémorial les délices des gourmets, et assurer une production plus considérable, car le greffage portera plus tôt la vigne à fruit que si elle était multipliée par les procédés ordinaires.
Des essais faits au printemps 1885 dans les vignobles phylloxérés du canton de Sainte-Maure [Louis Martineau], ont été extrêmement satisfaisants. Là, j'ai vu des Riparias dont les greffes se sont développées dans l'année de plus d’une mère portant des fructifications ; ces Riparias avaient été plantés au milieu des variétés du pays complètement mortes, malgré le sulfure de carbone dont les bombonnes jetées çà et là démontraient l'impuissance.
Je crois donc, Messieurs, qu'il y a des éléments pratiques assez probants, assez démonstratifs pour encourager le greffage et qu'il n'est pas nécessaire de conseiller à nos vignerons de s'en tenir encore à de simples essais (2).
Le greffage peut s'opérer de deux manières : sur place et sur table.
Dans la première, les sujets américains ont été dispersés de façon à former un vignoble ; ils reçoivent le greffon la deuxième ou la troisième année, c'est-à-dire, lorsque leur grosseur à la base est à peu près égale à la variété qu'ils doivent faire végéter.
Ce procédé a été jusqu'à ce jour peu employé parce que les greffes exigent pendant leur première végétation des soins qu'il n'est pas toujours facile de donner, étant disséminées sur une grande surface et sujettes aux nombreuses intempéries du printemps. La reprise n'étant pas absolue, i fallait plusieurs années pour arriver au greffage de tous les ceps d'un vignoble et par suite la végétation était irrégulière ainsi que la production.
Il est donc préférable d'employer la greffe sur table, sur bouture ou sur plant enraciné, mis en pépinière, pour les trois raisons principales constatées par M. Poiteau, dans l'un de ses rapports publiés en 1884 : 1° La mise en pépinière greffée sur bouture donne d'aussi belles vignes que le greffage sur place ; 2° il y a aussi une notable économie, 10 000 boutures en pépinière ne coûtant pas plus en travaux de culture que 1 000 sujets mis en place ; 3° enfin, parce que ce procédé créé un vignoble régulier et dans sa végétation et dans sa fructification."
Quant aux modes de greffer, ils sont assez nombreux si l'on en croit les praticiens qui ont réussi dans une proportion notable par des systèmes différents. Cependant la greffe en taille pleine qui consiste à tailler le greffon en coin sur une longueur de 2 à 3 cm, ayant soin que la naissance du coin soit située à 0,01 m d'un œil, à couper le sujet à 3 cm au-dessus de la surface du sol, à faire une fente verticale passant par la moelle d'un longueur de 2 à 3 cm, introduisant alors le coin du greffon dans la fente faisant en sorte que les écorces coïncident bien, est celle due je conseille pour le greffage sur table, par sa simplicité et la rapidité de son exécution. Il faut faire en sorte que les sujets soient de la même grosseur ; dans le cas où la vigne américaine serait plus volumineuse, il est urgent que d'un côté les écorces soient parfaitement en rapport.
La greffe faite au moyen du greffoir perfectionné dont s'est servi M. Audebert de Candé (Monts), me semblerait supérieure (3) en ce que le sujet n'est plus coupé horizontalement mais évidé de sorte que toutes les parties, même la moelle, se trouvent en contact et qu'aucune perte de sève n'est possible.
La greffe anglaise est aussi employée avec succès, mais c'est surtout pour le greffage sur place que je la conseille. Il faut dans ce cas que le greffon et le sujet soient de même grosseur. On coupe la tête du sujet en biseau très allongé ; au tiers supérieur de la plaie on fait une fente longitudinale ; le greffon est préparé de la même manière en sens inverse en ayant soin de faire passer le biseau près d'un œil ; on réunit les deux sarments en les agrafant.
Dans le cas où le sujet serait plus considérable, on peut appliquer la greffe en fente de côté, que vous connaissez tous, en mettant deux greffons diamétralement opposés, etc., etc.
Avant de vous parler des soins à donner aux greffes faites en plein champ ainsi que les opérations du greffage sur table, un mot seulement sur le ligaturage.
Le ligaturage a pour but de rapprocher entre elles les parties et de maintenir le greffon dans un bonne position.
La meilleure ligature, la plus rapide dans son application et la plus économique est sans contredit le raphia qui, depuis quelques années, est employé dans bien des travaux horticoles et agricoles, remplaçant avec avantage les liens d'osier, l'écorce de tilleul, la paille et le chanvre, etc. et dont le bon marché le met à la portée de tous les viticulteurs. Ayant remarqué que le raphia était susceptible de se décomposer assez rapidement et par suite de disparaître avant la reprise complète de la greffe, je crois qu'il est indispensable de le faire tremper quelques instants avant de s'en servir dans une dissolution de sulfate de cuivre à la dose de 2 grammes pour 100 grammes d'eau. A une dose plus forte, et ayant séjourné une heure seulement, il y aurait un grave inconvénient (je l'ai essayé à mes dépens) de ligaturer les greffes.
Le raphia se trouve dans le commerce chez tous les marchands grainiers. Son prix est de 3,50 fr/kg environ.
A quelle époque doit se faire le greffage sur place ? L'expérience a démontré que cette opération doit se faire de la mi-avril au commencement de juin, lorsque la sève circule abondamment. Il faut avoir soin que les greffons coupés de bonne heure soient demeurés inactifs sous le rapport de la végétation, que tous les yeux dont ils sont munis soient restés complètement à l'état latent, en un mot, qu'ils aient été retranchés de la souche vers le mois de février et conservés à l'air dans un endroit humide complètement à l'abri des rayons solaires.
Le greffage fait en février ne donne guère comme résultats que 30 %. J'attribue cette non-réussite à l'humidité qui, à cette époque de l'année, sévit avec intensité et envahit les coupes faites au sujet et au greffon. Il en est de même des greffes opérées en mars. Plusieurs essais, pratiqués dans des communes différentes : Cinq-Mars, Sainte-Maure, n'ont donné que 40 % en moyenne. En avril, ou plutôt vers la fin avril, j'ai obtenu 70 % à Cinq-Mars, et notre honoré collègue, M. Audebert, de Candé, inscrivait comme résultat par des greffes faites en mai près de 80 %. Cet habile observateur avait reconnu que la soudure des coupes s'opérait à cette saison avec une promptitude incroyable, quelques heures seulement suffisaient. Ce fait a été observé par M. Gerberon-Nau qui a bien voulu mettre à ma disposition les notes intéressantes qu'il recueillait depuis deux ans sur l'époque du greffage et les différents systèmes qu'il employait.
Je conseillerai donc de pratiquer le greffage sur place du 15 avril au 15 mai, suivant que la végétation est plus ou moins avancée par les influences atmosphériques. En résumé, cependant, il ne faut pas s'attendre, quel que soit le mode de greffage que l'on emploie, à une réussite de plus de 70 %. Ce nombre vous paraîtra peut-être restreint, mais je vous démontrerai, tout à l'heure, les soins assidus qu'exigent les greffes pendant la première année, soins qu'il n'est pas toujours facile de leur donner en plein vignoble. Vous verrez que je n'exagère pas. Mais avant, je crois qu'il est extrêmement utile de faire connaître approximativement le nombre des plants que les cultivateurs devront greffer en pépinière en prévision des manquants dans l'opération du greffage sur place.
Le tableau le plus complet et que je crois le plus vrai étant en rapport avec les résultats obtenus par trois de nos collègues est celui qu'a publié M. Lareron, professeur d'agriculture du département de la Vienne, au printemps 1886. La plantation d'un hectare se résume ainsi :
Supposons qu'on veuille mettre en place 4 000 plants ; en admettant que les manquants peuvent atteindre 30 %, soit un tiers, on devra donc planter de la manière suivante :
En place, quatre mille plants.....4 000
En pépinière, d'abord, 33 % de 4 000.....1 333
Plus 33 % de 1 333.... 444
Total.... 5 777
Soit 8 500 plants. C'est-à-dire que pour un hectare dans lequel entreraient 4 000 plants, on devra greffer en même temps 1 800 plants en pépinière, plants qui seront transplantés à la place des manquants en janvier ou février l'année suivante, ce qui assurera au vignoble un végétation et une fructification régulières (4).
Quelles que soient les terres dans lesquelles on opère, il est bon après ligaturage de mastiquer, c'est-à-dire de recouvrir d'un corps gras, la ligature, empêchant ainsi toute humidité dans la coupe et tout déperdition de sève. Le mastic le plus économique est sans contredit l’argile délayée dans l'eau que l'on pétrit et qui s'applique facilement.
Ces opérations printanières se terminent par le buttage qui consiste à recouvrir de terre bien meuble le greffon qui doit disparaître sous une épaisseur de quelques centimètres.
Les soins culturaux que la plantation doit recevoir pendant l'été qui suit le greffage sont très simples, mais des plus urgents. Ils consistent à entretenir le sol exempt de mauvaises herbes, ce que l'on obtient par les sarclages et les binages répétés autant de fois que cela est nécessaire, tout en se gardant bien de toucher aux buttes autrement que pour supprimer les végétations qui s'y seraient développées ; encore je conseille de faire cette opération à la main, car le moindre dérangement, la moindre secousse imprimée au greffon avant sa parfaite soudure avec le sujet peut entraîner sa perte. Ce n'est que vers le commencement d'octobre que l'on viendra constater les résultats obtenus en déchaussant les ceps.
Presque toujours, le greffon ainsi enterré émet des racines près des yeux ou de l'œil dont il est muni, il faut alors avec un instrument bien tranchant les supprimer toutes. Ce travail ne sera plus à recommencer les années suivantes puisque le greffon a été placé quelques centimètres au-dessus de la surface du sol dans le but qu'il ne puisse s'affranchir. Je n'engagerai pas à faire ce retranchement au printemps, la greffe et le sujet pourraient en souffrir par la force que les racines auraient pu acquérir.
Les tissus nouveaux qui unissent les deux sujets étant à peine formés, plusieurs viticulteurs se sont aperçu qu'un second buttage était nécessaire sitôt que les froids se faisaient sentir ; il y avait bien des greffes qui périssaient dans le premier hiver qui suivait le greffage et qui, à l'automne, semblaient végéter vigoureusement. Cependant, dans le Midi où cette saison est généralement moins rigoureuse que chez nous, cette opération n'est pas urgente, elles pratiquée seulement pour les sujets languissants.
A l'automne, les plants qui n'auraient pas réussi peuvent être arrachés et transplantés en pépinière où ils seront de nouveau transformés en boutures pour servir plus tard de porte-greffes ; et, si le propriétaire a eu le soin de tenir en réserve une certaine quantité de greffes reprises, les vides pourront être immédiatement comblés.
Les années suivantes les vignes ainsi formées recevront les mêmes soins que les autres vignobles, sans toutefois allonger la taille, quelle que soit la vigueur des sujets greffés.
Le greffage sur table peut s'effectuer sur bouture ou sur plant raciné. Ce dernier mode est préférable, car, le sujet entrant immédiatement en végétation fournit au greffon un sève abondante qui assure la soudure des parties coupées dans un temps beaucoup plus court que la bouture qui doit pourvoir d'abord à sa propre subsistance avant d'alimenter la greffe.
Quel que soit le système de greffe que l'on emploie, il faut toujours faire en sorte que les sarments soient à peu près de la même grosseur, de façon que l'opération faite, les écorces coïncident parfaitement entre elles, laissant ainsi arriver la sève du sujet dans le greffon sans subir un temps d'arrêt qui, souvent sans cette précaution entraîne la perte du travail.
Les greffes ainsi préparées, vers la fin mars, commencement d'avril, devront être placées sur couches de fumier mélangé de feuilles, couches donnant une température de 10°C à 15°C, enterrées dans un compost très sableux et recouvertes soit de cloches, soit de châssis.
S'il est possible de se servir de châssis, ce qui est préférable, les greffes devront être placées l'une près de l'autre, distantes de 5 à 6 cm, devant végéter la première année sans être dérangées. Dans le cas contraire, si leur reprise doit s'effectuer sous cloche, il faut les réunir par bottes de 50 à 60 et les enfouir complètement jusqu'à ce que la soudure soit opérée, ce qui demande un mois environ. Le sujet alors est muni de racines et les yeux du greffon sont prêts à se développer. Alors, par une journée humide et calme, on les transporte dans un terrain préparé ad hoc ayant soin de laisser les radicelles du sujet intactes et de retrancher celles qui se seraient formées soit sur le greffon, soit sur la coupe. Elles seront buttes jusqu'à la naissance du deuxième et dernier œil.
Dans le cours de l'été, elles devront faire l'objet de l'attention du viticulteur qui leur procurera tous les soins nécessaires pour leur assurer une bonne végétation qui permettra de les transplanter, le printemps suivant, dans le vignoble. Ces soins se résument :
1° à débutter, c'est-à-dire à découvrir l'œil de la base quinze jours environ après plantation. La greffe proprement dite devra être enfouie dans le sol jusque vers le mois d'août ;
2° à supprimer au fur et à mesure de leur apparition les bourgeons que pourraient émettre les sujets et à retranche les radicelles qui se développeraient sur les coupes ;
3° enfin, à entretenir le terrain exempt de mauvaises herbes et dans une légère humidité, ce que l'on obtiendra facilement en couvrant le sol d'un léger paillage.
En résumé, Messieurs, je suis on ne peut plus partisan de la reconstitution des vignobles phylloxérés par le greffage, certain à l'avance qu'il est peut-être le seul de tous les moyens employés jusqu'à ce jour pour combattre avec efficacité le puceron dévastateur. Je ne parle pas de l'immersion, impraticable dans la majeure partie des vignobles, ni du sulfocarbonate de potassium par trop onéreux. A ces deux moyens employés avec succès dans le Libournais, restent les producteurs directs, dont vous avez sans doute entendu parler, tels que le Jacquez, l'Othello, le Noah, etc. J'aurai l'honneur de vous soumettre les résultats qu'auront acquis les quelques viticulteurs tourangeaux qui d'occupent de cette importante question. J'espère qu'ils voudront bien me permettre de l'étudier avec eux. Quoi qu'il en soit à ce sujet, je ne saurais trop engager les propriétaires à chercher d'hybrider les cépages qu’ils cultivent avec des espèces américaines telles que le riparia, le rupestris, afin d'obtenir des variétés pouvant supporter sans souffrir les piqûres de l'insecte qui a détruit si rapidement les vignes asiatiques. Le phylloxéra nous vient du Nouveau-Monde et de tout temps a vécu sur les vignes américaines, c'est par celles-ci, j'en suis convaincu, que l'on parviendra à le combattre, soit par les producteurs directs, soit plus certainement par le greffage.
Je termine, Messieurs, en vous priant de croire que c'est à la Société tourangelle d'horticulture que reviendra l'honneur d'avoir fait, en Touraine, les premiers essais, et, espérons-le, de résoudre, dans la mesure du possible, cette grande question : la reconstitution du vignoble par les cépages américains.
Il y a encore beaucoup à faire, je le sais. Ce n'est pas en quelques années seulement que nous trouverons les meilleurs porte-greffes, les producteurs directs résistants pour notre région et pour les différents cépages qui s'y cultivent. Non. Mais c'est en travaillant sans relâche, les yeux fixés sur le Midi, que nous parviendrons à mettre nos vignobles à l'abri de l'invasion phylloxérique.
Je remercie ici, bien sincèrement, MM. Audebert, de Candé (Monts), Gaschereau, d'André (Mettray), Gerberon-Nau, de la Roche (Cinq-Mars), Testu, de Richelieu, membres de notre Association, qui se sont mis à l'œuvre depuis trois ans et qui m'ont permis de recueillir et de vous communiquer les notes consignées dans ce rapport. Cette œuvre, ils la mèneront à bonne fin, car dès aujourd'hui, les résultats qu'ils ont obtenus peuvent servir de base aux opérations de ceux qui doutent encore.
(1) Mon appréciation sur l'emploi du sulfure de carbone est peut-être exagérée, mais je ferai remarquer que je ne relate, dans ce rapport, que les faits que j'ai observés en 1884 et 1885. Dans une prochaine communication, je reviendrai sur ce sujet important, suivant avec intérêt les expériences faites au moyen des charrues sulfureuses dans le domaine de Richelieu.
(2) Depuis la lecture de ce rapport, un des grands propriétaires de la Touraine plante cette année trois hectares de Riparia. Ce vignoble, dans deux ou trois ans, sera un champ d'expériences précieux pour les vignerons du canton de Tours-Nord.
(3) Cinq cent greffes faites en 1886, avec cet instrument, par M. Gerberon de la Roche (commune de Cinq-Mars), m'ont de nouveau fait apprécier le greffoir bordelais que je recommande d'une façon toute particulière pour le greffage sur table, à Tours, chez M. Lignelet, maison Leyet, 19, rue de la Scellerie.
Frappé des résultats acquis avec cet instrument de précision dans le greffage bouture sur bouture ou sur plant enraciné, je me suis demandé si ce greffoir ne pouvait pas subir des modifications telles qu'il pourrait être applicable au greffage en plein vignoble, tout en offrant les mêmes garanties dans l'exécution du travail. Les recherches de M. Lignelet viennent d'être couronnées de succès. Non seulement l'instrument qu'il vient de mettre au commerce peut remplir toutes ces conditions désirables, mais il peut aussi bien s'employer pour le greffage sur table que pour le greffage en plein champ. Son double emploi, ainsi que la modicité de son prix, comparée à celle du greffoir bordelais (30 fr.), le mettra, je n'en doute pas, à la portée de tous les viticulteurs.
(4) La greffe se place sur le sujet à 5 cm environ de la surface du sol, pour que par la suite le greffon ne s'enracine pas. Le bourrelet qui nécessairement se forme à l'endroit où les coupes sont réunies émettrait des racines s'il était enterré, et par conséquent le cépage greffé s'affranchirait, entraînant promptement la perte du sujet. Les greffes devront s'effectuer par un temps doux et humide.