Hybrideurs de la vigne 1876+
CHEVALIER Auguste. L'amélioration de la vigne en France et les travaux de G. Couderc sur l'hybridation et le greffage (Suite et fin). In: Revue de botanique appliquée et d'agriculture coloniale, 5e année, bulletin n° 52, décembre 1925. pp. 926-945 ;
doi : https://doi.org/10.3406:jatba.1925.4353
https://www.persee.fr/doc/jatba_0370-3681_1925_num_5_52_4353
Extrait p. 926-929
Les Hybrides producteurs directs et leur sélection.
Dès 1878, MILLARDET soumettait à l'Académie des Sciences l'idée d'utiliser l'hybridation " la propriété de résistance qui doit être héréditaire comme les particularités de structure ou de composition chimique auxquelles elle est certainement liée ". Il pensait que " ces données seraient d'une application immédiate à la production par l'hybridation de nouveaux cépages tenant d'un de leurs parents la propriété de résistance au phylloxéra et de l'autre les qualités nécessaires pour produire un bon vin " (2).
On sait que de nombreuses années devaient s'écouler avant que ce dernier résultat fût atteint. Néanmoins dès cette époque de nombreux chercheurs se firent les émules de MILLARDET.
Ce furent d'abord GANZIN, puis Georges COUDERC et FOËX, de l'École d'Agriculture de Montpellier, et plus tard DAVIN, TERRAS, CASTEL, MALÈGUE, OBERLIN, SEIBEL, GAILLARD, JURIE, BACO, etc.
M. G. COUDERC a consacré de longues années à la recherche d'hybrides producteurs directs. Le producteur direct idéal dit être résistant au phylloxéra par ses racines, au mildiou par ses feuilles, être très fertile et donner un produit doué des qualités d'un bon cépage Vinifera. Les résultats remarquables obtenus à Aubenas tiennent à deux causes :
1° COUDERC a multiplié les croisements essayant toutes les combinaisons possibles. "Il ne faut pas craindre, dit-il, de varier et de multiplier les hybridations ne fut-ce que pour se faire la main et avoir sous les yeux un grand nombre d'hybrides bien définis qui permettent de conjecturer le résultat des hybridations subséquentes et par la suite d'agir plus sûrement" ;
2° Il a semé un très grand nombre de graines provenant d'hybridations : plus de 400 000 dans sa vie. On sème serré en place ; on élimine progressivement les jeunes plants qui se montrent désavantageux ; les premiers éliminés sont ceux qui ne résistent pas au phylloxéra ; puis ceux qui ne conviennent pas au sol où l'on opère. Pour chaque pied est établi une fiche faisant mention de ses qualités et de ses défauts. "Ce sont des archives que chacun peut consulter et où même ce qui est sans valeur porte pour l'hybrideur en vue de ses opérations futures de précieux enseignements".
On attend avec anxiété les premières fructifications. En général pour les hâter, les semis sont effectués dans un très bon terrain, ils sont très espacés et très soignés. Le plus souvent on éprouve de grandes désillusions : pieds mâles innombrables, pieds à étamines courbes et par conséquent coulant constitutionnellement, grains ou grappes dérisoirement petits, goût plus ou moins mauvais. Si au milieu de ces non-valeurs se rencontre un cépage à raisin véritablement méritant, on s'y attache d'autant plus qu'il est plus rare et qu'il vous a coûté plus d'argent, de temps et de peine.
Par la plantation très serrée et la phylloxération dès le jeune âge on ne permet de fructifier qu'aux cépages vraiment résistants. On se prive probablement de beaux fruits, mais on a en revanche la résistance à peu près assurée de ceux qui arrivent à fructifier.
Si l'on a en outre la bonne fortune de rencontrer des cépages complètement indemnes on s'en servira, même si le fruit n'est pas suffisant, pour introduire la résistance dans les nouvelles combinaisons que l'on va tenter. C'est une question d'habitude, de pratique, de flair et aussi parfois de chance. On parvient à obtenir le type que l'on désire par d'habiles croisements, cherchant à fixer les qualités, les unes du mâle, les autres de la femelle, en cherchant à équilibrer et à fixer les caractères désirés au premier rang desquels il faut placer la résistance aux maladies et la fertilité.
L'idéal serait de trouver un cépage qui aurait la fertilité de l'Aramon et une résistance aux maladies aussi grande que celle du Riparia pour le phylloxéra. Quand le Vinifera est allié à des cépages très résistants, il se produit deux sortes d'hybrides : les uns très peu résistants qui se rabougrissent vite, les autres auxquels le sang de Vinifera semble apporter un supplément de vigueur et de résistance ; enfin quand il est allié aux cépages indemnes, la plupart des produits sont plus ou moins résistants ; quelques-uns poussent cette résistance jusqu'à l'immunité phylloxérique et présentent en outre une vigueur incomparable qu'ils doivent au sang de Vinifera et aussi à leur caractère même d'hybride [vigueur hybride ou hétérosis].
D'après CASTEL (cité par P. GERVAIS), les hybrides producteurs directs doivent présenter les caractères suivants : 1° grande résistance aux insectes et spécialement au phylloxéra ; 2° adaptation au sol du vignoble ; 3° teneur élevée en sucre ; 4° grande fertilité, grappes nombreuses et dimensions des grappes et des grains ; 5° maturité précoce ; 6° grande résistance aux maladies cryptogamiques ; 7° finesse du goût ; 8° coloration des grappes ; 9° conditions de culture favorables, reprise facile du bouturage, débourrement tardif, résistance aux gelées, résistance aux accidents de végétation, absence de coulure, port satisfaisant des sarments, aoûtement facile du bois.
C'est surtout du Rupestris que les hybrideurs se sont d'abord servis comme facteur américain en raison de sa grande vigueur, de sa rusticité, de sa résistance au phylloxéra, de son feuillage résistant aux maladies cryptogamique, de ses raisins à saveur neutre. Par la suite le Riparia a donné des résultats supérieurs à ceux du Rupestris, enfin quelques formes sans goût spécial trop prononcé de V. Linsecomii ont apporté la grosseur du grain vainement recherchée jusque-là.
M. COUDERC a obtenu aussi des produits remarquables avec le Cordifolia et il s'en est largement servi dans ses hybridations.
M. SEIBEL a pris pour base principale de ses hybridations le Linsecomii x rupestris et pour ses hybrides à 3/4 de sang Vinifera, l'Aramon x rupestris Ganzin n° 1.
M. OBERLIN s'est adressé le plus souvent et de préférence au Riparia.
Enfin les hybridations naturelles produites parfois spontanément dans les champs où plusieurs vignes étaient cultivées en mélange, ont donné en quelques rares circonstances des gains heureux.
En laissant de côté les vieux producteurs directs obtenus en Amérique qui répondent à un goût du consommateur et à des conditions climatiques spéciales : hivers très rigoureux et été court et chaud, conditions qui ne sont pas les nôtres, on peut classer les hybrides producteurs directs obtenus en Europe en deux sections :
1° Les hybrides donnant des raisins absolument similaires à ceux des cépages européens ;
2° Les hybrides à raisin s plus ou moins américains.
Il y a certainement tous les passages entre ces deux sections. M. COUDERC a exposé dans les termes suivants ses idées sur les différentes catégories d'hybrides :
etc...
(2) En 1876, deux communications furent faites à l'Académie des sciences : 1° Celle de M. FABRE, député de l'Hérault, qui avait pu constater dans son domaine de Saint-Clément, près Montpellier, l'immunité phylloxérique du Riparia Baron Perrier, à côté des autres porte-greffes atteints. Cette assertion (depuis reconnue erronée d'ailleurs) fut vérifiée par Henri MARÈS et détermina sa conversion aux vignes américaines dont il était l'adversaire jusque-là. Sa haute autorité et l'influence prodigieuse que son éloquente parole avait sur tous les viticulteurs de l'Hérault et du Midi, firent la fortune du Riparia qui y devint le porte-greffe presque exclusif. Il est resté le meilleur dans les terres riches et très peu calcaires. 2° La deuxième communication fut celle de Victor GANZIN, l'initiateur incontestable de l'hybridation franco-américaine.
La communication de Millardet est de 1878, et sa première présentation d'hybrides, a été au Congrès de Bordeaux en 1886.