AUGÉ-LARIBÉ Michel (1876-1954)

Publié le par histoire-agriculture-touraine

Michel Augé-Laribé (1876-1954). In: Économie rurale. N°21, 1954. pp. 3-4.
www.persee.fr/doc/ecoru_0013-0559_1954_num_21_1_1348

Michel AUGÉ-LARIBÉ
1876-1954

Michel Augé-Laribé, notre Président-Fondateur est mort le 16 août 1954, à l'âge 78 ans, d’une crise cardiaque. Ses obsèques ont été célébrés dans la plus stricte intimité, selon ses voeux.
Quand notre Société a été fondée en 1948, nous avons tous pensé que la présidence devait lui en être confiée ; son œuvre imposait son nom. Aujourd'hui ce n'est pas de ses ouvrages dont nous voulons parler mais de l'homme, notre aîné et notre ami à tous.
Après de solides études juridiques et la publication d'une thèse qui analysait les doctrines concernant la propriété du sol, Michel Augé-Laribé était entré dans les organisations professionnelles agricoles où, pendant près d'un demi-siècle, il a joué un rôle important, notamment pendant la période entre les deux guerres où son nom reste lié à l'activité de la Confédération Nationale des Associations Agricoles (C.N.A.A.) et à l'Association pour l'Exportation des Produits Agricoles. A partir de 1935, il représenta la France à l'Institut International de l'Agriculture où il eut une influence prépondérante dans l'orientation des travaux de cet organisme vers l'étude des problème économiques. Pendant la deuxième guerre mondiale et jusqu'en 1947, il créa et dirigea les Services d'Etudes et Documentation du ministère de l’Agriculture. Dans tous ces postes, il a laissé le souvenir d'une forte personnalité, très au-dessus des fonctions qui lui étaient confiées.
Même pendant la guerre, il avait conservé toute sa sérénité. Son optimisme patriotique a failli lui jouer plusieurs fois de mauvais tours. Aussi, on lui avait demandé de rédiger, à titre de Chef du Service d'Etudes et de Documentation, une brochure à l'usage des agriculteurs rentrant de captivité. Quand le travail fût prêt, il n'était évidemment pas tout à fait orthodoxe. Et la censure de l'occupant demanda, à la très grande joie de son auteur, si celui-ci était fou ou gaulliste, et décida finalement d'envoyer au pilon les exemplaires déjà imprimés.
Quelles que fussent ses occupations professionnelles, Michel Augé-Laribé poursuivait des études et publiait des ouvrages et d'innombrables articles de revue. Son métier n'a pas gêné sa production intellectuelle ; pendant toute sa vie, il est resté indépendant et un peu dédaigneux des honneurs qui venaient à lui.
Dans les milieux agricoles, Michel Augé-Laribé avait une place exceptionnelle. C'était un observateur impartial, pénétrant et sans illusions, de l'évolution de l'agriculture. Grâce à sa remarquable culture générale entretenue avec amour comme un jardin, il avait le sens du long terme. Ayant horreur des vérités officielles, il présentait les faits sous un jour original, sans aucunement se soucier d'écorner parfois de sa plume agile et pleine de verve les tableaux classiques et indulgents des hommes politiques de la Troisième République. Il est un des seuls hommes de notre temps qui ait bien vu la nécessité de définir et d'appliquer une politique agricole. Ce non-conformisme perspicace a-t-il eu auprès des ministres l'audience qu'il aurait mérité ?
Toutefois, son influence a été grande, non seulement par ses écrits, mais aussi par les conseils qu'il donnait aux nombreuses personnes qui venaient le consulter. Il aimait la conversation, non pas le bavardage, mais la conversation à la française sur un sujet qu'on approfondit méthodiquement. Sa politesse raffinée mettait à l'aise son interlocuteur qu'il écoutait avidement. Il parlait peu, mais quelques remarques suffisaient pour montrer qu'il connaissait le fond de l'affaire : il apportait le point de vue du sociologue qui élève le débat. Chacun était sûr de trouver auprès de lui un avis impartial et de valeur, et aussi un réconfort amical s'il était en peine.
Il aimait parler de son travail, de son inlassable travail qu'il a continué jusqu’à ses derniers instants, puisqu'il venait de terminer un important livre sur l'évolution de l'Agriculture du XVIIIe siècle à nos jours. Il se comparait volontiers à un artisan qui a la passion du travail bien fait. Relisons ces belles phrases, bien construites et pleines de substance : "Une paysannerie, une vie agricole, c'est autre chose que des entreprises prospères, des affaires profitables, le pays bien ravitaillé, les marchés de village achetant beaucoup de camelote industrielle, les artisans ruraux occupés et les fabricants de machines agricoles pourvus de commande. C''est une conception de la vie rurale gardant beaucoup de vieilles traditions ; en les faisant évoluer, un progrès des connaissances pénétrant les campagnes sans les bouleverser, une moralité maintenue ou améliorée, et, si ce n'est pas trop espérer, un accord établi entre la ville et les champs".
Son labeur était entièrement désintéressé. Non seulement il s'efforçait de donner des articles à toutes les revues scientifiques qui les lui demandaient, mail il acceptait, pour rendre service, les tâches les plus ingrates telles que la correction des épreuves de notre Bulletin ou la confection de bibliographies. Il savait que des associations comme la nôtre ne peuvent subsister que si les membres acceptent d'apporter autre chose qu’une maigre cotisation en espèces. Que son dévouement et sa modestie restent l'exemple pour nous tous.
Michel Augé-Laribé, au cours des dix dernières années, a donné à notre Association une orientation qu'elle doit conserver. Il a toujours insisté pour que, tout en nous spécialisant dans l'économie rurale, nous replacions l'activité économique agricole dans le cadre de la société et que nous maintenions dans nos travaux, des contacts étroits avec les représentants des autres disciplines, notamment avec les sociologues. Fier d'avoir créé cette Association, il envisageait son avenir avec un optimisme qui était le fond de son caractère : il avait toujours sur son bureau un coup de poing chelléen qu'il montrait volontiers pour prouver que les progrès de la civilisation depuis l'époque préhistorique permettent de faire confiance à l'homme.
Qu'il nous soit permis en terminant de nous incliner respectueusement devant la douleur de Madame Augé-Laribé de lui présenter nos condoléances au nom des amis de son mari, reconnaissants de tout ce qu'il leur a apporté pendant une longue et belle vie.
 

BOUSSARD Isabel, Michel Augé-Laribé (1876-1954) et l'économie politique rurale. N°248, 1998. pp. 4-12;
doi : https//doi.org/10.3406/ecoru.1998.5040
https://www.persee.fr/doc/ecoru_0013-0559_num_248_1_5040

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https://www.persee.fr/doc/ecoru_0013-0559_1969_num_79_1_2030


 

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