BOYLESVE René (1867-1926)

Publié le par histoire-agriculture-touraine

René BOYLESVE (1867-1926)


Écrivain, essayiste, poète tourangeau

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Boylesve
 

1919


La Dépêche, Mercredi 26 mars 1919 (ADIL p, 100)

LES PROPOS D'UN PAYSAN. 
René Boylesve à l'Académie

Celui qui a le mieux décrit les caractères de nos petites villes et de nos campagnes tourangelles, celui qui a évoqué avec le plus de vérité et de profondeur l’âme même de notre pays et de ses populations bourgeoises, René Boylesve, notre compatriote, né à la Haye-Descartes, a été reçu jeudi dernier 20 mars, sous l’illustre coupole de l’Académie française, par l’un des maîtres les plus éloquents de la pensée, le poète Henri de Régnier.
Cette journée n’a pas été seulement le triomphe oratoire de deux auteurs éminents, elle a été aussi celui de la Touraine par la mise en valeur des qualités d’esprit du terroir, développés en des genres divers, depuis Rabelais et Descartes jusqu’à Balzac, et si heureusement complétées par le récipiendaire de cette dernière réception académique.
Il y a plus encore dans cet évènement, il y a une manifestation plus générale, qui s’étend sur la nation entière et que M. de Régnier n’a pas craint de signaler en rappelant que « l’Académie tient à honneur de rechercher, parmi les élites du pays, les représentants les plus notables, par eux elle s’efforce de s’incorporer les plus solides et plus brillantes renommées françaises ». Il a même conclu en déclarant que, par-dessus les qualités littéraires de l’œuvre de Boylesve, ce qu’il veut retenir surtout, « c’est l’amour profond que, tout entière, elle exprime de notre vie française, de notre esprit de France ».
Il n’est pas de plus bel éloge et de plus haut laurier attaché à une renommée définitive.
On a lu, de toutes parts, le texte des deux discours de cette journée de la pensée et de la parole dans laquelle tous les mérites divers se sont largement dépensés. Il n’y a pas lieu d’y revenir ; mais dans cette journée précieuse pour notre province, il a été émis des idées, il s’est dégagé des impressions, il y a eu des enseignements qu’il faut noter.
Il fallait s’y attendre, en parlant de la belle vie de M. Alfred Mézières, son prédécesseur, René Boylesve est resté tout ce qu’il a été jusqu’ici dans sa calme carrière remplie d’un énorme labeur, de ferme volonté réfléchie, d’observation à l’écart de la vie fiévreuse. Il a été grave, il s’est élevé de toute sa hauteur de sa pensée indépendante, il a été ému et bon dans le magistral tableau qu’il a peint de l’illustre devancier. Sa langue est demeurée pure, noble, élégante, dans une diction parfaite, nuancée, donnant l’effet juste et la mise en valeur. Il a été tout droit, sans déclamation, vers l’esprit des lettrés qui l’écoutaient et les a conquis, une fois de plus, après s’être fait aimer d’eux par la lecture de ses livres.
À propos de ce qu’a dit M. Mézières, il a ouvert son âme philosophique et il en laissé s’échapper des idées qui lui sont chères en proclament « l’indépendance de la pensée et de l’art, l’isolement des âmes supérieures au milieu de la foule, non pour la dédaigner, certes, mais pour la servir mieux, enfin un religieux respect envers cette entité mystérieuse que les hommes de son temps divinisaient sous le nom de Liberté. »
C’est alors que le nouvel académicien donna libre cours à sa poétique imagination en reproduisant le songe qu’il fit en pensant à la Liberté, à l’Égalité et à la Fraternité, page qui restera l’une des plus belles de son œuvre.
La thèse qu’il développa à cette occasion, il la résuma par cet énoncé : « Libre, inconsidérée, jeune éternellement – enfin, telle qu’elle est – notre littérature vaut probablement mieux qu’étouffée ou servile. » Puis, le romancier dramatisa la fin douloureuse de Mézières et souleva une émotion intense qui déchaîna d’unanimes et chaudes acclamations.
M. de Régnier, en répondant à M. René Boylesve, montra tout de suite qu’il le traitait en ami disposant de sa haute estime ; rarement, peut-être jamais, la grâce académique ne fut aussi accueillante et sincère ; ce fut déjà tout un éloge. Puis, l’analyse commença, légère, poétique, admirative mais précise en montrant l’enfance du futur romancier, les tendances littéraires de ses jeunes années, ses études, l’influence du milieu et du cadre dans lesquels évolua une prime observation, qui devait rester frappée jusqu’à lui imposer une direction définitive.
M. de Régnier ne parla pas – parce qu’il n’en eut connaissance sans doute – des prix d’honneur de rhétorique et de philosophie du lycée de Tours en 1884 et 1885, ni des véritables débuts littéraires de de l’élève Boylesve dans la modeste Revue de la littérature moderne qui paraissait à Tours et à Paris, et dont le numéro de janvier 1888 marqua les premières armes du futur auteur.
Toutes les œuvres de Boylesve reçurent à la suite, en cet éloge académique et magistral, qui en détermina la nature et la haute portée philosophique et sociale, la place qui leur convient en pleine gloire littéraire. L’éloge n’oublia pas de dire que les débuts de l’auteur tourangeau furent « assez singuliers » en dehors de toute recherche de vaine réclame et sans la moindre provocation à la tentante renommée.
René Boylesve la laissa venir à lui, par la force naturelle de son talent ; M. de Régnier le constata en adressant à son plus jeune confrère, par ces paroles que n’entendit sans doute jamais la solennelle et antique compagnie : « Il semble en effet, que vous avez apporté grand soin à éviter, autant que possible, les moyens de vous faire connaître. » Il n’est pas de consécration plus claire et moins discutable.
À par deux volumes de nouvelles nommées : La Marchande de petits pains pour les canards et le Bonheur à cinq sous qui sont des « à côté » de sa grande thèse, René Boylesve a deux séries d’œuvres nettement séparées, celles qui lancèrent ses débuts : Les Bains de Bade, le Médecin des dames de Néans, Sainte-Marie des Fleurs, le Parfum des îles Borromées, et qui, tout en procédant de la même manière, ont revêtu un caractère général dégagé du terroir tourangeau.
Avec la Becquée, la série locale s’est ouverte par un franc succès, continuée par l’Enfant à la Balustrade, le Bel Avenir, Mon Amour, Le Meilleur Ami, la Jeune Fille bien élevée et Madeleine jeune femme. C’est là le véritable édifice élevé par René Boylesve et il n’a pas assez insisté sur son caractère dominant : la peinture saisissant, vraie, vivante, ironique de la bourgeoisie provinciale pendant la fin de second empire, dans l’infinie douceur des paysages tourangeaux.
Mon Amour est qualifié de chef-d’œuvre par M. de Régnier, il convient d’y ajouter La Leçon d’Amour dans un parc, digne des plus grands conteurs du dix-huitième siècle, et Tu n’es plus rien, étude de guerre, aussi curieuse d’inspiration que belle dans sa psychologie interne.
En partant de ces choses, les deux immortels ont subjugué un auditoire d’élite réuni dans le cadre trop sévère mais traditionnel de l’Institut ; la faveur des uns a été vers M Henri Régnier, dont la parole et le style s’élevaient légers, élégants et gracieux pour répandre tous les charmes et faire sourire ; celle des autres s’est attachée à M. René Boylesve dont la belle voix bien timbrée, les yeux d’ombre percés de lueurs et les phrases profondes ont fait penser.
Auguste CHAUVIGNÉ
Secrétaire perpétuel de la Société d’agriculture sciences, arts et belles-lettres d’Indre-et-Loire.
 

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