RÉÉDUCATION DES AGRICULTEURS MUTILÉS 1917-1918 EN TOURAINE

Publié le par histoire-agriculture-touraine

RÉÉDUCATION  DES AGRICULTEURS  MUTILÉS 1917-1918 EN TOURAINE

1917

La Dépêche du Centre et de l’Ouest, Jeudi 3 mai 1917

Rendons à la terre les agriculteurs mutilés 
Il n’est pas de mission plus utile, plus urgente et plus belle que celle qui a pour but de rendre à la vie active et à toutes les espérances, les pauvres épaves de l’effroyable tempête que nous traversons.
À cette simple pensée qui ne se sent pas ému ? Lequel d’entre nous n’est pas irrésistiblement porté vers ces admirables victimes d’une nécessité nationale imposée par la plus orgueilleuse des barbaries, marquée désormais, par l’histoire, d’une infamie sans nom ?
Qu’ils viennent de l’usine, de la bourgeoisie ou de la terre, les poilus de France nous sont sacrés, ils ont communié dans l’horreur et dans l’héroïsme, nous devons nous incliner devant eux.
Nous devons leur donner à tous les moyens qui raniment le courage et rendent la volonté de vivre ; de toutes parts des établissements s’organisent pour la rééducation professionnelle ; cependant, par une tendance naturelle, c’est de notre frère du sillon, de l’agriculteur mutilé, que nous voulons nous occuper aujourd’hui en particulier.
Il a quitté son champ, à l’heure de l’appel de la patrie ; il était marié, il avait des enfants, ou bien il songeait au bonheur prochain près de la promise du voisinage qu’il a dû laisser au hameau en emportant cependant sa fidèle pensée. Il a connu les heures tragiques de lamentable misère et de simple sacrifice, qui sont devenues des mois, des années.
Un jour l’ennemi féroce l’a couché sanglant sur le sol qu’il défendait ; il a cru que tout était fini ; un suprême adieu vers tout ce qu’il aimait s’est envolé de ses lèvres vers le ciel, dans le grand silence qui suivit le tonnerre du combat.
Mais il s’est réveillé au contact des mains compatissantes et habiles qui le soignaient et en entendant des voix qui parlaient de courage ; il a senti ses membres fracassés, ou son côté ouvert, ou sa têe douloureuse, et, pendant son séjour dans les hôpitaux, il a écouté des camarades qui lui disaient :
-    T’en fais pas, tu ne laboureras plus, mais tu viendras avec nous à la ville, et tu trouveras un emploi.
Il fut triste d’abord, quelque chose se déchirait en lui, sa conscience et son intérêt lui disaient : « Ne fais pas cela ! ça n’est pas ton métier, tu n’es pas fait pour le servage de la ville, tu es le libre paysan ! »
Mais son incapacité physique le mettait dans le doute. C’est alors qu’il s’est trouvé des médecins avertis qui lui ont démontré que tout n’était pas perdu, qu’avec une jambe, ou un bras, ou une main de précision perfectionnée, il pouvait encore effectuer la plupart des travaux agricoles. Il s’y est essayé, il est entré dans un centre de rééducation, où il a été appareillé méthodiquement, et il a accompli, à sa propre surprise, des travaux pour lesquels il se croyait irrémédiablement perdu.
Ce tableau, nous pourrions dire : ce miracle, est celui qu’on voit aujourd’hui dans les établissements de rééducation militaires ou privés. Il en a été fondé à Paris, à Lyon, à Toulouse, à Bordeaux, etc. À ceux qui sont tentés de croire que ces organisations sont vaines et n’existent que devant les appareils photographiques pour la plus grande gloire des promoteurs, nous pouvons affirmer que leur action est réelle, que leurs services sont de premier ordre et que leur exemple est suivi.
Nous avons la satisfaction de constater que la Touraine n’est pas en retard dans cette voir humanitaire et généreuse. Un groupe de rééducation agricole a été fondé, il y a quelques mois au centre d’appareillage de Joué-lès-Tours, par la précieuse initiative de M. le médecin-inspecteur Labit, directeur du service de santé de la 9e région ; trente agriculteurs mutilés travaillent à la terre et donnent déjà des résultats appréciables qu’un pratique continue va développer très heureusement. Un autre groupe est en formation à l’Aubinière, près de Châteaurenault, par les soins si dévoués du Comité d’assistance aux convalescents militaires, qui a déjà fait tant en faveur de la rééducation professionnelle pour organiser, sur des bases pratique et vastes, un centre de rééducation agricole auquel il n’est pas exagéré de prédire une action utile.
La Société d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres d’Indre-et-Loire est heureuse d’avoir été appelée à donner son concours à des œuvres qui rentrent exactement dans son programme des temps que nous traversons, et d’aider, grâce à la générosité de ses membres, des primes au travail agricole des mutilés, et par des récompenses, à faire du bien à nos pauvres agriculteurs, tout en favorisant, par un recrutement vigoureux, leur retour à la terre.
Il n’est pas, parmi les œuvres charitables que la guerre à fait naître, de tâche plus noble et plus émouvante ; montrer au paysan qui a quitté tout pour se faire l’incomparable défenseur de notre patrie et de son idéal de libre civilisation, que son sacrifice est compris et reconnu par les soins qu’il mérite ; rendre aux mutilés la joie de vivre encore et de se refaire un foyer ; retenir vers nos cultures abandonnées ceux auxquels la lutte sans merci a conservé une valeur de production ; consolider leur foi dans le sol qu’il ne se lassent pas de féconder, c’est le défendre et le sauver deux fois, c’est une tâche si grande que toutes les bourses doivent s’ouvrir, selon leurs moyens, pour la soutenir et en exalter la beauté !
En retour, les mutilés ont le devoir de porter leur attention vers les centres tourangeaux de rééducation, de s’y présenter pour y continuer la profession agricole et défendre encore leur sol dans l’avenir de ceux qui les attend.
Auguste CHAUVIGNÉ
Secrétaire perpétuel de la Société d'Agriculture sciences, arts et belles-lettres d'Indre-et-Loire.
 

1917

La Dépêche du Centre et de l’Ouest, Dimanche 30 septembre 1917

LES PROPOS D'UN PAYSAN 
Pour les mutilées de la guerre

Les mois, les années s’écoulent et nous voyons, sans cesse, la longue et douloureuse théorie des mutilés entrer dans nos hôpitaux. La jeunesse française subit aussi la plus dure épreuve qui soit infligée à une nation : elle passe de l’action virile et laborieuse à un état d’affaiblissement physique qui est un danger pour notre vie nationale future.
Les travailleurs de la terre se raréfient, l’atelier se vide, la main-d’œuvre manque partout. Dans quelles proportions sont touchées les diverses professions ? Quel sont les remèdes mis en usage ? Nous verrons que si les pertes sont cruelles et souvent irrémédiables, il est cependant permis d’escompter de belles espérances des résultats obtenus déjà et dont le développement est certain.
On sait que la classe des agriculteurs est la plus éprouvée parce qu’elle est la plus nombreuse au front et que, avec celle des ouvriers des professions diverses, la proportion des hommes blessés, qui vivent de leur travail manuel, dépasse 90 %. C’est donc une formidable légion – en dehors de deux qui sont complètement perdus pour toute besogne matérielle – que forment les pauvres gens dont les membres ont disparu, atrophiés ou ankylosés doivent être remplacés ou rééduqués au mieux de leurs intérêts.
La tâche est vaste, ardue et belle ; de toutes parts des établissements ont été créés, mais il convient de ne parler ici que de ceux qui s’élèvent dans notre département et, en particulier aujourd’hui, du centre de rééducation et d’appareillage de Joué-lès-Tours, organisé sous la direction du service de santé de la 9e région.
Sous une administration entendue et dévouée de la part de médecins-chefs soucieux du bien-être des hommes, ceux-ci reçoivent la destination justifiée par leurs aptitudes professionnelles et physiques. Tous ceux qui peuvent matériellement continuer le métier qu’ils exerçaient avant la guerre sont conservés précieusement à leur état ; il leur est fourni un membre artificiel ou un outil approprié à leur capacité de rendement, et il leur est enseigné à s’en servir utilement. Ceux qui sont devenus impropres à la profession ancienne qu’ils exerçaient, en embrassent une nouvelle et leur apprentissage est assuré dans les divers ateliers de cordonnerie, de menuiserie, de saboterie, de serrurerie, de bourrellerie, d’imprimerie, d’horlogerie, d’étamage, de ferblanterie, de reliure, de vannerie, de tailleurs d’habits, de matelassiers, etc.
La section agricole reçoit, avec un plein succès, tous les mutilés de la terre encore utilisables ainsi que beaucoup d’autres qui ont été forcés, par l’adversité, d’abandonner l’établi ou l’étau, et c’est là, bien plus qu’on ne le croirait tout d’abord, une source de travailleurs revenant à la terre, lui apportant, après l’héroïsme des combats meurtriers, le reste de leurs forces pour la lutte économique du pays. Plus de 100 hommes sont actuellement dispersés par équipes dans nos campagnes pour les vendanges, pour les battages à la machine, pour la culture des fermes et des jardins ; des placements ont lieu chaque jour, au fur et à mesure des sorties, après une mise complète en état de travail.
Un souffle de grande et noble humanité entoure ces braves qui se reprennent à la vie.
Qui donc parmi nous, agriculteurs, industriels, commerçants, ne désireraient pas faciliter la tâche de nos mutilés de la guerre, en leur procurant du travail, en utilisant les ressources de main-d’œuvre qu’offre le centre de rééducation de Joué ? En alimentant ses ateliers divers, en fournissant des travaux à exécuter – le public tout entier peut s’y intéresser – il en éprouvera une douce et triple satisfaction : il concourra à la réadaptation de mutilés à la vie normale, il en tirera avantage et il favorisera leur retour rapide à l’atelier et au village natal.
Auguste CHAUVIGNÉ
Secrétaire perpétuel de la Société d'Agriculture sciences, arts et belles-lettres d'Indre-et-Loire.
 

1917

Annales de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département d'Indre-et-Loire, 1917
p. 5-19 ; 24

Rapport sur l'œuvre de rééducation des agriculteurs mutilés pendant l'année 1917
Par M. Auguste CHAUVIGNÉ, secrétaire perpétuel.

Voir texte pdf ci-après :
 

1918

La Dépêche du Centre et de l’Ouest, Dimanche 24 mars 1918

LES PROPOS D'UN PAYSAN 
La Rééducation des Agriculteurs mutilé
s
La pensée généreuse et prévoyante qui anime toutes les œuvres destinées à ramener et à utiliser à la terre les agriculteurs mutilés est l’une des plus belles de celles qui président à l’effort de la nation pour conserver ses richesses naturelles.
Le concours des hommes privés partiellement de leurs moyens de travail représente l’élément, encore bien mince, qui apporte déjà, chaque jour, un peu de force à nos champs, et qu’il importe, de plus en plus, dans l’avenir, de développer.
Les établissements qui recueillent les mutilés pour les rendre au labeur journalier, se multiplient en France, ils vont devenir légion avec le temps, et ce n’est pas sans une amertume profonde, que nous devons penser aux hommes qui devront les peupler, et qui, pour l’heure présente, sont la force, le jeunesse et l’espoir des armées en face d’un ennemi dont le choc suprême est prochain.
Presque toutes ces maisons de rééducation sont dotées d’une section agricole où sont réadaptés aux travaux de la culture du sol, les pauvres épaves de l’implacable mitraille, restées victorieuses des mauvaises théories de désertion.
L’une des plus importantes et des mieux organisées est celle de Lyon dont il a été dit quelques mots, à cette même place, ces jours-ci par l’un des collaborateurs de ce journal. Il a été fait un appel à nos compatriotes mutilés, pour leur recommander le lointain établissement alors qu’il nous semble qu’il est nécessaire d’aller jusqu’aux rives du Rhône pour rencontrer la maison hospitalière et réparatrice des forces sacrifiées glorieusement à la Patrie.
Il existe sur la côte du Cher, aux portes de Tours, un centre de rééducation et d’appareillage des mutilés, à Joué-lès-Tours, que tout le monde connaît, dont nous avons eu occasion de parler plusieurs fois, et qui accomplit une œuvre méritoire hautement appréciée. 
Nous avons déjà énuméré tous les ateliers qui reçoivent les mutilés de toutes les professions, mais l’occasion est bonne de parler du groupe agricole qu’on y entretient et dont notre rapport pour 1917 a fait connaître les résultats obtenus.
Les débuts qui avaient été pénibles ont fait place à une organisation plus précise et la persuasion de la masse flottante de milliers d’hommes passant dans le centre de Joué dans le cours d’une année, a pu donner des chiffres appréciables améliorés encore dans le cours de l’année.
Une école de labourage recevant en moyenne une équipe permanente d’une quinzaine de mutilés divers a effectué les labours des terres dépendant de la maison et de celles entreprises chez des propriétaires voisins, cultivant ainsi plus d’une douzaine d’hectares.
Des équipes composées par 507 hommes, de mai à décembre 1917, ont fourni 2 647 journées à l’intérieur de l’établissement et 3 823 journées à l’extérieur, soit un total de 6 470 jours de travail. La proportion mensuelle est représentée par une moyenne variant de 29 à 47 % de mutilés occupés à la terre, permettant de fixer 36 % de la population totale de la maison moyenne de ceux qui passent par la section agricole.
En dehors des salaires réguliers rémunérateurs du travail effectué, les primes instituées avec le concours des souscriptions de la Société d’agriculture d’Indre-et-Loire, à titre d’encouragement exceptionnel, se sont élevées à la somme de 926 fr. 50.
Après ces chiffres il n’est pas sans intérêt de rechercher dans quelle proportion les agriculteurs qui ont consenti à reprendre le travail agricole ont été définitivement reconquis par la terre à leur sortie de l’hôpital. Les chiffres ne peuvent être précis, car il est difficile de suivre tous les hommes quand ils ont recouvré leur complète liberté. Cependant il peut être admis que 50 % des agriculteurs mutilés qui travaillent à Joué reprennent et conservent leur profession rurale.
Faute de mieux il est permis de considérer que la tâche est appréciable, et il est déjà consolant de constater que ces épaves de la grande tempête sont encore sauvées du désastre.
Voilà ce qui est fait au centre de rééducation d’appareillage de Joué, sous la haute direction de M. le médecin-inspecteur Labit, directeur du service de santé, de M. le médecin principal Buot, sous-directeur, de M. le médecin chef Thomas, de M. le docteur Bourreau, médecin chef de rééducation dont les mains de travail sont unanimement appréciées, et de M. le docteur Cousin, médecin chef de l’appareillage, dont les appareils de prothèse sont si habilement préparés.
Les Tourangeaux touchés par l’adversité ont tout intérêt, quel que soit l’endroit où ils sont en traitement, à venir faire leur rééducation à Joué-lès-Tours ; ils y trouveront, au sein de leur pays natal, près de leurs familles, dans l’air pur des coteaux coutumiers de leur jeunesse, le réconfort et l’émotion qui rendent toutes les espérances.
Auguste CHAUVIGNÉ
Secrétaire perpétuel de la Société d'Agriculture sciences, arts et belles-lettres d'Indre-et-Loire.

1918

Annales de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département d'Indre-et-Loire, 1918 ; p. 5-23

Rapport sur l'œuvre de rééducation des agriculteurs mutilés pendant l'année 1917
Par M. Auguste CHAUVIGNÉ, secrétaire perpétuel.

Voir texte pdf ci-après :

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