MALINGIÉ Édouard (1799-1852)

Publié le par DESBONS Pierre

MALINGIÉ Édouard (1799-1852)
MALINGIÉ Édouard (1799-1852)

PRÉAMBULE
L’œuvre d’Édouard MALINGIÉ est répartie sur quatre articles : 

Edouard Malingié, le personnage (généalogie etc…)
http://histoire-agriculture-touraine.over-blog.com/2017/02/malingie-edouard-1799-1852.html

Le domaine de la Charmoise à Pontlevoy dans le Loir-et-Cher,
http://histoire-agriculture-touraine.over-blog.com/2019/11/domaine-agricole-de-la-charmoise-a-pontlevoy-loir-et-cher.html

La ferme-école de la Charmoise fondée en 1847,
http://histoire-agriculture-touraine.over-blog.com/2018/03/chateau-de-la-charmoise-pontlevoy-loir-et-cher.html

La création de la race ovine de la Charmoise.
http://histoire-agriculture-touraine.over-blog.com/2018/12/race-ovine-la-charmoise.html

MALINGIÉ, Édouard, Louis, Auguste.

Né à Lille le 9 février 1799 ; mort à Pontlevoy (Loir-et-Cher) le 15 décembre 1852.

Pharmacien, agronome, éleveur, créateur de la race ovine La Charmoise.

Son père Joseph, né à Wervicq-Sud (près de Roubaix) était pharmacien à Lille et sa mère Rosalie Simon était originaire de Douai.

Après de solides études secondaires, au cours desquelles il s’intéressa particulièrement aux sciences naturelles, il fut diplômé pharmacien de la Faculté de Paris en 1822.

Il retourna à Lille, occupa l’officine de son père rue de Paris, mais s’étant marié en 1823 avec Mlle Roger, fille d’un gros agriculteur du sud de Lille, il céda à son goût de la culture et de l’élevage. Il acheta le petit domaine de Maillard (50 ha) à Eppe-Sauvage dans l’Avesnois (département du Nord). Durant un dizaine d’années il y se forma aux bonnes pratiques qu’il voyait réalisées autour de lui et défricha les dernières terres de bruyères. Il fut membre correspondant de la Société d’Agriculture du Nord et y publia quelques articles.

En 1828, sa femme mourait en lui laissant deux fils. Vers 1830, il se remaria avec sa belle-sœur Sophie Amandé Nouel avec laquelle il eut six enfants. Son beau-frère, Edme Nouel, polytechnicien, récemment nommé professeur de mathématiques au Collège de Pontlevoy (Loir-et-Cher) lui fit découvrir la région. En 1835, il vendit son domaine du Nord pour acquérir et s’installer sur le « débris d’une ancienne propriété, la Charmoise, terrain de 130 hectares, ne contenant que bruyères et un vieux bois de chênes ruiné ». Pour mettre en valeur ce domaine et en tirer profit, il y développa une exploitation purement pastorale : « je consacre exclusivement mes soins et mes récoltes à la race ovine » dit-il en 1839 dans la revue Le cultivateur. En 1840, le troupeau de la Charmoise comptait 1600 moutons.

En 1847 il fonda une ferme-école sur son domaine. En 1850 il participa à la création de la Colonie agricole de Ceré-la-Ronde en Indre-et-Loire.

Il présida la Société d’Agriculture du Loir-et-Cher à partir de 1843. Le 24 avril 1844 il fut élu membre correspondant de la Société Nationale et Centrale d’Agriculture.

La commune de Pontlevoy continue de célébrer la mémoire d’Edouard Malingié en lui dédiant une avenue, une école, et une statue.

Son œuvre la plus notoire fut la création d’une nouvelle race ovine : la Charmoise.

Partant du constat que les races locales avaient une productivité faible, Malingié essaya sans succès d’adapter au climat de la Touraine les races anglaises améliorées. Ensuite il expérimenta plusieurs types de croisements entre les races locales et les races anglaises. Au bout de quelques années il aboutit à un métissage répondant à ses attentes en croisant des béliers de race New-Kent avec des brebis françaises de sang mêlé. Les béliers New-Kent étaient issus de nombreux cycles de sélections dans la race Kent, réalisés par Sir Richard Goord, célèbre éleveur anglais. Malingié ramena lui-même ces animaux d’Angleterre. Les brebis étaient issues de croisements entre les races berrichonne, solognote, tourangelle et mérinos de Beauce. En accouplant les mâles et les femelles résultant de cette combinaison franco-anglaise, Malingié reproduisit des sujets absolument semblables à leurs ascendants immédiats. C’est ainsi qu’il fixa une nouvelle race. La race Charmoise alliait la rusticité des races françaises pures (berrichonne, solognote, tourangelle), la toison de la race mérinos et la viande de la race New-Kent. La race Charmoise est toujours appréciée et maintenue par les éleveurs. En 2005, le Bureau des Ressources Génétiques évaluait à 28 000 la population totale des animaux en France principalement dans le centre ouest. Le mouton Charmois est également présent en Allemagne, Angleterre, Irlande et Espagne.

Principales publications d’Edouard MALINGIÉ :

Considérations sur les bêtes à laine au XIXe siècle, et notice sur la race de la Charmoise, qui a rapporté pendant ces dernières années les premiers prix, aux concours de Poissy et de Versailles. Librairie de la Maison Rustique. Paris, 1851. 79p.

Articles dans le Journal d’Agriculture Pratique, 1851, 3ème Série, Tome II.

Importance des bêtes à laine en agriculture, pp. 229-239.
Races ovines anglaises, pp. 309-313.
Naturalisation des races ovines anglaises, pp. 415-419.

Des croisements dans la race ovine, pp. 493-498.

 

Articles dans le Journal d’Agriculture Pratique, 1851, 3ème Série, Tome III.

Les Moutons de la Charmoise pp. 54-60.

Qualité des moutons de la Charmoise, pp. 188-195.

De l'hivernage pour l'alimentation des moutons, pp. 273-275.

Des choix pour l'alimentation des moutons, pp. 321-327.

De la fève pour l'alimentation des moutons, pp. 369-370.

Du maïs pour l'alimentation du mouton, pp. 399-403.

 

Sources :

BIOT J. B. Deux articles rendant hommage à l’ouvrage de M. Malingié (Considérations sur les bêtes à laine au XIXe siècle). Journal des savants 1851. pp. 385-399, 462-474.

LETARD E. A propos d'un centenaire. Edouard Malingié (1800-1852) et la race ovine de la Charmoise.
Comptes rendus des séances de l'Académie d'Agriculture de France 1952, pp. 764-768.
LOURDEL F. Le berceau d'une race ovine La Charmoise, Malingié et son œuvre. Imp. Centrale Administrative et commerciale 1920. 96 pages.

OUZILLEAU J. La Race de la Charmoise, Thèse agricole soutenue en juillet 1927 à L'Institut agricole de Beauvais, Imp. Départementale de l’Oise, Beauvais 1927. 92 pages.

 

Archives départementales du Nord et du Loir-et-Cher.

Comptes-Rendus des séances du Conseil général d’Indre-et-Loire, 1850 et 1851.

AgroParisTech : http://www.agroparistech.fr

Bureau des Ressources Génétiques : http://www.brg.prd.fr

1833

Vente du domaine de Château Maillard à Eppe-Sauvage

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k35546g/f316.item

Le cultivateur, journal des progrès agricoles, Paris, rue Tarante n° 10, avril 1833

p. 156

Annonces

A VENDRE ou à LOUER, un très jolie Ferme solidement bâtie [Château Maillard], et 50 hectares de terres nouvellement défrichées. Cette propriété, parfaitement close et plantée, est située commune d'Eppe, canton de Trélon, arrondissement d'Avesnes (Nord). Un riche assolement alterne y est établi et n'exige plus, pour être continué avec succès, dur les soins d'un cultivateur intelligent.

S'adresser à M. Malingié, poste restante, à Solre-le-Château (Nord).

1841

Société royale des sciences, arts, belles-lettres et agriculture de Saint-Quentin (Aisne), 1840-1842
Membre correspondant
p. 335
1841. Malingié-Nouël, propriétaire de l'établissement pastoral de la Charmoise, situé à Pont-le-Voy (Loir-et-Cher)

1843

La connaissance générale du bœuf, études de zootechnie pratique sur les races bovines de la France, de l'Algérie, de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Suisse, de l'Autriche, de la Russie et de la Belgique, avec un atlas de 83 figures, par les auteurs de l'Encyclopédie pratique de l'Agriculteur publiée par Firmin DIDOT Frères, Fils et Cie, sous la direction de Louis MOLL Chevalier de la Légion d'honneur, Fermier à Vaujours, Professeur d'Agriculture au conservatoire impérial des Arts et Métiers, Membre du Conseil général d'Agriculture, De la Société impériale et centrale d'Agriculture, etc., etc.. et Eugène GAYOT Ancien directeur de l'Administration des Haras, Membre de plusieurs Sociétés scientifiques. Paris 1860. 600 pages. [Cote A368]


p. 444-445
Les travaux de M. Adolphe SALVAT, propriétaire à Nozieux (Loir-et-Cher), datent de 1843 ; à cette époque il acheta de M. Malingié, directeur de la ferme-école de la Charmoise, plusieurs animaux durham de pur sang.
Au début, la vacherie comprenait le taureau le Duc et 4 vaches pures, 2 vaches hollandaises, 16 de à divers croisements et 2 vaches de race locale.
Ces éléments furent consolidés de 1843 à 1860 par l'emploi de sept taureaux différents.
Jusqu'en 1856 la vacherie de Nozieux du conserver tous ses produits purs et éliminer successivement les croisements ; ce n'est guère que vers cette époque qu'il devint possible de livrer à la boucherie et aux éleveurs un certain nombre d'animaux de choix.
L'établissement de M. Salvat ne comprenant ni prairies ni pâturages, la stabulation permanente était nécessitée pour les femelles comme pour les mâles ; on ne les sort au dehors qu'une ou deux heures par jour, pendant le temps nécessaire au nettoyage des étables. En été, les mères reçoivent à discrétion et dans des mangeoires les fourrages verts de chaque saison ; en hiver leur nourriture se compose de paille hachée, de balles, betteraves, navets, tourteaux et drèche de brasserie, préalablement fermentés.
Les mâles destinés à la reproduction sont soumis au système d'isolement plus ou moins complet, dans des boxes avec paddocks, ou sous des hangars aérés, où ils ne paraissent pas souffrir du froid, même pendant les gelées d'hiver. La nourriture et les soins ne faisant jamais défaut, la croissance est toujours rapide.
La plupart des vaches de Nozieux sont laitières ; il en est qui donnent jusqu'à 22 litres de lait, un mois après le vêlage.
M. Salvat fait travailler ses bœufs durham ; il en a huit en ce moment ; nous ignorons s'il en est parfaitement content ; néanmoins, comme ils sont nourris fortement, il y a lieu de penser que cette destination ne leur est point nuisible.
Sous le rapport de l'aptitude à prendre la graisse, la souche de Nozieux doit être classée très haut, aussi bien en ce qui concerne le poids atteint par les bons animaux que pour les succès nombreux obtenus dans les concours, ainsi que nous le verrons plus loin.
Comme reproducteurs, il suffira de citer, pour en donner une idée, les ventes faites de 1848 à 1859 ; ces ventes comprennent 21 mâles et 26 femelles de pur sang, parmi lesquels plusieurs veaux et un vieux mâle de dix ans ; plus 10 métis ; en tout 57 têtes qui ont trouvé preneurs à bons prix.
Sous le rapport des concours :
L'élevage de M. Salvat lui a produit jusqu'à ce jour 43 médailles et 33 prix en argent d'une valeur de 22 000 fr. environ.
Au 31 décembre 1859, la vacherie de Nozieux comptait 31 têtes.
 

1927

Jacques OUZILLEAU, Ingénieur d'Agriculture I. A. B. (Institut agricole de Beauvais), Lauréat de la Société des agriculteurs de France, Diplômé de l'Institut Catholique de Paris, Lauréat du Contrôle laitier. LA RACE DE LA CHARMOISE. Juillet 1927

Introduction.
Avant de parler de la race Charmoise, nous voulons rappeler le nom de son créateur, dont la mémoire, au pays de la Charmoise, a laissé tant de bons souvenirs.
Né à Lille en 1800 (1799), d'une famille des Flandres, dont les membres étaient commerçants, et particulièrement pharmaciens, Malingié eut aussi le même goût que ses ancêtres et fit également des études de pharmacie, qu'il poursuivit très brillamment.
Ses études terminées, il reprit l'officine paternelle ; il épousa une jeune fille appartenant à une bonne famille d'agriculteurs des environs de sa ville natale, et en fréquentant les parents de sa femme, il prit le goût de la culture et résolut de s'y adonner.
Il fit donc l'acquisition d'une ferme [Château-Maillard à Eppe-Sauvage], dans l'arrondissement d'Avesnes, où il commença la pratique de sa nouvelle profession.
Il fut éprouvé quelques années plus tard par la perte de sa femme, qui lui avait donné deux fils : MM. Charles et Paul Malingié.
Et quelques années après, il épousa la sœur de M. Nouel, qui était son beau-frère par son mariage avec Mlle Malingié. C'est après plusieurs séjours chez M. Nouel, à Pontlevoy (Loir-et-Cher), que Malingié fit dans cette commune l'acquisition du domaine de la Charmoise.
Ce domaine était alors attenant à quelques hectares de terre d'ancienne culture, et à une centaine d'autres de mauvais bois de chênes et de châtaigniers, de bruyères et d'étangs. Il apporta tout sa science et tout son activité à améliorer les anciennes terres et à donner la fertilité aux terres des bois et bruyères, à dessécher les étangs et à en faire de bons prés ; puis, il fit des essais zootechniques sur le bétail de la région et il constata l'insuffisance de rendement des animaux.
C'est ce qui le fit penser à leur amélioration ou à leur remplacement par des races anglaises.
On verra plus loin, dans l'historique de la race, tous les espoirs et les déceptions que lui causèrent la création de cette race.
La prospérité de la Charmoise lui procura de nombreux visiteurs. L'un d'eux, riche industriel du Nord [M. Louis Faure], ami d'enfance de Malingié, et voulant devenir grand propriétaire terrien, lui demanda de lui acheter, défricher et mettre en culture un domaine de 1 500 ha de bruyères et d'étangs, situé dans le canton de Montrésor à Céré-la-Ronde (Indre-et-Loire).
Malingié accepta cette tâche, qui devait être pour lui la dernière de longue haleine, et même la cause de sa mort.
En effet, cette vilaine propriété fut bientôt complètement transformée en un très bon domaine.
Par leur hardiesse et leurs résultats, les diverses conceptions de Malingié fixèrent l'attention de l'Administration supérieure de l'Agriculture. La décoration de la Légion d'Honneur lui fut décernée.
La création des fermes-écoles étant décidée, la première fut installée à la Charmoise en 1847. Malingié accepta sa nouvelle charge et montra toute la grandeur de sa bonté et aussi de son dévouement à la jeunesse.
Ce temps de succès, qui présageait des années heureuses de calme, de justice rendue et de prospérité, fut de courte durée.
Les premiers jours de décembre 1852, Malingié, malgré les intempéries, alla visiter les cultures et les travaux qu'il dirigeait dans la belle exploitation du canton de Montrésor, dont j'ai parlé.
Il y resta plusieurs jours et fu atteint par un refroidissement qui le fit rentrer malade à la Charmoise. La pneumonie se déclara ; les soins affectueux de sa famille et la science dévouée des médecins furent inutiles. Huit jours après son retour, le 15 décembre, Malingié était ravi à l'affection si grande de sa famille, au respectueux attachement de ses élèves, de ses employés et ouvriers, et à l'estime de tous ceux qui l'avaient approché.
C'est pourquoi, avant de parler de la race Charmoise, dont il fut le créateur, on ne peut omettre de parler de ce grand savant zootechnicien qui nous a donné la belle race ovine que nous allons décrire.
Jacques OUZILLEAU
Lauréat de la Société des Agriculteurs de France.
 

1952

Comptes rendus des séances de l'Académie d'Agriculture de France. Tome XXXVIII. Année 1952.
p. 764-768


A propos d'un centenaire EDOUARD MALINGIE (1800-1852) ET LE RACE OVINE DE LA CHARMOISE
M. Etienne Letard. (Professeur à l'Ecole Nationale Vétérinaire d'Alfort). - En cette fin d'année 1952, il nous a paru opportun et juste d'évoquer la mémoire d'un grand éleveur et agriculteur, le pharmacien Malingié, créateur de la célèbre race de moutons de la Charmoise. Il s'est en effet éteint, il y a juste cent ans, exactement le 15 décembre 1852 ; ce centième anniversaire de la fin d'une existence qui fût plutôt courte, mais singulièrement active, et d'autant plus attachante qu'elle a connu aussi l'adversité, nous offre l'occasion d'apporter hommage de notre reconnaissance et de notre admiration et pour l'homme et pour son oeuvre.
Malingié, Edouard, Louis Auguste, naquit à Lille en 1800 [9 février 1799]. Son grand-père et son père furent pharmaciens en cette ville.
Après de fortes études secondaires, au cours desquelles il s'intéressa particulièrement à l'étude des sciences naturelles, il se destina lui aussi à la carrière paternelle, et fut diplômé pharmacien à la Faculté de Paris en 1822.
Il retourna à Lille, occupa l'officine de son père ; mais s'étant marié, en 1823, avec la fille (Roger Marie Joséphine, 1803-1828) d'un gros agriculteur de la région du Nord, il céda à son goût de la culture et de l'élevage. Il acheta une petite ferme aux environs d'Avesnes [Château-Maillard à Eppe-Sauvage] et en entreprit l'exploitation.
De graves malheurs familiaux le frappèrent.
En 1828, sa femme mourait lui laissant deux fils.
S'étant remarié quelques années plus tard, il eut l'occasion de faire un voyage chez son beau-frère, à Pontlevoy, dans le Loir-et-Cher, au sud-ouest du département.
Frappé par l'état inculte ou presque inculte, à cette époque, de la Sologne, contrastant avec la richesse du Nord, il entrevit pour lui-même un champ d'activité nouveau en ce pays alors déshérité.
Il vendit avantageusement sa ferme du Nord [Château-Maillard à Eppe-Sauvage] qu'il avait exploitée une dizaine d'années, et arriva en 1835, à la Charmoise, dans la commune de Pontlevoy, au terme d'un voyage par route de 440 km, avec du matériel agricole, des chevaux, du bétail.
Cette entreprise d'un homme abandonnant une situation sûre, bien assise, pour se jeter presque dans l'inconnu, nous dépeint son caractère. La destinée, à ce moment, lui réservait tout juste 17 années, pour mener à bien une oeuvre peu commune au point de vue agricole, zootechnique et social.
Son historiographe, le plus complet, le Docteur-Vétérinaire Fernand Lourdel, dans son ouvrage "Le berceau d'une race ovine La Charmoise, Malingié et son oeuvre", a écrit ce qui suit :
"Edouard Malingié était, d'après ceux qui l'ont connu, un homme de haute taille (1,90 m), au visage coloré, aux cheveux blonds et ondulés, aux yeux bleus, du type nordique par excellence ; sa bouche était large, mais marquée souvent d'un fin sourire. Il était d'une remarquable intelligence : travailleur à l'excès, toujours levé le premier et le dernier couché, d'une énergie peu commune, il avait un caractère affable et très charitable ; il aimait à rendre service. Entouré de ses enfants - il en eut 8 - et de ses petits-enfants, il menait à la Charmoise une vie patriarcale."
Je n'ai aucunement l'intention de redire ici, en détails, tout ce qu'a fait Malingié. Les fervents de l'histoire pourraient retrouver le développement de son travail dans de nombreuses études publiées par lui, de 1836, année qui suit son installation à la Charmoise, jusqu'en 1852, année de sa mort, dans le Bulletin de la Société d'Agriculture du Loir-et-Cher, et dans son ouvrage : Considérations sur les bêtes à laine, au milieu du XIXe siècle ; notice sur la race de la Charmoise (mars 1851).
Parmi les travaux d'autres commentateurs, signalons : une étude d'Alfred Leroy : Le mouton de la Charmoise ; la publication d'une conférence étincelant du zootechnicien d'Alfort, Raoul Baron, Leçons de choses au concours régional agricole de Blois, 1893 ; un chapitre dans l'ouvrage de Léouzon, Agronomes et éleveurs, publié en 1905 ; enfin une thèse de Jacques Ouzilleau, La race de la Charmoise (1927) ( J'ajoute que ceux qui voudraient en savoir d'avantage, pourront s'adresser à notre collègue LENGLEN qui m'a aimablement signalé d'autres documents, et dont la vaste érudition pourra satisfaire les curieux les plus exigeants).
Je me bornerai à rappeler qu'ayant acheté la propriété la Charmoise qui devait comprendre une cinquantaine d'hectares, ancienne résidence de vacances et de chasse, entourée de bois et de bruyères, proche d'étangs importants, à l'orée de la forêt de Montrichard, Malingié entreprend de la transformer. Il défriche, augmente son troupeau par l'achat de quelques bovins et brebis de Sologne, installe des fours à chaux, transforme le sol par le chaulage et les fumiers. Au bout de 5 ans, soit à partir de 1840, il peut passer de l'exploitation fourragère à la production de céréales.
Mais les préoccupations sociales le hantent déjà : dans sa propriété qu'il a agrandie progressivement et qui compte bientôt 400 ha, il installe une petite colonie d'enfants trouvés et d'orphelins dirigée par les Frères de la doctrine chrétienne. Cette colonie y était fermière des terres qu'elle exploitait et vivait de son travail. "Ce pauvres enfants, écrit-il, qui se perdaient dans les villes et qui finissaient trop souvent par y fournir des recrues aux émeutes et au bagne, prennent, dans nos champs, les sentiments religieux et les connaissances agricoles propres à en faire de bons citoyens et de bons ouvriers ruraux."
A partir de 1837, il va commencer l'importation de races anglaises d'animaux, notamment de la race ovine de New-Kent, puis, après 1843, des bovins de la race Durham.
Sur son domaine, il entretiendra toujours un important troupeau de bovins d'engraissement, de quelques vaches laitières, de moutons, de procs.
Les bouveries contenaient 70 à 80 boeufs. On engraissait, chaque hiver, 500 à 600 moutons. Il y eut un moment jusqu'à 1 500 moutons, 30 cheveaux et de nombreux porcs, surtout la race Yorkshire.
De la présence d'un tel cheptel, Malingié obtenait une énorme quantité de fumier qui explique la fertilité apportée à ses terres initialement pauvres et incultes.
Il substitua à la culture du seigle celle du froment, et, à ce titre, fut déjà un bienfaiteur de la région ; il introduisit la culture du colza, de la betterave, du topinambour, du trèfle incarnat, et même du sorgho.
En 1847, il créa la ferme-école de la Charmoise, qu'il désignait aussi sous le nom d'Ecole d'Agriculture de la Charmoise. Il se proposait de former d'habiles cultivateurs praticiens capables d'exploiter rationnellement leurs terres, ou de constituer une élite, au titre de fermiers, métayers, régisseurs, chefs de main-d'oeuvre.
Les élèves séjournaient à l'école durant 4 années.
Malingié enseignait l'agriculture générale.
Goubaux, vétérinaire au haras de Blois, père d'Armand Goubaux qui fut Directeur à l'école d'Alfort, enseignait la zootechnie. Pour venir faire ses cours, il devait franchir en voiture à chevaux, une distance de 25 km, séparant Blois de la Charmoise ; aussi était-il parfois remplacé par un vétérinaire de Montrichard, Raguin. Il y avait aussi un professeur de français et un professeur d'arithmétique.
Pendant les 5 ans qui lui restaient à vivre, Malingié se dépensa sans compter pour faire vivre son école. Il avait pour aide pécuniaire une subvention du Conseil général de 1 500 francs par an, ce qui, même à l'époque des francs-or, était vraiment bien modeste, car c'était à peu près la traitement annuel du comptable.
Malgré les soucis de toutes sortes qui lui apporta la direction de cet établissement, joints à ceux de la gestion de son domaine, il fut délégué cantonal, conseiller municipal et même lieutenant des pompiers à Pontlevoy.
Il participa activement aux travaux de la Société d'agriculture du Loir-et-Cher, fut Président en 1843 et y fit son dernier discours le 30 août 1852.
Un de ses amis, riche industriel du Nord, admirateur des beaux résultats obtenus à la Charmoise, demande à Malingié de lui acheter, défricher et mettre en culture, 1 500 ha de bruyères et d'étangs, dans la région de Montrésor, dans l'Indre-et-Loire.
Malingié accepta. Pendant de longs mois, il parcourut souvent, à cheval, les 20 km qui séparaient ce domaine du sien propre. En peu d'années, tout fut transformé. C'est au cours d'une randonnée faite à cette propriété, par un froid très rude, qu'il contracta une pneumonie dont il mourut, le 15 décembre 1852.
Je voudrais ajouter seulement quelques mots pour insister sur l'oeuvre qui assurera une véritable et longue renommée à Malingié : la création de la race ovine de la Charmoise.
Désireux d'améliorer les moutons de pays, au point de vue de la viande et de la laine, il introduisit la race anglaise de New-Kent, améliorée surtout par un éleveur anglais, célèbre à l'époque, Sir Richard Goord.
Il se rendit vite compte de la difficulté, voire de l'impossibilité de l'entretenir à l'état pur, dans le milieu qu'il pouvait lui offrir. Il comprit qu'il fallait recourir au croisement. Mai pour être plus sûr que le bélier améliorateur imposerait ses qualités à la souche maternelle, Malingié, élaborant une théorie assez discutable de l'affolement des races, entreprit d'abord des croisements complexes entre les races solognote, berrichonne, tourangelle et mérinos, pour créer une souche maternelle. Il y a là des conceptions qui rappellent curieusement celles que des zootechniciens russes de la nouvelle école nous offrent aujourd'hui sous le nom d'hérédité ébranlée, au cours de l'hybridation dite par eux "végétative".
En réalité, Malingié créait une souche porte-greffe constituée d'individus ayant des possibilités héréditaires très diverses, de sorte que, au cours des croisements avec les béliers Kent, il augmentait ses chances de voir apparaître les métis répondant le mieux au but qu'il poursuivait.
Dans un mémoire présenté à la Société d'Agriculture de Blois en 1840, Malingié déclare qu'au cours de ces croisements il naît en effet des sujets inattendus : "Il est convenable, dit-il, de tirer parti de ces jeux ou de ces fautes de la nature, toujours si riche et si admirable dans ses erreurs, et de profiter des moindres circonstances pour arriver au but proposé."
C'est là, en effet, que réside le mérite essentiel de l'éleveur à la recherche d'une nouveauté : découvrir d'intuition, ou plus exactement, grâce à un œil exercé, le plus souvent par une longue et patiente observation, le sujet qui se prête le mieux à la combinaison qu'on veut réaliser. Dans le cas présent, il fallait un esprit critique avisé, puisqu'il s'agissait de discerner les femelles ayant des caractéristiques les désignant pour un croisement heureux avec le bélier New-Kent.
Ainsi, en un nombre réduit d'années, Malingié a créé la race dite de la Charmoise.
Et c'est en appréciant cette création que le Professeur Baron, d'Alfort, a dit que Malingié était le "Denis Papin de la zootechnie ovine", le "plus grand métisseur de l'Univers".
Les mérites de la race sont trop connus pour que nous les redisions ici aujourd'hui.
Malgré ses réussites techniques incontestables, Malingié qui ne devait compter que sur ses seules ressources, dépensa des sommes considérables, et pour ses œuvres sociales, et pour son école, et pour l'achat des géniteurs qu'il alla lui-même choisir à plusieurs reprises, en Angleterre, et pour leur transport, et en raison d'échecs partiels et inévitables qu'il essuya jusqu'à ce qu'il mit au point sa méthode. Les chercheurs, les découvreurs, en matière d'élevage surtout, font rarement fortune. Les exploitants avisés, eux, ne s'éloignent pas beaucoup des sentiers connus. Aussi bien est-ce pour cela que l'essai, l'expérimentation, doivent être surtout affaire de collectivité ou d'Etat.
Malingié engloutit dans ses travaux une grande partie de sa fortune et celle des siens. En outre, il fut en butte, comme tous les novateurs, aux jalousies, aux critiques de ceux-là même qui épiaient le résultat de ses essais pour le copier et en tirer bénéfice.
En un mot, il accomplit, dans le travail, une œuvre pleinement humaine, avec tout ce que ce mot peut comporter de grandeur, d'abnégation, et souvent aussi de tristesse.
Voilà 100 ans qu'il est mort. Le nom de la "Charmoise" reste bien vivant et célèbre.
Il faut que dure aussi celui de Malingié, parmi les pionniers les plus désintéressés sur la terre française, les précurseurs les plus dignes de gratitude, ceux qui luttent avec opiniâtreté, enrichissent et honorent leur pays, puis meurent à la tâche dans la médiocrité matérielle, quand ce n'est point dans la pauvreté.
Il travailla pour faire le bien, pour la satisfaction d'apporter le progrès dans les campagnes déshéritées. Peut-être ne demandait-il point davantage à la destinée, qui ne lui apporta rien de plus.
Ici, entre hommes, tous de bonne volonté, mais doués d'un esprit critique suffisant et pour ne pas oublier le poids des vicissitudes répétées dont a souffert la France dans un passé récent, et pour affronter, sans inquiétude, les comparaisons et les jugements de l'histoire, remercions le grand moutonnier de nous permettre de proclamer aujourd'hui, au sein de notre Académie, que Malingié, qui réunissait tant d'éminentes qualités, attaché à une terre qu'il a servie avec passion, était bien de son pays, était bien de notre pays.

1996

BAKER Alan R. H., Farm Schools in Nineteenth-Century France and the Case of la Charmoise, 1847-1865. The Agricultural History Review, Vol. 44, N° 1 (1996), p. 47-62

Article très documenté et intéressant.

MALINGIE Edouard Louis Auguste, Dictionnaires des Scientifiques de Touraine, PUFR, 2017, p. 290-291. (fiche rédigé par Pierre DESBONS)

Château de LA CHARMOISE à Pontlevoy (Loir-et-Cher)

Château de LA CHARMOISE à Pontlevoy (Loir-et-Cher)

Race ovine : LA CHARMOISE

Race ovine : LA CHARMOISE

Départements français où la race LA CHARMOISE est élevée en 2010

Départements français où la race LA CHARMOISE est élevée en 2010

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