Défrichements

Publié le par histoire-agriculture-touraine

1850

Second voyage agricole en Belgique, en Hollande et dans plusieurs départements de la France par M. le comte Conrad de Gourcy, Librairie d'agriculture de Mme Bouchard-Huzard, Paris 1850, 387 pages, Cote A238
p. 360-363
Manière économique et très profitable de défricher les bruyères.
On fait produire à une bruyère, au bout d'une année ou 18 mois au plus, du moment où le premier labour a été donné, une récolte de 20 à 25 hl en froment, méteil ou seigle, suivant le plus ou le moins de légèreté du sol défriché, en adoptant la manière d'employer le noir animal, imaginée par M. de la Selle fils, propriétaire demeurant à 12 lieues de Tours, près de la ville de Preuilly.
Il y a six ans [1844] qu'il suit cette méthode, qui lui a si bien réussi, que beaucoup de cultivateurs l'ont adoptée et qu'il y a déjà plus 100 ha de bruyères défrichées d'après cette méthode, près de chez lui.
Voici comment procède M. de la Selle : il fait piocher à tranche ouverte la bruyère, après en avoir fait faucher la surface pour litière, ou l'avoir fait brûler, en y mettant le feu par un temps sec. Ce piochage coûte dans ce pays, aux époques où les travailleurs ne sont pas employés à la fenaison ou moisson, 60 fr/ha. Il fait ensuite réduire ce grossier piochage au moyen de herses armées de coutres et à coup de rouleau. En septembre, on donne un labour assez profond pour amener de la terre sur les gazons qui n'ont pu être réduits entièrement ; on herse encore un couple de fois, et puis on sème le grain, mêlé aussi bien que possible avec 360 litres de noir animal bien pulvérisé. Afin de répandre également [uniformément] sur le champ la semence et le noir, il fait passer le semeur trois fois sur l'emplacement où il ne serait passé qu'une, s'il n'avait semé que du grain pur. Une fois la récolte enlevée, M. de la Selle fait donner un seul labour et sème lorsque le temps est venu, une seconde fois du grain d'hiver, en y mettant la même quantité de noir. Cette deuxième récolte produit ordinairement de 30 à 35 hl.
La troisième année produit, toujours avec la même quantité de noir mêlé à la semence, une trentaine d'hl de colza ou de 6 à 8 000 kg de vesce d'hiver mêlée de seigle.
La quatrième année, on sème de l'avoine qui devient superbe et qui peut donner ayant reçu aussi du noir, de 40 à 45 hl.
On se trouve alors, au moyen de l'argent et du fumier produits par les 4 premières récoltes, en état de drainer les terres humides, de les marner et de les fumer ; de cette manière, on continuera à obtenir de ces terres d'aussi bonnes récoltes que dans les bonnes terres cultivées depuis longtemps. M. de la Selle a déjà défriché ainsi plus de 70 ha.
M. Dubreuil-Chambardel, propriétaire de la terre de Marolles, près Loches, où il vint d'établir une ferme-école, a été un des premiers à imiter M. de la Selle. Il a déjà défriché une centaine d'hectares, il ne donne que deux labours ou un piochage et un labour à ses bruyères ; il ne herse que deux fois avant et deux fois après la semaille, et quoique sa terre se trouve ainsi infiniment moins bien préparée que celle de M. de la Selle, il obtient des récoltes encore plus belles, ce qui vient de ce que M. Chambardel met 450 litres de noir au lieu de 360.
J'ai vu, cette année, chez M. Chambardel 3 ha en froment et 3 en seigle, qui produisent leur troisième récolte du même grain ; elle nous a paru encore plus belle que la deuxième récolte sur défrichement que nous venions de voir et qui était très belle. Nous avons estimé qu'une première récolte de grain méteil, qui avait été semée sur une bruyère qui n'avait reçu que deux labours et quatre hersages, devait produire de 28 à 30 hl ; la palle en avait près de 2 mètres de haut ; la récolte était très épaisse et les épis très longs et bien garnis.
M. Malingié, propriétaire de la terre de la Charmoise, près Pontlevoy, département de Loir-et-Cher, qui a établi une ferme-école il y a trois ans, a défriché cette année 100 ha de bruyères pour les emblaver de cette manière.
M. Desloges, fermier près de Manthelan, route de Tours à Preuilly, a plus de 50 ha de bruyères traitées de même, et les récoltes de froment et colza y sont admirables.
M. Lupin, au château de Loroy (Cher), ayant essayé sur 10 ha cette méthode, s'en est bien trouvé, qu'il vient d'emblaver ainsi 50 ha de bruyères défrichées.
M. Mariotte, au château de Trécy près Romorantin, après avoir essayé sur 4,5 ha, vient d'en défricher 20 autres qui ont été semés de même. Il va défricher toutes ses bruyères.
Il faut que j'ajoute que M. Mariotte ayant fait l'essai de semer sur 1 ha, 10 hl de noir animal sans le mélanger avec la semence, sur l'hectare voisin 5 hl mêlés à la semence, le froment du second hectare a été aussi beau que celui du premier. Le noir animal devra être acheté dans les grandes raffineries d'Orléans ou de Paris ; dans celles-ci, il valait cet été, 8 fr/hl, qui pèse ordinairement de 80 à 90 kg. Les cultivateurs, qui n'ont jamais défriché ou vu défricher des bruyères comme il y en a une immense étendue dans le centre de la France et en Bretagne, bruyères qui, malgré le bon sol qu'elles couvrent, peuvent encore s'acheter dans quelques endroits au-dessous de 100 fr/ha, pourront penser qu'une fois que le noir aura été employé pendant 4 ou 5 ans, ce terrain se trouvera épuisé et inerte ; ils devront se tranquilliser là-dessus, en voyant les belles récoltes que M. de la Selle obtient à la cinquième et sixième année, après avoir employé une fumure ordinaire [fumier], ou de 300 à 400 kg de guano du Pérou. J'ajouterai que j'ai défriché, il y a 25 ans [1825], des bruyères qui ont été cultivées depuis ce temps par de pauvres métayers des environs de Blois, et que cette terre continue à être infiniment meilleure que les anciennes terres de la même ferme qui l'entourent.
 

Publié dans Documentation, Productions

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